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Perrières Charles Ange Laisant (1841 – 1920)

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Nantes la bien chantée : La belle aux cheveux tressés


Les jeunes filles « enlevées » sont des héroïnes que la chanson traditionnelle semble particulièrement apprécier. Il faut bien reconnaître que le motif possède toutes les qualités pour servir de base à des récit épiques, romanesques, tragiques ou burlesques. Cette « belle aux cheveux tressés » est de celles qui comptent parmi les belles kidnappées, promises à un destin sordide du fait de la scélératesse ordinaire de soudards sans scrupules.

Voici un des « tubes » du chant a répondre en Loire-Atlantique. On le trouve d’un bout à l’autre du département (et bien au-delà bien sûr), sous la forme d’un chant à la marche ou d’un chant à danser. A danser le bal, de préférence.

Nantes, dans le texte

Si le récit débute dans les faubourgs de Nantes, force est d’admettre que la localisation dans la cité des ducs est loin d’être partagée par toutes les versions. Pour ne parler que de celles recueillies en Loire-Atlantique, on constate que les versions recueillies en pays de Châteaubriant et plus largement dans la moitié est, choisissent Nantes alors que les versions de l’ouest du département privilégient évidemment Guérande. D’autres versions situent l’action de manière moins précise : « là-haut, là-bas de sur ces landes », d’autres encore ne la localisent nulle-part en particulier : « chez mon père nous étions trois filles ». En réalité, on aura compris que le lieu initial n’a aucune importance ni incidence sur le récit, mais on choisira tout de même un patelin suffisamment éloigné de Paris pour accentuer l’effet dramatique de l’éloignement subséquent au rapt.
Ce qui compte, c’est bien l’enchainement des différents épisodes : localisation, présentation des trois sœurs, scène sereine du petit frère coiffeur, rupture brutale avec le rapt, éloignement, asservissement de type prostitution « en maison ».

Rapt et enlèvement : piqûre de rappel

Il ne me semble pas inutile de rappeler la différence thématique entre le motif du rapt et celui de l’enlèvement. Notre époque ne fait pour ainsi dire plus cette distinction, si tant est qu’elle l’ait fait par le passé, mais ce n’est pas le cas de la chanson traditionnelle qui appelle un chat un chat et un chien un chien. Quoique pas toujours, à la réflexion…
Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple frappant du dispositif « alerte enlèvement ». Tout un dispositif de sécurité nationale se met en activité dès lors que les autorités compétentes estiment très probable, en cas de disparition d’un individu – un enfant, le plus souvent - que cette disparition soit le fait d’un acte criminel que l’usage contemporain qualifie, précisément, d’enlèvement. Il ne s’agit pas ici de minimer le drame cruel qui se joue dans cette circonstance, mais pour la chanson traditionnelle, l’expression appropriée serait plutôt « alerte rapt ».

Pour faire simple, la différence entre ces deux notions dépend de l’attitude du personnage principal, presque systématiquement féminin. Si la belle est enlevée contre sa volonté, il s’agit d’un acte criminel et donc d’un rapt. En revanche, si la belle part de son plein gré avec son ravisseur, le plus souvent au terme d’un complot ourdi par les deux protagonistes, on parle alors d’enlèvement, même si l’histoire se solde éventuellement par un drame, voire une tragédie. Il ne faut donc pas confondre, dans le cadre de la chanson – j’insiste sur ce point – les rapts et les enlèvements, même si parfois, la distinction n’est possible qu’à condition d’un examen minutieux des détails que peut produire le texte.
Or donc, la chanson présentée ici, le doute n’est pas permis, relate un rapt. Et même un modèle du genre.

Le rapt : un thème inusable

La chanson-type de La belle aux cheveux tressés est l’une des plus fameuses et probablement des mieux attestées dans les collectes modernes, relatant un rapt. Ce thème demeure très prisé de la chanson, comme de la littérature, de la mythologie ou encore du cinéma, au point d’ailleurs que Patrice Coirault ait estimé nécessaire d’en faire une catégorie à part entière dans sa grande classification thématique du répertoire. Ce en quoi, je lui donne entièrement et modestement raison. Dans cette catégorie, on recense pas moins de 29 chansons-types.

Ce qui peut paraître étonnant, c’est qu’en dépit de l’acte résolument criminel décrit dans ces chansons, toutes ne sont pas traitées sur un ton dramatique, alors que le genre « complainte » semblerait a priori mieux adapté.
Prenons l’exemple de La barque de trente matelots, très connues partout en France et notamment en pays Nantais avec le refrain – qui fait parfois office de titre - « sur les bords de la Loire, tout près du ruisseau, tout auprès du vaisseau, charmant matelot ! ». Pratiquement toutes les versions présentes dans les archives sonores de Dastum sont interprétées sur un air de marche – presque toujours le même - et le propos reste d’humeur badine, même dans la scène où l’héroïne pleure son « avantage », volé par le matelot que le refrain prétend charmant. On pourrait en dire autant des types Les trois navires chargés de blé - cf. NBC 004 -, du Petit mercelot - NBC 013 -, dont le propos n’est pas sans rappeler certains fabliaux des temps anciens ou encore de M’en revenant de la jolie Rochelle.
Cela dit, on peut aussi trouver des rapts qui font partie intégrante des monuments de la complainte, car dans cette catégorie, on peut aussi trouver la pieuse Fille changée en cane et l’héroïque Belle qui fait la morte pour son honneur garder.

