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Dubigeon Croix Bonneau

1371

La Mélasse


La Société Arsène Bertin, pour ceux qui l’ont connue, c’était La Mélasse. Une carte postale ancienne en montre la partie qui donnait sur la route de Paris. Son emplacement ? L’ancienne station du tramway dite « La Haluchère », avant son remplacement par la gare des Batignolles. De l’autre côté de la voie ferrée, la maisonnette des gardes-barrière est disparue. Du côté nord de la route de Paris, la grande usine de locomotives, à l’ouest du chemin de fer, est toujours là, ainsi qu’à l’est, le café Pouivet, devenu La Beaujoire.

Route de Paris

Route de Paris

Date du document : 12-07-2018

Sucre, engrais, aliments pour le bétail

Jusqu’au milieu du 20e siècle, l’industrie du sucre, du sucre de canne à Nantes, a été une des grandes activités de la ville. Les sous-produits qu’elle génère sont devenus des matières premières pour d’autres industries : le noir animal (poudre d’os calcinés) est un puissant engrais. La mélasse, résidu final, un liquide brunâtre, est mélangée, à raison de 8 à 15 %, aux aliments secs pour animaux. Avec la raffinerie de Chantenay, la raffinerie Say, le produit doit être abondant.

L’entreprise Moriceau

L’histoire semble commencer au 19e siècle, avec la famille Moriceau, de Saint-Fiacre-sur-Maine. Ils sont cultivateurs au village de la Pétière, dans une boucle de la Sèvre. La grande ville a attiré Charles-Louis, né en 1852. En 1876, il est installé à Doulon chez sa grand-tante, Marguerite Moriceau, veuve de Jean Dabin, originaires de Saint-Fiacre eux aussi. Quand on est jeune, on commence par de petits boulots : il est domestique.

Quelques années passent. Le recensement de 1886 – il a 34 ans – nous le présente maintenant comme meunier au Petit-Saint-Georges, route de Paris. Le Grand-Saint-Georges, c’est aujourd’hui l’usine des Batignolles ; le Petit-Saint-Georges, c’est de l’autre côté de la rue. Il vient d’épouser Angélique Thébault, dont les parents sont jardiniers au village de Saint-Georges (le grand). Le cadastre des années 1830-1840 n’indique que deux maisons, la Rivèterie et les Orèves, mais aucun moulin, dans ce secteur. Charles-Louis a dû créer son entreprise, d’abord à la Grenouillère et au Chemin Rouge vers 1900, avant de s’installer à la Rivèterie voisine. Les moulins à vent, c’est bien fini ! La machine à vapeur a remplacé le capricieux Éole, avant d’être elle-même supplantée par les moteurs à pétrole. Le moulin Moriceau, vers 1890, est la première usine venue s’installer ici, bien avant les Batignolles. À l’angle de la route de Paris et de la ligne Nantes-Châteaubriant (ouverte depuis 1877), l’emplacement est bien choisi. On a installé des machines modernes, un entête de lettre annonce, en 1907 : « Minoterie à cylindres et plansichters Vve Charles Moriceau, route de Paris, Nantes ». Les cylindres cannelés ont remplacé les meules en pierre ; les plansichters – tamis à plat – ont remplacé les blutoirs rotatifs, et ces nouvelles machines ont considérablement amélioré le rendement des moulins.

Entête de facture de l'usine  <i> La Mélasse </i> 

Entête de facture de l'usine   La Mélasse  

Date du document : 1916

Accidents

Ces machines peuvent être dangereuses. Le 10 septembre 1901, Charles-Louis Moriceau est averti que la machine à vapeur manque sérieusement d’eau. Il se précipite à l’atelier, juste au moment où la machine explose, le tuant avec les deux chauffeurs. La patronne, désormais, c’est sa veuve, Angélique Thébault. En 1911, deux des enfants sont en âge d’aider leur mère. Le moulin est devenu une minoterie, avec un comptable, Victor Bouchet, une cuisinière, Léontine Desgré, plusieurs employés dont Henri Tanigui et Jean Desgré.

Le 12 octobre 1913, nouvelle catastrophe : le toit venait d’être réparé ; après une soudure, un couvreur a-t-il perdu un morceau de charbon ardent ? Un incendie détruit la partie principale de l’usine, la partie minoterie, un bâtiment de trois étages contenant la machine à vapeur, les machines, les élévateurs… Les employés, une vingtaine d’hommes et quelques femmes, sont au chômage pour un an. Et puis, c’est Angélique Thébault qui meurt, le 30 juin 1921. Une autre famille remplace les Moriceau, les Bertin.

        L’entreprise Bertin

Les Bertin sont originaires de Moisdon-la-Rivière, ils y sont déjà meuniers de père en fils, au moulin Roussel, probablement un moulin à vent remplacé par un moulin à moteur plus moderne. Arsène Bertin, né en 1874 à Moisdon, fils d’Yves-Jean, meunier à Roussel et d’Eugénie Halet, succède aux Moriceau. Les recensements le signalent à Doulon, puis rue Prémion près du Château de Nantes, puis à Saint-Joseph-de-Porterie, au hameau des Courtils.

Avec lui, la minoterie va pouvoir devenir La Mélasse. On commence par trouver la société Bertin et Cie, vente d’aliments mélassés, à Doulon, avenue Lepape (ou du Petit Parc ?), et rue du Général Le Flô  près de l’hôpital Bellier. C’est alors une zone industrielle, à proximité des voies ferrées, dont le principal établissement est Brissonneau ; aujourd’hui, c’est devenu le siège de la SEMITAN. En 1924, l’affaire prend de l’ampleur, devient une société anonyme, au capital de 82 500 F. Elle occupe, route de Paris, l’ancienne minoterie Moriceau. Elle a un conseil d’administration, présidé par Arsène Bertin jusqu’à sa retraite en 1926. Elle ouvre des succursales, comme à La Rochelle en 1939.

L’entreprise devait employer une cinquantaine de personnes. Elle occupait un vaste terrain, avec un embranchement particulier sur la ligne de Châteaubriant. Elle possédait des silos, des broyeurs, des machines à fabriquer les granulés, à ensacher. Elle utilisait l’orge, le blé… auxquels on ajoutait la mélasse. On trouvait aussi un poulailler où les produits étaient testés. M. Talneau, qui y a passé 15 ans de sa vie professionnelle, se souvient qu’on ajoutait, dans les aliments pour la volaille, des additifs destinés à produire des poules à pattes grises ou à pattes jaunes.

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Date du document : 1927

Totaliment

Elle est devenue Totaliment en 1952-53, a été rachetée par Unilever, un groupe anglo-néerlandais ; le siège social a été transféré à Paris. La société avait déposé plusieurs marques : les produits Sucraff, Optima, Ovox, et bien sûr le célèbre Totaliment, si connu qu’il est presque devenu un nom commun… En 1962, l’entreprise est devenue Astra-Calvé, puis COFNA (Compagnie française de nutrition animale, du groupe Guyomarc’h de Vannes), un groupe dont  le service commercial était à Paris, et qui possédait d’autres usines (Saint-Sever…). La production était vendue à des grossistes et à de gros éleveurs.

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Date du document : sans date

Arsène Bertin est décédé le 27 février 1937 aux Courtils. L’entreprise a dû fermer ses portes vers 1970. À Chantenay, la « Raff » avait cessé ses activités en 1968 : coïncidence ?

Louis Le Bail
2018

 

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Louis Le Bail

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