Cités ouvrières des Batignolles
En 1920, la Société de Constructions des Batignolles (SCB) vient d’ouvrir ses ateliers nantais. Elle va loger une partie de ses salariés dans 450 maisonnettes en bois préfabriquées par les établissements Bessonneau d’Angers. Elles forment trois cités : la Halvêque, la Baratte, le Ranzay.
Crise du logement
À Nantes, dès son ouverture, l’usine est confrontée à un grave problème. Elle va tourner avec plusieurs centaines d’ouvriers. Où va-t-on les loger ? En ville ? une ligne de tramways dessert la gare de Saint-Joseph depuis 1906. Mais on n’a guère construit pendant la guerre, et la crise du logement sévit à Nantes. La Ville pourrait peut-être faire construire des habitations à bon marché près des Batignolles ? La Ville a d’autres soucis ; du Marchix à Barbin, de Chantenay à la Madeleine, elle a suffisamment de taudis à remplacer. Elle en est réduite à aménager les mauvais baraquements militaires du Champ-de-Mars, de Roche-Maurice, du Grand-Blottereau. Inflation et spéculation n’arrangent rien.
Et puis les premières prévisions ont dû être rapidement dépassées, l’usine ne va pas se contenter d’employer seulement quelques centaines d’ouvriers. Une grande partie d’entre eux a réussi à se loger en ville ; les Batignolles ont loué un hôtel pour les ouvriers seuls, 23 rue du Maréchal Joffre ; cela n’y suffit pas. Il faut se résoudre à édifier des cités ouvrières autour de l’entreprise. Justement, à Angers, la maison Bessonneau vient de développer un nouveau secteur, la construction en série de divers bâtiments préfabriqués en bois, destinés aux régions du nord et de l’est ravagées par la guerre. Les Batignolles lui commandent 450 maisonnettes de trois et quatre pièces. C’est une sorte de filiale de la SCB, la Société Immobilière du Portricq, qui sera propriétaire et gérante des nouvelles cités : une forme de propriété exigée probablement par la législation. Une « superintendante », l’infirmière Madame Loukianoff, va diriger la Société Immobilière.
Ateliers « bois » des établissements Bessonneau à Angers
Date du document :
450 maisons, 3 cités
« Nous avons l’honneur de solliciter l’autorisation de construire, à titre provisoire, [souligné par le service municipal] […] des maisons ouvrières en bois, type Bessonneau, adopté dans les régions dévastées, pour nous permettre, vu la pénurie de logements, de loger dans le plus court délai possible une partie des ouvriers nécessaires à la Cie Gle de construction de locomotives, en vue de développer le rendement de ses usines. » C’est la demande du permis de construire la cité du Ranzay, déposée à la mairie de Nantes le 31 mars 1920.
La notice jointe décrit 75 maisons de bois type Bessonneau, à trois pièces, composées de panneaux à double paroi ; l’extérieur est en bois peint ; les parois intérieures et les plafonds reçoivent un enduit en plâtre sur lattis ; un appentis est accolé à l’un des pignons pour servir de débarras ; la couverture est en ardoises d’Angers ; l’ensemble repose sur un socle de béton . La cité est alimentée en eau de la ville par quatorze bornes-fontaines placées aux carrefours. Les sanitaires : pour chaque groupe de quatre maisons, des WC extérieurs à quatre compartiments, avec des fosses étanches de 8 m3, au fond du jardin. Les eaux usées sont évacuées par des canalisations de 0,10 m de diamètre ; un égout les rassemble et les rejette dans le grand collecteur municipal : l’Erdre.
Maison Brissoneau à Angers
Date du document : vers 1920
Le 4 août 1920, la Société immobilière demande une autorisation semblable pour la cité la Baratte, qui comprendra, elle, 102 maisons de quatre pièces. 42 emplacements supplémentaires sont réservés pour une éventuelle extension de la cité. La cité sera édifiée à l’angle d’un « boulevard en construction », le boulevard des Batignolles, et de la « route de Saint-Georges » (rue de la Gare-de-Saint-Joseph). À l’angle même, une parcelle est réservée pour construire un groupe scolaire de deux classes ; c’est le terrain qui recevra l’église. Quelques mois plus tard, une troisième cité, la Halvêque, la plus importante, avec ses 250 maisonnettes, est édifiée entre le chemin de Saint-Georges et la route de Châteaubriant (rue du Professeur Auvigne).
Les célibataires sont logés au Ranzay dans sept « bâtiments américains », cinq « hangars-dortoirs » Bessonneau, et des baraquements Limousin qui ont abrité les bâtisseurs de l’usine. Certains reçoivent tout simplement deux rangées de lits espacés d’environ deux mètres, d’autres sont divisés en petits logements de deux pièces, en chambrettes de 3,90 sur 2,50 mètres.