Trois filles, trois dragons, quatorze pieds assonancés : le compte est (presque) bon7
Nul besoin d’être familiarisé avec le répertoire traditionnel pour savoir ou pressentir que le chiffre trois est d’une importance singulière – comme le chiffre sept, d’ailleurs – importance que son étonnante  récurrence ne peut que conforter. Dans la chanson type de La belle aux cheveux tressés, le chiffre 3 intervient en général à trois reprises – ça ne s’invente pas – même si dans la version présentée ici on ne l’observe qu’à deux reprises : trois demoiselles et trois dragons. Mais dans nombre de versions, le petit frère tresse les cheveux de sa sœur « brin à brin, à trois cordons ».
Je ne m’attarderai pas ici sur les dimensions symbolique, magique, religieuse voire mystique du chiffre trois qui en font un chiffre de toute première importance sous nos latitudes, mais soulignerai simplement que la chanson ne déroge pas à cette tradition, si je puis dire.

Quant à la forme, précisons que nous avons là un bien bel exemple de chanson en laisse, constituée de vers-couplet de quatorze pieds assonancés en « on ». Vous allez me dire : « eh oh ! le premier couplet ne rime pas ! ». Certes, mais si l’on compare cette version avec pour ainsi dire toutes les autres, on observe que le texte courant nous dit ceci :

    C’est dans les faubourgs de Nantes, il y a t’une maison
    Où l’y a trois jeunes filles, bonnes à marier nous dit-on
    La plus jeune, c’est… etc.

Transcrite sous cette forme, on voit d’ailleurs mieux apparaître le vers de 14 pieds et l’assonance « on » qui tombe mécaniquement au bout de chacun. C’est drôlement bien fait, la chanson trad’, quand on y pense !

Si je voulais pousser l’analyse un peu plus loin et faire mon malin en société, j’évoquerai également l’hémistiche qui, comme on peut le constater, est d’assonance systématiquement féminine alors que la rime est masculine. Ce jeu masculin-féminin entre l’hémistiche et la conclusion du vers et très courant, pour ne pas dire structurel dans la chanson dite « en laisse ». Mais là encore, le lecteur pointilleux va s’exclamer : « eh ! oh ! l’hémistiche du 5ème couplet est masculin. Certes, mais là encore, je vais me tourner vers d’autres versions et pourrai constater que « les cheveux blonds » de la version présentée ici sont, en quelque sorte un accident ou une adaptation de l’interprète initial, qui vient remplacer l’habituel…
    Elle a de beaux cheveux jaunes, qui lui pendent jusqu’aux talons
… par des cheveux blonds au reste assez peu élégants à l’oreille. D’ailleurs, l’épithète « blond » est un apport récent, le stéréotype utilisant le terme « jaune » pour dire blond. De même qu’une main est forcément blanche, le sourcil doré - donc ni jaune, ni blond -, la bouche vermeil, etc.
Pour information, c’est aussi à ce genre d’indice que l’on peut distinguer une chanson traditionnelle d’une création ou d’une adaptation de lettré plus ou moins inspiré.

Hugo Aribart
Dastum 44
2021

1. C’est dans les faubourgs de Nantes - Bis
Qu’il y a trois belles demoiselles, verse à boire
On les prendra par leur nom, verse à boire et buvons donc

2. La plus jeune, c’est Germaine - Bis
Oh, Germaine, c’est un beau nom, verse à boire
Oh, Germaine, c’est un beau nom, verse à boire et buvons donc

3. La deuxième, c’est Elisabeth - Bis
Elisabeth, c’est un beau nom, verse à boire
Elisabeth, c’est un beau nom, verse à boire et buvons donc

4. La troisième, c’est Mélanie - Bis
Mélanie, c’est un beau nom, verse à boire
Mélanie, c’est un beau nom, verse à boire et buvons donc

5. Elle a de beaux cheveux blonds - Bis
Qui lui pendent jusqu’aux talons, verse à boire
Qui lui pendent jusqu’aux talons, verse à boire et buvons donc

6. Son p’tit frère qui lui les tresse - Bis
Par derrière et sur son front, verse à boire
Par derrière et sur son front, verse à boire et buvons donc

7. Oh, ma sœur, que tu es belle - Bis
Les militaires t’emmèneront, verse à boire
Les militaires t’emmèneront, verse à boire et buvons donc

8. Comment veux-tu qu’ils m’emmènent - Bis
Ils ne connaissent pas mon nom, verse à boire
Ils ne connaissent pas mon nom, verse à boire et buvons donc

9. La parole n’était pas dite - Bis
Qu’il arrive trois jeunes dragons, verse à boire
Qu’il arrive trois jeunes dragons, verse à boire et buvons donc

10. Puisqu’à Paris l’on m’y emmène - Bis
Tu n’tress’ras plus mes beaux ch’veux blonds, verse à boire
Tu n’tress’ras plus mes beaux ch’veux blonds, verse à boire et buvons donc

11. Puisqu’à Paris l’on m’y emmène - Bis
A Paris dans un boxon, verse à boire
A Paris dans un boxon, verse à boire et buvons donc

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En savoir plus

Bilbiographie

Coirault, Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes
La belle dont les cheveux viennent jusqu’aux talons (Rapts - N° 01329) : 25 versions référencées

Laforte, Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes
La belle aux cheveux tressés (I, M-05) : … versions référencées

Discographie sélective

Guillou, Roland, Chants à la marche en Loire-Atlantique, Dastum 44, 2003, plage N° 10

Enregistrement

Françoise Bourse (chant) et Agnès Pihuit (réponse), à Guérande le 10 juillet 2020, d’après la version recueillie à Nozay (44) auprès d’Aurélie Renaud le 3 juillet 1991 (collecte : Pierre Guillard)

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Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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