C'est un extraordinaire jardin secret de plus de trois hectares miraculeusement préservé au cœur de la cité des Dervallières. Il aurait pu disparaître au gré des projets d'aménagement. Depuis 2000, il est devenu un parc potager apprécié des habitants.
Survivance des jardins ouvriers du 19e siècle, le site de la Fournillière fut longtemps « gelé » par un projet de voirie démesuré. On y imagina successivement des immeubles, un espace polyvalent de loisirs, un lotissement… Aujourd’hui réaménagée en parc potager, la Fournillière l’a échappé belle, sauvée par les multiples changements de municipalité et par la résistance des riverains et des jardiniers face aux différents projets. Voici les principaux épisodes de cette histoire.
Un projet « démesuré » dans l’immédiat après-guerre.
Il s’agit du plan d’aménagement de 1948 qui prévoit une voie rapide reliant Zola à la Croix-Bonneau en éventrant la Fournillière de part en part. Au début des années 1960, la municipalité commence à acquérir les terrains frappés par le « projet de rénovation de l’îlot défectueux de la Fournillière ». Le projet vise « à la destruction des habitations insalubres et à la mise en valeur du centre de l’îlot qui pourrait recevoir des immeubles d’habitation lorsque sera construit le boulevard Croix-Bonneau – Zola ».
La Fournillière et le quartier Danton entre les rues des Renardières et de la Convention
Date du document : 1968
La Fournillière et le quartier Danton entre les rues des Renardières et de la Convention
Date du document : 1968
Droit de diffusion : Communication libre, reproduction libre
Années 1970 : des jardins familiaux pour faire face à la crise
En 1977, la nouvelle municipalité dirigée par Alain Chénard s’attaque à la révision du POS Ouest et lance un processus de consultation des habitants. Pour lutter contre la précarité économique et sociale engendrée par la crise pétrolière et développer de nouvelles formes de solidarité, la municipalité relance des projets de jardins familiaux et de potagers collectifs dans les quartiers populaires.
Pour la Fournillière, l’équipe municipale fait le choix d’un parc de loisirs, qui doit devenir « le poumon vert d’un quartier qui en est dépourvu ». Les terrains sont réservés au POS publié le 29 janvier 1980 et approuvé à l’unanimité un an plus tard à l’issue de l’enquête publique réglementaire. La Ville entreprend le rachat des parcelles de jardins occupant la majorité du cœur de l’îlot, exproprie et détruit les quelques pavillons enclavés, créant une nouvelle friche où d’autres jardiniers vont s’installer. Anciens jardins ouvriers privés, les jardins de la Fournillière sont cultivés par plus de soixante jardiniers en dehors de toute réglementation pendant près de 20 ans…
Années 1980 : des immeubles à la place des jardins
Nouvelle alternance politique en 1983 avec l’élection de Michel Chauty, qui à son tour met en révision le plan d’occupation des sols de ses prédécesseurs. Début 1987, l’adjoint à l’urbanisme, Pierre Cueille, présente à la presse un nouveau scénario d’aménagement du quartier Zola. Au programme, une salle de spectacle de cinq-cents à six-cents places à l’angle de la rue des Renardières et du boulevard de l’Égalité et, sur l’îlot voisin de la Fournillière, la construction d’une quarantaine de pavillons de deux étages de part et d’autre d’un mail central partant de la place Zola et débouchant sur une plaine de jeux. Les jardins familiaux sont réduits à la portion congrue.
Années 1990 : un parc potager
Retour de balancier aux élections municipales de 1989 : la nouvelle majorité va s’employer à détricoter les projets de l’ancienne. Lors d’une réunion publique, les riverains ont le choix entre deux propositions : l’une prévoit l’aménagement d’une centaine de jardins familiaux, l’autre uniquement un espace de loisirs. L’assistance se prononce majoritairement pour les jardins. Le projet définitif est adopté en 1996.
