Nantes la bien chantée : La commission oubliée
Un jeune homme annonce son départ à sa bien aimée qui lui demande de lui rapporter un présent de Nantes. Mettant toute son énergie dans la débauche, le garçon oublie la commission. On lui conseille de mentir et de prétendre qu’il n’a pas pu trouver ce qu’elle lui avait demandé. Refus du garçon.
Le Quai de la Fosse est l’un des quartiers nantais qui portent encore les stigmates de son odieux passé négrier, passé longtemps minimisé, voire occulté, jusqu’à la fin du 20e siècle où des associations ont milité victorieusement pour que cette sombre page de l’histoire de la ville soit désormais connue de tous. L’inauguration en 2012, à Nantes, du Mémorial de l’Abolition de l’Esclavage abonde dans le sens d’un devoir de mémoire, fait ou en passe de l’être. Cette histoire fut longtemps mal connue parce que non transmise - à l’école notamment -, mais aussi parce que le Quai de la Fosse, pour nombre de nantais, est porteur d’une autre idée, que d’aucun jugerait beaucoup plus réjouissante, pour ne pas dire stimulante. Aussi n’est-il pas inutile de rappeler que les ruelles adjacentes du quai de la Fosse étaient richement pourvues en maisons closes et autres bordels à matelots, plus ou moins fréquentables mais fréquentés de fait, dont les enseignes n’étaient pas toujours fermées à la poésie : Le Cyrano, La Maison Bleue, La Patte de Chat, etc. Ainsi, derrière les façades des immeubles nantis qui n’assument que de manière imparfaite leur sordide passé, s’agitait donc tout un monde qui donna au Quai de la Fosse ce surnom durable de Quai de la Fesse, encore usité de nos jours. Il est facile d’imaginer que ces lieux de plaisirs étaient massivement fréquentés par les marins, récemment débarqués ou sur le point de prendre le large.
Nantes, dans le texte
Il est très hasardeux de dire d’une chanson, sous le seul prétexte qu’elle mentionne explicitement le nom d’une ville, qu’elle est originaire de ladite ville. Rien ne permet d’affirmer que nous avons là une chanson que l’on pourrait qualifier de nantaise mais il convient toutefois de préciser que pratiquement toutes les versions connues de La commission oubliée localisent l’action à Nantes. Ce qui n’est pas peu dire.
Un marin désinvolte…
Le scenario est une sorte de préalable à un départ imminent pour une campagne guerrière : le marin n’est pas de la marchande, le roi n’étant évoqué qu’en sa qualité de chef des armées. Dans l’optique d’un départ prochain, le marin n’ayant aucune garantie de retour - cela va sans dire, puisqu’il part à la guerre -, s’offre une bordée à Nantes et l’on peut imaginer qu’il vadrouillera plutôt du côté de la Fosse que du Musée des Beaux-Arts, lequel ne manque pourtant pas non plus de jeunes femmes dénudées. Il faut garder à l’esprit que, jusqu’à une période relativement récente, il était considéré comme tout à fait d’usage pour un garçon de « devenir un homme » - saisissez l’euphémisme - avant le mariage, chose notoirement refusée aux jeunes filles, comme on peut également l’imaginer, aussi est-il facile de céder à la tentation de localiser cette action dans ces ruelles qui avaient le mérite d’offrir un grand choix d’établissements favorables à l’accomplissement de ce qu’on nomma trop longtemps et avec sans doute trop de complaisance, un rite de passage.
En général, l’oublieux matelot est distrait par la débauche qui lui occupe le corps et l’esprit. Ainsi, cette bordée précédant le départ pour la guerre peut être considérée quasiment comme une initiation, une sorte d’enterrement de vie de matelot avant les noces guerrières qui s’annoncent.
… mais amoureux
On notera au passage que, dans beaucoup de versions, l’attitude du matelot est assez ambiguë dans la mesure où, bien que s’étant montré oublieux et frivole, il refuse pourtant de mentir à sa belle pour laquelle ses sentiments semblent plus sincères que sa conduite ne pouvait le laisser penser. Cela dit, si dans la plupart des cas le marin est conseillé par un tiers dont l’identité n’est jamais dévoilée - sans doute un compagnon de bordée -, il peut se trouver, plus rarement, des versions dans lesquelles il n’a besoin de personne pour envisager de mentir à sa belle ou, pour le dire avec plus d’à propos, monter un bateau à sa fiancée !
Au final, et c’est ce qui importe, le marin refuse de mentir à sa belle et les versions sont quasi unanimes sur les images employées pour comparer son mensonge, si tant qu’il ait cédé au chant de ces mauvaises sirènes : plutôt la mer sans poissons, la montagne sans vallons, le printemps sans violettes… Lui non plus, n’était pas fermé à la poésie !
Hugo Aribart
Dastum 44
2018
Mais où est donc ma douce amie
Quand je la vois, j’ai du plaisir
Elle est là-haut, dessus ces landes
Quand je la vois, je me contente
Par un beau soir m’en fus la voir
C’était pour lui dire au-revoir
Je m’en vas faire un tour à Nantes
Puisque le roi me le demande
Ah, puisque à Nantes vous allez
Un corselet m’apporterez
Un corselet avec des manches
Faites de soie rose et de blanche
Mais quand Nantes fut arrivé
Au corselet n’a plus pensé
Il n’a pensé qu’à la ribote
Au cabaret avec les autres
Ah, que dira ma mie à ça
Tu lui diras, tu mentiras
Tu lui diras que dans tout Nantes
Y’a pas d’corset comme elle demande
J’aim’rais mieux la mer sans poissons
Et la montagne sans vallons
Le printemps sans la violette
Que de mentir à ma Jeannette.
En savoir plus
Bibliographie
Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes
La commission oubliée (Dissensions I - N° 02501) : 15 versions référencées
Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes
La commission oubliée (II, H-05) : 9 versions référencées
Bodinier Jean-Louis, Breteau, Jean, dans La mémoire d’une ville, 20 images de Nantes, Morlaix, Editions Skol Vreizh, 2001
Droüart Marie, Chansons populaires de Haut-Bretagne – cahier inédits, Presses Universitaires de Rennes / Dastum, 2014, p. 99
Guériff Fernand, Le trésor des chansons populaires recueillies en pays de Guérande, volume 3 ; chansons de Brière, de Saint-Nazaire et de la presqu’île guérandaise, Nantes, Dastum 44, Parc naturel régional de Brière, 2010, p. 352
Poulain Albert, Carnets de route – Chansons traditionnelles de Haute-Bretagne, Presses Universitaires de Rennes, Dastum, 2011, p. 96
Discographie
Billaud Henri, Bogue d’Or 1990, Dastum, G.C.B.P.V., 1991, plage N° A-08
Les 4 Jean : Nantes en chansons, Dastum, Dastum 44, 1998, plage N° 1
Chanteurs de Camoël : La Trinquette au fil des ans, Fédération GALLO, 2005, plage N° 2.16
Les 4 Jean : Les Tisserands, Boucherie Productions, plage N° 13
Version sonore
Jad’Hisse, le 21 août 2018 à Pornic, sur un texte issu d’un assemblage de deux ou trois versions
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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