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Pont de la Tortière Théâtre Graslin

1181

Habitat des bords de Loire : s'adapter aux crues (1/3)


La rareté des constructions qui témoignent d’une adaptation aux crues est inattendue sur un territoire où la violence des flots démontant des ponts et obligeant la population à circuler en barque ou sur des planches de bois ont durablement marqué les esprits.

Les dangers du fleuve

La Loire aval est soumise à trois types de crues :  les crues dites océaniques, provoquées par des fronts pluvieux venant de l’océan, touchent l’ensemble du bassin ; les crues dites cévenoles, provoquées par des épisodes pluvieux intenses lorsque l’air froid venu du nord rencontre l’air chaud de la mer à l’automne, sont violentes, courtes et leur dégâts sont assez localisées ; les crues mixtes dans lesquelles se conjuguent des phénomène océaniques et cévenolesamènent les crues les plus longues et les plus dangereuse. Conjugué à des coefficients de marée et des vents d’ouest, chacun de ces phénomènes peut entraîner une surcote importante du niveau de la Loire et, par contagion, de ses affluents (Chézine, Erdre et Sèvre).

Les modifications de la Loire depuis le 20e siècle, le comblement de deux des bras nantais et le creusement du chenal principal ont modifié les conditions d’écoulement du fleuve en période de crues : malgré des conditions climatiques identiques, la crue de 1982 a atteint un niveau inférieur de 1,90 mètre à celle de 1910. Dans le même temps, les travaux de surélévation des îles et des rives ont modifié le rapport aux dangers du fleuve ; seules les zones les moins protégées comme les rives de Rezé, Port-Lavigne à Bouguenais, Port-Launay à Couëron courent encore un vrai danger.

Habiter les rives des faubourgs et de la ville

Malgré ces phénomènes, les hommes ont dès l’Antiquité construit sur les rives de Loire et se sont, dès le Moyen Âge, implantés sur les îlots rocheux émergeant dans le lit du fleuve. Il est donc légitime de s’interroger sur les raisons qui ont pu pousser les hommes à s’installer dans ce milieu potentiellement hostile et les spécificités de cet habitat permanent.

L’habitat ancien des faubourgs rivulaires comme celui de la Fosse est rare. Une seule maison à pans de bois - peut-être remontée au 18e siècle, voire au 19e siècle, subsiste au 2, rue de la Fosse. Son architecture très sobre diffère peu de celles conservées dans d’autres quartiers de la ville, à l’exception de l’absence d’encorbellements et de décor sculpté. Très étroite, son rez-de-chaussée en pierre de taille a été largement ouvert par des devantures de boutique et les pans bois sont montés à partir du 1er niveau. Ce rare exemple suggère que la manière d’habiter les rives proches ne différait pas de celle des quartiers protégés par les murailles.

Maison n°2 rue de la Fosse

Maison n°2 rue de la Fosse

Date du document : 10-07-2017

Ce constat est identique pour le 18e et le 19e siècle. Le mode constructif des immeubles de l’île Feydeau et des quais de la Fosse, Brancas, Flesselles et Gloriette ne diffère pas ou peu de ceux érigés sur les coteaux ou au cœur de la ville : les façades sur Loire sont en pierre de taille tandis que celles à l’arrière ou sur les côtés sont en moellons de schiste liés au mortier. Les bras du fleuve sont considérés comme des rues le long desquels des fronts urbains sont mis en place pour régulariser, améliorer et embellir la ville. Le mode fonctionnel est également identique : les bâtiments sont des immeubles collectifs dans lesquels les rez-de-chaussée sont réservés aux magasins - entrepôts selon l’acception du 18e siècle -, ou aux boutiques tandis que les habitats sont aménagés dans les étages.

Hôtel de la Villestreux, façade quai de Turenne

Hôtel de la Villestreux, façade quai de Turenne

Date du document : 11-07-2017

Ce constat ne cesse d’interroger car pour les propriétaires de ces immeubles de rapport, souvent négociants, les marchandises entreposées dans les magasins représentent leur capital, leurs biens précieux ; et ceux-ci étaient soumis aux dangers annuels du fleuve. Peut-être y avait-il des aménagements intérieurs qui permettaient de surélever les stocks ou peut-être les déménageait-on vers les étages lors des crues ?

Habiter les ponts

Si les constructions le long des rives en cœur de ville ne diffèrent pas de celles des autres quartiers urbains, il n’en va pas de même pour l’habitat érigé sur le fleuve.

L’un des premiers habitats lié au fleuve est celui de la ligne des ponts. Les nombreuses descriptions de voyageurs ainsi que les archives communales permettent d’attester que les ponts et les chaussées qui les relient étaient bâtis. Pour autant peu de ponts semblent avoir été bâtis contrairement à ceux de Blois ou d'Orléans. Le pont de la Belle-Croix est le seul sur lequel des logis ont été bâtis à la fin du 16e siècle, après sa reconstruction sur des arches de pierre. Sept logis y sont affermés en 1653.

Vue prise depuis le quai de l'hôpital

Vue prise depuis le quai de l'hôpital

Date du document : fin du 19e siècle

Le pont de Toussaints semble également avoir été un lieu d'érection d'habitation : six logis y sont dénombrés. Sur celui de Pirmil, seule une maison est bâtie. Ces habitations sont détruites à partir de 1723 car ces logis sont considérés comme étant contraire à l'embellissement et aussi à la sûreté du pont, dont les travées de bois seraient brûlées en cas d'incendie desdites maisons et, « sur ce principe, on a deffandu depuis peu de réedifier les maisons qui ont estez incendiées sur le pont Nostre Dame à Paris ».