Aménagement des parcelles du parc potager
Date du document : 1999
Aménagement des parcelles du parc potager
Date du document : 1999
Auteur(s) : Menoret, Stephan (cliché) ; Routier, Régis (cliché)
Droit de diffusion : Communication libre, reproduction libre
Le 19 mars, dans une réunion rassemblant les jardiniers de la Fournillière et les responsables nantais de l’association des jardins familiaux, l’élu à l’environnement annonce le maintien prioritaire de la pratique du jardinage sur le site et sa normalisation en jardins familiaux : parcelles de 150 ou 200 mètres carrés, modèle unique de cabane livré par la Ville, distribution payante de l’eau, location du sol à la Ville, gestion par une association. La priorité des attributions sera donnée aux jardiniers présents sur le site, quelle que soit leur histoire : propriétaires-riverains, locataires des grands ensembles HLM, jeunes ou vieux jardiniers, anciens propriétaires ou squatters, Français ou étrangers…
Parc potager de la Fournillière
Date du document : 20-02-2013
Parc potager de la Fournillière
Date du document : 20-02-2013
Droit de diffusion : Communication libre, reproduction libre
Il faudra plus de trois ans pour réaliser l’aménagement. En 1998, l’association des jardins familiaux de la Fournillière est créée et le 24 juin 2000, la première tranche des 31 570 mètres carrés du parc potager est inaugurée. Les cent quinze parcelles, couvrant 1,8 hectare, s’organisent autour d’un espace de promenade, de jeux, de loisirs et de repos d’1,3 hectare, comportant des aires sablées avec des jeux pour les enfants, des tables et bancs pour pique-niquer, des pelouses, des arbres fruitiers et des massifs de fleurs.
Philippe Bouglé
Groupe Mémoire
2013
Témoignage (1/4) : Faire "son petit jardin"
J’ai eu ma parcelle en 1978 grâce à un copain de palier de la rue de Mallève qui m’avait parlé de jardins à louer dans le coin. A ce moment-là, je travaillais au service des espaces verts de la mairie. Tous les soirs, quand je quittais le boulot, je passais...
Témoignage (2/4) : Des jardins ouvriers au jardins familiaux
J’habitais rue des Sables-d’Olonne et je travaillais chez Dubigeon. En 1983, on a été mis au chômage pendant trois mois. Comme je trouvais les journées longues, j’ai commencé à chercher un jardin pour m’occuper mais je ne trouvais rien. Et puis, en 1984,...
Témoignage (3/4) : L’Association pour les jardins familiaux de...
Je suis arrivé à la Fournillière à la fin de l’année 2000. J’habitais au Breil et un copain qui avait une parcelle au Bois-de-la-Musse m’a parlé des jardins familiaux. J’ai attendu deux ans pour avoir un jardin alors que maintenant, il faut attendre cinq...
Témoignage (4/4) : Des jardiniers et des jardinières...
Depuis quelques années, la population des jardiniers a changé. Dans le temps, on ne voyait pas une femme. Maintenant, quatre-vingt pour cent des jardiniers sont des femmes et on est au moins une douzaine de nationalités. Il y a des Portugais, des Turcs,...
Témoignage (1/4) : Faire "son petit jardin"
J’ai eu ma parcelle en 1978 grâce à un copain de palier de la rue de Mallève qui m’avait parlé de jardins à louer dans le coin. A ce moment-là, je travaillais au service des espaces verts de la mairie. Tous les soirs, quand je quittais le boulot, je passais faire mon petit jardin. En 1978, il n’y avait rien et les parcelles n’étaient pas clôturées. Je payais un loyer à un notaire, monsieur Templier. Ensuite, la Ville a racheté le terrain et la gestion du site a été confiée à l’association des jardiniers dont monsieur Caillaud, le marchand de papier-peints de la rue de la Convention, était le président.
