Nantes la bien chantée : En la rivière de Nantes
Un navire, décrit comme merveilleux dans ses attributs, quitte le port de Nantes pour se rendre vers le levant.
Cette très belle chanson s’inscrit à la fois dans le registre des chansons locales et des chants de marins, sous la forme d’un air à la marche ou à danser, selon le contexte dans lequel elle est interprétée. Étrangement, elle semble avoir échappé à la grande majorité des groupes dits de chants de marins qui, hélas, s’acharnent à ressasser, le plus souvent en braillant, les sempiternelles refrains qui sont, il est vrai, le secret d’une soirée moules-frites réussie.
De La Rochelle à Nantes
Résolument ancrée - si j’ose dire - dans le port de Nantes, cette chanson est probablement une inspiration, si ce n’est une adaptation, de la célèbre Les filles de La Rochelle, dans laquelle la majorité des couplets est également consacrée à la description d’un navire digne des contes et légendes de la mer. Afin de se remémorer ce tube de la chanson traditionnelle d’expression francophone mais aussi pour faciliter la comparaison, en voici une version, dans sa forme sans doute la plus classique. Et hop ! deux chansons pour le prix d’aucune !
refrain
Ah, la feuille s’envole, s’envole
Ah, la feuille s’envole au vent
Sont les filles de La Rochelle
Qu’ont frété un bâtiment (bis)
Pour aller faire la chasse dans les mers du levant
La grand-vergue est en ivoire
Les poulies en diamants (bis)
La grand voile est en dentelle, la misaine en satin blanc
Les cordages du navire
Sont des fils d’or et d’argent (bis)
Et la coque est en bois rouge travaillé fort proprement
L’équipage de ce navire
C’est toutes filles de quinze ans (bis)
L’capitaine qui les commande est le roi des bons enfants
Hier, faisant la promenade
Dessur le gaillard d’avant (bis)
Aperçut une brunette qui pleurait dans les haubans
Qu’avez-vous, jeune brunette
Qu’avez-vous à pleurer tant (bis)
Avez-vous perdu père ou mère ou quelqu’un de vos parents
Je ne pleure ni père ni mère
Ni quelqu’un de mes parents (bis)
J’ai perdu mon avantage qu’est parti la voile au vent
Il est parti vent arrière
Il reviendra vent dedans
Il reviendra jeter l’ancre dans la rade des bons enfants.
On remarquera sans peine que certaines expressions semblent avoir été empruntées « en l’état » dans la version Rivière de Nantes. Le phénomène est beaucoup plus courant qu’on ne le pense ordinairement mais pose la question de la nécessité ou de la motivation qui a incité une personne ou un groupe de personnes à adapter une chanson existante pour l’affubler de caractéristiques résolument locales.
La réponse se trouve peut-être du côté d’une forme inoffensive de chauvinisme, déviance comportementale assez classique que les Nantais - dont je suis - semblent assumer avec une certaine décontraction. Comme chacun sait, une part non négligeable de la richesse de la ville lui était due au trafic maritime, parmi les plus intenses de la façade Atlantique, comme on dit maintenant. Les principaux ports se livraient un concurrence assez rude et les marins comme les populations ne manquaient sûrement pas les occasions de vanter la magnificence et la puissance de leurs patelins respectifs. De plus, ces propos laudatifs s’étendaient à la beauté des filles, forcément plus belles qu’ailleurs, à l’humeur des habitants, plus sympas que les voisins, ou encore à la qualité de son industrie et de son artisanat. En d’autres termes : décrire la splendeur d’un navire c’est en dire autant de son port d’attache, si ce n’est de ses habitants.
Un langage maîtrisé
À la différence des Filles de La Rochelle qui, précisément, mettent en scène un équipage peu ordinaire composé de jeunes femmes embarquées sur un navire enchanté, La rivière de Nantes focalise son propos sur la description d’un navire qui représente et symbolise toute la puissance d’un port dont les autochtones n’étaient pas peu fiers. Cette fierté s’exprime ici jusqu’à l’exaltation. On remarquera que le chansonnier qui s’est livré à l’exercice subtil de l’adaptation connaissait vraisemblablement son affaire. Les différents éléments présentés sont parfois enrichis de termes techniques qu’un néophyte, par définition, ne maîtrise pas. Si le langage semble maîtrisé par l’auteur, il n’en est pas automatiquement de même du public de ce début de 20e siècle, où la marine à voile relève davantage de la muséographie que d’une réalité sociale de proximité. Quelques éclairages s’imposent donc :
Cabestan : appareil, en forme de treuil vertical, utilisé pour les manœuvres de force, telles que le relevage de l’ancre, le hissage des mâts de hune et des vergues… Dans la partie supérieure étaient creusés huit à douze logements dans lesquels on enfonçait l'extrémité de demi-barres que les matelots poussaient.