Vue du pont de Pirmil

Vue du pont de Pirmil

Date du document : début du 20e siècle

Habiter les îlots rocheux de la Loire

Le long des chaussées, de véritables hameaux formant faubourg se développent dès le Moyen Âge. Néanmoins, seuls les rochers - hors d’eau - sont alors propices au peuplement. Le plus peuplé est celui de la Saulzaie, aux portes de la ville, mais des agglomérations existent également sur le rocher de Petite Biesse et sur celui de Vertais. Ces hameaux vivent du commerce généré par les marchands et voyageurs qui traversent les ponts et les auberges semblent nombreuses : dans la seconde moitié du 15e siècle, Pierre Landais, favori du roi, est seigneur de Vertais et a reçu une autorisation pour vendre du vin sur son îlot. Au 17e siècle, Dubuisson-Aubenay décrit la Saulzaie comme « un petit bourg bien ramassé et rempli de bonnes hostelleries ». Ces hameaux regroupent également des activités artisanales dont certaines liées à l’eau comme les gabarriers, les pêcheurs ou les lavandières et des complexes religieux comme la chapelle de la Madeleine et le prieuré de Toussaints sur l’île de la Madeleine à partir du 12e siècle et le couvent des Récollets au 17e siècle. L’habitat de ces hameaux insulaires est étagé sur les flancs des îlots rocheux. Les immeubles présentent le long de la chaussée un front urbain discontinu. Ils ont un ou deux étages et leurs rez-de-chaussée sont occupés par des boutiques tandis que les étages sont consacrés à l’habitat. Le parcellaire restreint conduit fréquemment à recourir à des escaliers et des coursières extérieures pour ménager plus de place pour les habitations. Des venelles accessibles par des passages couverts percés dans les façades sur rue desservent des constructions en rez-de-chaussée (logements, remises, ateliers, appentis et caves) qui s’étalent jusqu’aux prairies inondables ou jusqu’à des petits « ports » aménagés grâce à une grève ou une cale sur les boires ou le fleuve. Ces aménagements varient très peu jusqu’au 18e siècle et quelques exemples qui ont néanmoins perdu leur caractère insulaire et leur accès à la Loire sont encore visibles rue de Haute Saulzaie et rue de Petite Biesse.

Ensemble n°16 rue de Petite Biesse

Ensemble n°16 rue de Petite Biesse

Date du document : 21-06-2019

Sur la rive rezéenne, un autre îlot rocheux est peut-être habité depuis le Moyen Âge, celui de Trentemoult. Cet îlot qui ne mesure que treize hectares est inondé ou isolé par les glaces tous les ans et les attaques du fleuve y sont si violentes pendant les mois d’hiver que la majorité des habitants se réfugient dans les « hauts champs », sur le coteau de Rezé. Pourtant, dès le 17e siècle, une cinquantaine de foyers permanents y sont déclarés car les habitants des îles rezéennes sont les véritables propriétaires de ces terres roturières dont ils ne réfèrent qu’au roi et profitent d’un droit de pêche en Loire accordé depuis 1397. Ce régime légal et fiscal particulièrement favorable pour l’Ancien Régime explique à lui seul l’attrait de ces espaces peu propices à l’installation durable de communautés. Pour survivre dans cet environnement exigu et fragile, les habitants ont développé une typologie constructive originale entre le 18e et le 19e siècle. La majorité des maisons, souvent étroites, sont en rez-de-chaussée surélevé surmonté d’un ou deux étages d’habitation et d’un grenier sous comble éclairé. La surélévation varie de un à trois mètres et les logements sont accessibles par des escaliers extérieurs. Le partage fonctionnel des habitations, révélé par les archives, est également original : les rez-de-chaussée - qui peuvent quelquefois être légèrement enterrés - et les greniers n’appartiennent pas forcément aux occupants de l’étage d’habitation et l'émiettement des propriétés semble avoir été pratiqué pour permettre à tous de posséder des lieux de stockage et de rangement appropriés à ses occupations ou à la taille de sa famille.

Maison n°8 rue Samson à Rezé

Maison n°8 rue Samson à Rezé

Date du document : 04-07-2018

Une autre typologie d’habitat a également été développée à partir du 19e siècle sur cet îlot. Des parcelles situées en marge du noyau originel, au 6 rue Roine, au 15 quai Surcouf ou au 26 quai Marcel Boissard, ont été entièrement remblayées pour bâtir les maisons sur des buttes artificielles. Le long des murs de clôtures des cales privées (simple quai Surcouf, ou double rue Roine) ont été bâties pour permettre d’accéder aux terrains lors des crues. Dans le même esprit que ces deux exemples, les parcelles sises au 16, 23, 26 quai Marcel Boissard et d’autres autour de la place des filets ont également été remblayées au 20e siècle. Ces aménagements en front de fleuve témoignent de l’extension du village vers les rives à la fin du 19e siècle et au 20e siècle et d’une nouvelle adaptation aux crues ordinaires.

Maison n°26 quai Marcel à Rezé

Maison n°26 quai Marcel à Rezé

Date du document : 04-07-2018

Suite Habitat des bords de Loire : Les évolutions des 19e et 20e siècles (2/3)

Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021

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