Propos de Joël Pozeto recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire du quartier Dervallières - Zola en 2012 dans le cadre de la collection "Quartiers, à vos mémoires"
Témoignage (2/4) : Des jardins ouvriers au jardins familiaux
J’habitais rue des Sables-d’Olonne et je travaillais chez Dubigeon. En 1983, on a été mis au chômage pendant trois mois. Comme je trouvais les journées longues, j’ai commencé à chercher un jardin pour m’occuper mais je ne trouvais rien. Et puis, en 1984, mon voisin, un boulanger à la retraite, m’a proposé de reprendre son jardin à la Fournillière parce qu’il ne pouvait plus le cultiver. A ce moment-là, je ne payais pas de loyer. Les jardins n’étaient pas connus. Il n’y avait qu’une entrée, le parking n’existait pas et des maisons à l’abandon étaient à moitié squattées. C’était vraiment la friche ! Pour les autres jardiniers, c’était pareil. Ils ont eu leur jardin grâce au bouche-à-oreille. Quand je suis arrivé, des personnes étaient là depuis longtemps. Chacun s’était un peu attribué sa parcelle mais c’était bien organisé quand même. Par contre, il n’y avait pas d’eau. Alors le soir, c’était la corvée d’arrosage. Comme il y avait trois puits et une mare, les vieux mettaient des bidons de deux-cents litres sur leurs charrettes à roulettes pour aller chercher l’eau au puits avec la corde et le seau. Quand j’ai pris la parcelle, je n’y connaissais rien en jardinage ! J’ai appris avec les anciens parce qu’il y en avait beaucoup ici. Il y avait des retraités que j’avais connus chez Dubigeon. Ils me disaient à quel moment je devais planter telle ou telle chose. Une partie des terrains appartenait à la Ville parce qu’à un moment donné, il y a eu un projet de pénétrante qui devait aboutir au parking Zola. Comme ça ne s’est pas fait, il y a eu plein de projets avant la création des jardins familiaux. Sous Chauty, il a été question d’un lotissement. Vous pensez bien, avec quatre hectares de terrains en friche, les promoteurs se seraient régalés ! En 1999, ça faisait quinze ans qu’on entendait parler des projets. On a même entendu parler d’une guinguette. En fait, il y a toujours eu des bruits et rien ne se faisait. Alors, chaque année, on revenait faire le jardin et puis, finalement, les jardins ont été gardés ! En 1999, quand la Ville a décidé de faire des jardins familiaux, tout a été rasé. Le terrain a été nettoyé et les parcelles ont été redécoupées. De nouvelles cabanes ont été installées parce qu’avant, c’étaient des vieilles cabanes qu’on avait faites nous-mêmes. Maintenant, ce sont les mêmes pour tout le monde. Des points d’eau ont été installés pour l’arrosage. La particularité du site, c’est qu’il y a des forages mais quand le puits est vide et que les forages ne donnent pas assez, on prend l’eau de la Ville. Au début, la Ville s’est occupée de l’attribution des parcelles et l’association a pris le relais. Les jardiniers qui étaient déjà là devaient être prioritaires. Mais ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça parce qu’on a récupéré des parcelles pas terribles. C’est pour cette raison que parmi tous les anciens qui avaient des jardins et qui s’étaient inscrits, il y en a plein qui ont laissé tomber. Du coup, dans les anciens, on n’était plus que trois.
Propos de Alain Lecorff recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire du quartier Dervallières - Zola en 2012 dans le cadre de la collection "Quartiers, à vos mémoires"
Témoignage (3/4) : L’Association pour les jardins familiaux de la Fournillière
Je suis arrivé à la Fournillière à la fin de l’année 2000. J’habitais au Breil et un copain qui avait une parcelle au Bois-de-la-Musse m’a parlé des jardins familiaux. J’ai attendu deux ans pour avoir un jardin alors que maintenant, il faut attendre cinq ans. Petit à petit, je me suis investi dans l’association et aujourd’hui, j’en suis le président. L’Association pour les jardins familiaux de la Fournillière a été créée en 1999 pour gérer le site. Notre rôle, c’est d’aller voir les gens qui font des problèmes comme ceux qui ne respectent pas la consommation d’eau par exemple. On s’occupe éventuellement des conflits entre voisins aussi. Quand ça se passe mal, on fait appel à la Ville. Il y a cent dix-neuf parcelles et elles sont quasiment toutes occupées. Cent dix-neuf parcelles, c’est donc cent dix-neuf jardiniers mais il ne faut pas se plaindre, il n’y a pas trop de conflits. C’est même rare mais il y a toujours un ou deux casse-pieds. Tout le monde est bénévole