Lors des études pour la délimitation de la paroisse Saint-Georges, on avait laissé entendre à l’évêché que l’entreprise pensait faire bâtir une quatrième cité à la Haute-Bretonnière – est-ce la raison de l’achat du domaine voisin du Launay ? – et une cité « en dur » le long de la route de Paris.
Un confort… relatif
Les cités ont l’eau de la ville, mais il faudra longtemps aller la chercher à la fontaine du carrefour, fontaine qu’il faut d’abord dégeler les petits matins d’hiver. Les ouvriers apprendront vite à utiliser les tuyaux des chaudières de locomotives pour amener l’eau jusque chez eux. Certains quartiers de la commune de Nantes même, comme la Boisbonnière à Gâchet, n’auront l’eau de la Ville qu’à la fin des années 1960…
Détail de la fresque murale,   La sanctification du travail  
Date du document : 1948
Un petit jardin entoure la maison ; c’est un loisir ou une nécessité ? Le règlement interdit de le laisser en friche, et chaque année, Monsieur le Directeur préside le concours du plus beau jardin. La lessive se fait en commun, au lavoir public. Chaque maison, peinte en rouge brique, avec ses volets verts, son toit d’ardoises et « sa petite cheminée en tôle galvanisée surmontée d’un élégant chapeau », est entourée d’un jardinet enclos de ganivelles, clôture faite de tiges de châtaignier refendues tenues par du fil de fer. Ces barrières servent souvent de tuteurs à des rosiers pompons qui renforceront plus tard la sympathique image des cités. C’est presque le paradis sur terre, constate l’abbé Durville, les ouvriers « y passeront les nombreux loisirs que leur laisse la journée de huit heures, et s’il leur faut un dérivatif à leur dur labeur quotidien, ils iront le chercher en cultivant le lopin de terre qu’on aura eu bien soin de leur réserver à la porte de leur maison. À ce régime, la qualité de la main d’œuvre française aura tôt fait de devenir incomparable. » Comment pourrait-on se laisser encore tenter par le cabaret, par le syndicat « extrémiste », ces inventions de Satan !
Cités en fleurs
Date du document : 1931
Isolation thermique
Le constructeur Bessonneau certifie la bonne isolation de ses maisonnettes, et Monsieur le Directeur le confirme (ils n’y habitent ni l’un, ni l’autre ; Monsieur le Directeur des Batignolles habite le manoir de la Renaudière, et Messieurs les Ingénieurs le château de la Noë ou des appartements en ville) ; elles sont efficacement protégées contre le froid et la chaleur par une couche d’air isolant entre les deux parois qui constituent le mur. « Le Comité de Patronage des Habitations à Bon Marché a bien voulu reconnaître toutes les qualités de ce genre de constructions en leur accordant le certificat de salubrité », précise Monsieur le Directeur des Ateliers de Nantes. « Quand il faisait zéro dehors, il faisait zéro dedans », diront les locataires.
Neige sur la cité des Batignolles
Date du document : 1955
Aujourd’hui, on les trouverait vraiment exiguës, on ne supporterait plus leur manque de confort. Mais pour qui arrivait du Marchix ou des chambres de bonnes sous les toits de la rue Crébillon, les cités, avec leurs petits jardins fleuris, étaient un vrai paradis. On avait l’électricité, aux Batignolles, ce qui était loin d’être le cas partout, et pas seulement au fond de campagnes perdues. On avait l’eau de la ville, dans la rue il est vrai, mais c’était de l’eau potable. Les rues des cités se coupent à angles droits ; elles n’ont pas de noms mais, à partir de 1930, des numéros, « comme en Amérique » : les ingénieurs en mission aux États-Unis en avaient-ils rapporté cette idée ?
La cité du Ranzay est complétée en avril 1920 par un « bâtiment-cantine », une bâtisse en maçonnerie coiffée d’une charpente métallique, couverte en tuiles : un réfectoire, immense pour les ouvriers ; un réfectoire plus petit pour les employés, quelques salles de réunion, bien séparées, pour les uns et pour les autres. Les cités en bois abritaient 2 000 habitants en 1931 ; 500 d’entre eux étaient nés dans un pays étranger. Lorsqu’en 1924 le frère du roi de Siam visite l’usine de Nantes, on n’hésite pas à lui présenter la Halvêque et le Ranzay comme des cités modèles.
Louis Le Bail
2018
En savoir plus
Bibliographie
Bellepomme Bruno, Les Batignolles, 3 cités, un quartier, Broché, 1994
Bellepomme Bruno, Photos souvenirs des Batignolles, Broché, 1995
Patillon Christophe, Deniaud, Joëlle, Batignolles, Mémoires d’usine, mémoires des cités, CHT, 1991
Le Bail Louis, Saint-Jo et les Batignolles, histoires d’un quartier nantais, Amicale laïque Porterie, 2012
Documentation
Exposition sur l'histoire des Batignolles par l'association Batignolles-Retrouvailles
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Rédaction d'article :
Louis Le Bail
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