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Procès dit des « Quarante-deux » Nantes la bien chantée : L'infanticide

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Cinéma


L’histoire du cinéma à Nantes débute avant le brevet des frères Lumière avec des inventions aux intitulés délicieusement surannés : Silhouetoscope, Aléthescope pittoresque, Kinephotographe, Cosmorama mouvant… Elle se poursuit jusqu’à la fin du 19e siècle sur les champs de foire, avec Le plus grand cinématographe qui voyage de Salomon Kétorza. Et le Cinématographe Lumière fait halte à Nantes, le 13 juin 1896 au 6 rue Jean-Jacques Rousseau, où Jules Verne vécut enfant…

Courrier à en-tête de Salomon Kétorza-Drumont (Katorza) à Monsieur le Maire

Courrier à en-tête de Salomon Kétorza-Drumont (Katorza) à Monsieur le Maire

Date du document : 04-05-1902

Un premier long-métrage est réalisé aux environs de Nantes en 1914 par René Leprince et Ferdinand Zecca sous le titre La lutte pour la vie, mélodrame social et sentimental, mais c’est seulement en 1925, que le cinéma s’empare de la ville et du Château des ducs de Bretagne où Luitz-Morat tourne Jean Chouan, un ciné-roman, une histoire d’amour contrariée au temps des guerres de Vendée.

Nantes n’est pas alors un espace de fiction très fréquenté, même si le port fait l’objet de bandes d’actualités, préfigurant une veine documentaire, discrète mais persistante. Il faut attendre 1946 et Le Bateau à soupe de Maurice Gleize, d’après le roman du Nantais Gilbert Dupé, pour que la vocation maritime de la ville s’incarne en la personne de Charles Vanel, capitaine du voilier la Duchesse Anne. Tourné aux studios parisiens des Buttes-Chaumont, mais aussi sur les bords de l’Erdre et à Trentemoult, le film marque un certain Jacques Demy alors âgé de 15 ans.

Jacques Demy transfigure la ville

Marins, filles perdues, protecteurs nourrissent plusieurs scénarios : ainsi La Fille perdue de Jean Gourguet (1953), ou encore Le Tonnerre de Dieu (Denys de La Patellière, 1965) avec Jean Gabin en vétérinaire misanthrope… Jacques Demy transcende cette mythologie et transfigure la ville avec Lola (1960), un des chefs-d’œuvre de la Nouvelle Vague avec Anouk Aimée. Nantes, plus qu’un décor, y devient un personnage avec à l’épicentre du récit le passage Pommeraye et la brasserie La Cigale.

Après un tour caserne Mellinet pour Adolphe ou l’âge tendre de Bernard Toublanc-Michel (1967), une halte au café du Commerce avec Le Mataf de Serge Leroy (1973), les années 1970 sont marquées par le tournage en 1974, dans le quartier de la cathédrale, de L’ironie du sort d’Édouard Molinaro, d’après le roman de Paul Guimard, originaire de Saint-Mars-la-Jaille. Un épisode de la Résistance sur lequel reviendra Volker Schlöndorff en 2011 avec le téléfilm La mer à l’aube. Jacques Grandjouan revisite Nantes (La Cigale, le passage Pommeraye…) pour donner à la ville un petit air canaille et onirique (Rue du Pied de grue, 1979 ; Debout les crabes la mer monte, 1983). Charlotte Dubreuil inscrit une liaison rue Crébillon (La cote d’amour, 1982), Miou-Miou fait halte le temps d’un polar dans les nouveaux quartiers du côté du canal Saint-Félix (La Gueule du loup de Michel Levian, 1981).

Et Jacques Demy revient, cette fois pour peindre la ville de couleurs sombres. C’est Une chambre en ville, réalisé en mai 1982. Lutte des classes, amour fou, le film inspiré par les conflits sociaux de 1955, est tourné rue du Roi Albert, place de la Cathédrale, place du Bouffay… Passage Pommeraye encore ! Port ouvert sur l’ailleurs dans Lola, la ville est cette fois un tombeau pour deux amants.

Une courte escale à Château-Bougon pour Jean-Luc Godard (Soigne ta droite, 1986), un arrêt en gare de Nantes avec Jacques Rozier (Maine-Océan, 1985) et voici que revient le temps du carnaval et des roquios. Enfant du pays, Jean-Loup Hubert arpente l’enfance à Rouans (Le Grand Chemin, 1986) avant l’adolescence à Rezé (À cause d’elle, 1992) puis tourne à Trentemoult La Reine Blanche (1990). Deneuve, Bohringer, Giraudeau, Carmet : Nantes est de nouveau la ville dont on part et où on se retrouve… Le passage Pommeraye fait, bien sûr, partie du décor.