dans l’association mais des gens pensent qu’on va leur faire leur jardin ! Avant, l’association attribuait les jardins mais on a stoppé parce que ça causait beaucoup de problèmes. Les gens disaient qu’on donnait les jardins à nos copains. Maintenant, la Ville gère la liste des demandes et envoie les courriers. Les jardins sont attribués en fonction du lieu d’habitation pour éviter que les gens viennent de trop loin. Les personnes qui vivent en appartement sont prioritaires. Quelques jardiniers sont du centre-ville parce que dans le centre, il n’y a pas de jardins. Le prix du loyer annuel dépend de la surface de la parcelle. Le mètre carré est à quarante et un centimes donc si vous avez 100 m², ça fait 41 euros par an. C’est le même prix depuis douze ans. Ce n’est pas cher et la plupart des gens pensent que c’est le prix mensuel. Cette année, on a eu plus de vingt nouveaux jardiniers. Des parcelles se sont libérées suite à des expulsions ou à des abandons. Depuis quelques années, la Ville fait trois ou quatre passages par an pour vérifier que les jardins sont réellement cultivés parce que certaines personnes prennent un jardin pour bronzer ou casser la croûte alors qu’il y a une liste d’attente importante. C’est donc la Ville qui prend la responsabilité d’envoyer les courriers aux personnes qui ne font pas leur jardin. Ce qui a évolué depuis quelques années, c’est la cohabitation entre les jardins et le parc public puisqu’à la Fournillière, la Ville a mixé les deux usages. Quand je suis arrivé, le jardin n’était pas trop connu. Il y avait moins de chiens, moins de personnes, moins de grabuge et moins de dégradations. Maintenant, tout le monde connaît. L’inconvénient, c’est que le site est isolé et depuis six ou sept ans, le soir, c’est l’anarchie parce que le site n’est pas fermé. Depuis des années, on réclame des horaires d’ouverture et de fermeture comme dans les parcs publics.
Propos de Mario de Jésus Martin recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire du quartier Dervallières - Zola en 2012 dans le cadre de la collection "Quartiers, à vos mémoires"
Témoignage (4/4) : Des jardiniers et des jardinières...
Depuis quelques années, la population des jardiniers a changé. Dans le temps, on ne voyait pas une femme. Maintenant, quatre-vingt pour cent des jardiniers sont des femmes et on est au moins une douzaine de nationalités. Il y a des Portugais, des Turcs, un Arménien, un Irakien, un Iranien, des Marocains, des Algériens, des Tunisiens… On repère les différentes nationalités avec ce qui pousse dans les jardins ! Par exemple, les jardiniers d’Afrique du Nord font pousser des oignons, des fèves, des piments et de la menthe. Depuis 2000, on fait un méchoui tous les ans. Chacun apporte un plat et l’association achète la boisson et la viande. C’était le jardinier algérien qui était avec nous avant l’association qui s’occupait du méchoui. Mais il est décédé l’année dernière. Il venait à quatre heures du matin pour faire le feu. On aime bien être dans notre jardin. On y vient tout le temps. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse dans un appartement ? Il y a toujours du boulot, même l’hiver quand il fait froid ou qu’il gèle à pierre fendre. On vient ramasser un poireau ou un chou pour le pot au feu… Quand j’ai plein de petits pois ou de haricots verts, j’en donne à mes enfants. Ça me fait plaisir et ils sont contents, alors… Si on me demande des conseils, j’en donne et j’écoute aussi ceux des autres jardiniers. On apprend tous les jours. Il y a toujours des gens qui ont des idées intéressantes. La mode en ce moment, c’est le paillage. Nous, on a vécu à la mode de l’arrosage à tout va, du genre marécage. La génération change mais c’est bien.
Propos de Alain Lecorff recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire du quartier Dervallières - Zola en 2012 dans le cadre de la collection "Quartiers, à vos mémoires"
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En bref...
Localisation :
Charée (chemin de la) 14, NANTES
Typologie :
architecture de jardin et des espaces verts
En savoir plus
Bibliographie
Archives municipales de Nantes, Autour de la place Emile-Zola, Ville de Nantes, Nantes, 2013 (coll. Quartiers à vos mémoires)
Dabreteau Jacques, Parc de loisirs de la Fournillère, étude préalable, Ville de Nantes, Nantes, 1981
Pasquier Elisabeth, Cultiver son jardin : chronique des jardins de la Fournillière, 1992-2000, L’Harmattan, Paris, 2001
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