Focs : voiles triangulaires de différentes tailles, utilisées selon la force du vent (génois, grand foc, foc moyen, tourmentin…).
Grand-vergue : pièce de bois, de métal ou autre, articulée ou fixée au grand mât, qui porte la voile fixée par sa bordure supérieure.
Guindeau : appareil (axe horizontal) servant le plus souvent à mouiller et à relever les ancres
Jusant : marée descendante (on parle de courant de jusant pour évoquer le courant provoqué par la marée descendante).
Rabans : cordage de relativement faible longueur, aisément manipulable, servant à amarrer ou saisir divers objets, serrer une voile sur une vergue…
Au final, on réalise que l’aspect merveilleux de ce navire est à relativiser, voire à ne pas prendre en compte car les attributs a priori fantastiques du navire ne le sont pas si on les considère d’un point de vue strictement comparatif : la grand-vergue est lumineuse COMME de l’ivoire, les poulies brillent COMME du diamant, la grand-voile semble AUSSI fine et légère QUE de la dentelle, etc. Ce qui m’amène à la conclusion que nous sommes là en présence d’une forme de commentaire décrivant un navire flambant neuf qui part pour sa première course vers les mers du levant et, comme pour saluer l’évènement, un chansonnier plutôt inspiré s’est livré au jeu délicat de l’adaptation d’une chanson pré existante et bien connue de la pratique populaire. En quelque sorte, un hymne au départ du nouveau fleuron de l’industrie navale nantaise.
Quant au cargo embarqué, c’est une fantaisie de l’auteur, l’exportation de cidre ET de vin blanc vers les Indes ou le levant n’était probablement pas d’actualité en cette époque glorieuse (première moitié du 19e siècle, dirait-on). Le fut-elle un jour ?
La Loire Nantaise
Enfin, il ne semble pas inutile de préciser (ou rappeler, selon les cas) que l’expression « rivière de Nantes » pour nommer la Loire était courante, si je puis me permettre, jusqu’au 19e siècle et qu’il ne s’agit pas uniquement d’une fantaisie d’auteur. Elle était d’ailleurs utilisée plus en amont, bien au-delà de l’estuaire.
Hugo Aribart
Dastum 44
2019
En la rivière de Nantes
L’y a t’un beau bâtiment (bis)
La coque est en bon chêne
Travaillée proprement
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
La grand-vergue est en ivoire
Les poulies en diamant (bis)
La grand-voile en dentelle
Les focs en satin blanc
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
Les cordages du navire
Sont des fils d’or et d’argent (bis)
La cale est toute pleine
De cidre et de vin blanc
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
Amarré sur la Fosse
Attendait le bon vent (bis)
V’là l’capitaine qui crie :
Au guindeau, les enfants !
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
Le navire sur son ancre
D’rive avec le jusant (bis)
A salué Sainte-Anne
De son canon en passant
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
En vue de Saint-Nazaire
On vire au cabestan (bis)
Puis on met le cap au large
Et largue les rabans
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
Parti pour faire la course
Dans les mers du Levant (bis)
C’est sur la mer des Indes
Qu’il navigue à présent
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
A la mi-juin prochaine
On r’verra le bâtiment (bis)
Sa grand-voile en dentelle
Ses focs en satin blanc.
Gai, gai falira dondaine
Gai, gai falira dondé
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Discographie
Nicolas Pinel (réponse : Jean-Louis Auneau et Hugo Aribart) le 29 août 2018 à Nantes, d’après la version recueillie par Abel Soreau à Saint-Père-en-Retz (44), le 3 mars 1894, auprès de Mme E. Bouyer
Version sonore
Nicolas Pinel (réponse : Jean-Louis Auneau et Hugo Aribart) le 29 août 2018 à Nantes, d’après la version recueillie par Abel Soreau à Saint-Père-en-Retz (44), le 3 mars 1894, auprès de Mme E. Bouyer
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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