Le lieu est magique, c’est une caverne d’Ali Baba, le cœur des métamorphoses. Agnès Varda y revient filmer Jacques Demy, quelques mois avant sa disparition pour une « évocation d’une vocation ». C’était le titre provisoire de Jacquot de Nantes (1990), qui dit l’attachement et le déchirement avec une tendresse et une douleur retenues.

C’est le Rêve d’une ville, documentaire voué au surréalisme qui procède de la rencontre à Nantes entre Breton et Vaché, que Jean-Christophe Averty vient un instant partager (1994), avant que Pascal Thomas ne bouleverse de nouveau la géographie des lieux pour Mercredi Folle journée (2001). Butte Sainte-Anne, cours Cambronne, place de la Petite Hollande, la ville est sens dessus dessous au diapason du cœur de Vincent Lindon et compose avec les amours, les enfants, les lieux, une farandole pour Nantes ainsi dépaysée.

Longtemps ignoré dans cette géographie imaginaire, l’ancien Palais de justice, place Aristide Briand, est le lieu de plusieurs séquences : L’affaire Seznec (Yves Boisset, 1991), Les Arcandiers (Manuel Sanchez, 1991), Le Prof (Alexandre Jardin, 2000) et, plus récemment, La Vénus Noire (Abdellatif Kechiche, 2009).

Nantes, ville de cinéma ?

De 2000 à 2012, les tournages se succèdent à un rythme plus soutenu du fait notamment du soutien financier apporté par le Conseil régional des Pays de la Loire et le bureau d’accueil des tournages. Claude Chabrol, qui élit domicile au Croisic, tourne à Trentemoult et Doulon La Demoiselle d’honneur (2004) ; Fabienne Godet, Sauf le respect que je vous dois (2005), en divers points de Nantes. Emmanuel Mouret s’arrête au Musée Dobrée pour Un baiser s’il vous plaît (2007). On voit Cantona dans un hangar et au LC Club pour un film d’HPG intitulé Les mouvements du bassin (2010). Citons encore Ni à vendre, ni à louer de Pascal Rabaté (2010), ou Passer l’hiver d’Aurélia Barbet (2012), ainsi qu’une brassée de courts métrages.

Dans ce paysage inachevé, il faut s’arrêter sur Tournée de Mathieu Amalric (2009), une dérive qui fait halte à l’hôtel de France et au Hangar à bananes…Cette mise en scène, primée au Festival de Cannes 2010, replonge Nantes dans la baie des Anges comme elle l’avait été déjà avec trois Palmes d’or pour Orfeu Negro de Marcel Camus dont le scénario était signé Jacques Viot (1959) ; Les parapluies de Cherbourg réalisé par Jacques Demy (1964) ; Entre les murs de Laurent Cantet (2008) d’après le roman de François Bégaudeau. Acteur et scénariste, ce dernier rejoint au générique des Nantais, natifs ou d’adoption, actrices et acteurs (Linda Hardy, Claude Perron, Anna Mouglalis, Jean Brochard, Pierre-Richard Willm, Thierry Fortineau, Nicolas Sielberg, Marc Rioufol, Julien Boisselier) ; des scénaristes (Jacques Viot), des décorateurs (Daniel Guéret O’Nillon, Bernard Evein) ; des costumières (Jacqueline Moreau) ; des auteurs (Jules Verne, Hervé Le Boterf, Thomas Narcejac, Julien Gracq) ; des personnages (Lulu la Nantaise)…

Il faut reprendre aussi le film des événements : le Festival des Trois continents créé en 1979 par Alain et Philippe Jalladeau qui donne à voir des films d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ; le Festival du cinéma espagnol lancé en 1991… Et mentionner les formations aux métiers de l’image (Cinésup au lycée Guist’hau, école Ciné Créatis sur l’Île de Nantes)…

Sans oublier, hors champ nantais, la plage de Saint-Marc et Les Vacances de M. Hulot de Jacques Tati (1951) qui bouscule le cadre local pour un imaginaire balnéaire et poétique sans frontière…

Yves Aumont, Alain-Pierre Daguin
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d’auteurs réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Aumont Yves, Daguin Alain-Pierre, Les lumières de la ville : Nantes et le cinéma, 2e éd. revue et augmentée, L'Atalante, Nantes, 1995

Berthomé Jean-Pierre, « Nantes et le cinéma : dix films pour une ville », ArMen, n°23, octobre 1989, p. 4-21

Monteil Frédéric, La Belle Époque du cinéma et des fêtes foraines à Nantes (1896-1914), Ouest éd., Nantes, 1996

Perron Tangui, Le cinéma en Bretagne, Palantines, Plomelin, 2006

Rabaste Antoine,  Il était une fois à l'Ouest : Nantes et Saint-Nazaire sous les projecteurs, Coiffard, Nantes, 2013

Webographie

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Rédaction d'article :

Yves Aumont, Alain-Pierre Daguin

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