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Étrangers


L’étranger, à Nantes comme partout, n’est pas reconnu par son origine – tous les Nantais sont, à un moment donné, « venus d’ailleurs » – mais par le regard porté sur lui par les indigènes arrivés avant lui.

Ceci explique qu’aient pu être considérées et traitées comme des étrangers des personnes tout aussi nantaises que d’autres, protestants et juifs notamment, tout aussi bretonnes et françaises que les Nantais, immigrés bretons ou une partie des Bohémiens puis nomades par exemple. L’autre évidence tient au fait que, depuis le moment où il est possible de suivre de près l’histoire des étrangers, leur insertion dépend toujours des Nantais mais aussi du pouvoir, ducal, puis royal et national, et même, depuis les accords de Schengen, européen.

Nantes n’en présente pas moins des caractéristiques très originales, largement liées à sa position médiane entre toutes les immigrations, du Nord et du Sud, de l’Orient ou de la mer. Elle n’a jamais connu de mouvement massif, jamais de « communauté » étrangère dominante, mais des étrangers y sont arrivés en permanence, ce qui a donné à la ville une certaine expertise ou, au moins, une certaine culture de l’accueil des étrangers, culture qui ne l’a cependant, bien évidemment, jamais mise à l’abri de la xénophobie.

Notre connaissance réelle ne remonte pas au-delà du 14e siècle : nous savons très peu et parfois même rien des contacts avec les Celtes – sans même parler des étrangers antérieurs –, les Romains, les Francs, les Bretons et à peine plus des Vikings. Ensuite, les « étrangers » les plus nombreux sont, en permanence, les ruraux venus, avec le temps, de plus en plus loin, campagnes du Pays nantais encore au 16e siècle puis Grand Ouest, bassin de la Loire, Bretagne, et un Bas-Poitou devenu Vendée jusqu’au début du 20e siècle au moins.

Les autres présences importantes ont été tour à tour celle des Espagnols (du milieu du 15e à la fin du 16e siècle pour l’essentiel), des Portugais moins nombreux (de la fin du 16e au milieu du 17e siècle), des Hollandais dans une large part du 17e siècle, des Irlandais surtout à la fin du 17e siècle et au début du 18e, puis, après un ralentissement dans les deux premiers tiers du 19e siècle, de réfugiés espagnols (notamment dans les années 1870), de migrants temporaires puis définitifs italiens et espagnols à partir de la fin du 19e siècle, avant que les origines ne se diversifient beaucoup après 1945, Algériens, Tunisiens, Marocains, Portugais de nouveau, Yougoslaves, Turcs, ressortissants des pays d’Afrique noire et d’Asie du Sud-Est, une liste que les bouleversements récents du monde élargissent encore ces dernières années. Il faudrait leur adjoindre, à chaque époque, quelques techniciens isolés, présents le temps d’une mission, des canonniers allemands mercenaires en 1490 aux ingénieurs qui venaient prendre livraison d’un bateau, et également des artistes de tous ordres et de toutes nationalités, en général pour de brefs passages.

 Travailleurs marocains transportant des rails à Saint-Joseph-de-Porterie

Travailleurs marocains transportant des rails à Saint-Joseph-de-Porterie

Date du document : 1917-1918

Encore faut-il bien mesurer le phénomène : si l’on ne retient que les étrangers définis par la nationalité, ils ne représentent en 1936 encore qu’à peine plus de 1% de la population, 2015 personnes, dont presque un tiers d’Italiens, l’Espagne seule comptant alors plus de 200 ressortissants, la Pologne, la Belgique et la Tchécoslovaquie plus de 100. Et, si la proportion de citoyens étrangers tend aujourd’hui à se rapprocher de la moyenne nationale, elle reste faible pour une grande ville, de l’ordre de 4%, deux fois moins que Lille, trois fois moins que Strasbourg…

Les critères de l'accueil et du rejet

Quatre critères clairement identifiables permettent de déterminer l’accueil réservé à ces étrangers, dans une continuité frappante du 14e siècle à nos jours. Celui de la langue parlée peut aggraver une situation de rejet, mais jamais en être la cause, comme le montre l’excellent accueil réservé, pour des raisons idéologiques, aux Espagnols du 16e siècle notamment (un catholicisme intransigeant), aux réfugiés polonais du 19e siècle (perçus comme des combattants de la liberté et d’anciens alliés dans l’armée napoléonienne) et aux réfugiés du Sud-Est asiatique dans les années 1970 et 1980 (rôle de l’anticommunisme).

La religion est un critère déterminant au moins jusqu’au 18e siècle. Elle joue très fortement en faveur des Espagnols, très défavorablement à l’encontre des Portugais soupçonnés d’être des juifs à peine convertis et plus négativement encore à l’encontre des Hollandais calvinistes. Dans une ville particulièrement intolérante, elle conduit même à considérer et à traiter comme des étrangers indésirables les Nantais calvinistes, pendant les affrontements religieux de la seconde moitié du 16e siècle mais aussi au temps de l’édit dit « de tolérance », entre 1598 et sa révocation en 1685. Sans nier la part de sincérité et de fanatisme de ces attitudes, il faut cependant souligner que la religion est un commode paravent pour habiller la jalousie commerciale à l’égard des Hollandais, et qu’à l’inverse elle ne joue aucunement en faveur des immigrés ruraux pauvres venus par exemple de Bretagne, et même pas en faveur des Irlandais miséreux fuyant la répression religieuse des Anglais. Ce critère religieux réapparaît au 19e siècle à l’encontre des juifs, combiné à un antisémitisme d’autant plus difficile à distinguer qu’il est à Nantes de tradition exclusivement catholique, et au 20e siècle à l’encontre des musulmans, groupe considéré comme le plus à part dans la société – à la seule exception des « gens du voyage» – dans une enquête d’opinion menée en 2006.

L’aisance est, presque toujours, un facteur plus déterminant et même souvent décisif, a fortiori s’il se combine avec un des critères précédents. Aucun étranger riche ne fait l’objet d’un rejet tout au long des sept siècles considérés, si l’on excepte cependant les Hollandais et, dans quelques cas très précis, des individus ou des groupes concernés par un élément de nature idéologique.

Appel à la grève pacifique des étudiants nantais

Appel à la grève pacifique des étudiants nantais

Date du document : 01-02-1935

Les conditions politiques, militaires et plus largement idéologiques peuvent en effet perturber le jeu logique des trois critères précédents. Nantes a acquis ainsi, en matière d’accueil des réfugiés, une expérience probablement sans égale en France, en offrant des conditions presque toujours bonnes mais avec des nuances révélatrices. Les réfugiés acadiens de la fin du 18e siècle sont ainsi traités comme des pauvres, nettement moins bien donc que les réfugiés de Saint-Domingue fuyant la révolte des Noirs, et bien sûr que les réfugiés républicains ayant échappé aux massacres perpétrés par les « Vendéens » en mars 1793. Au 19e siècle de même, les libéraux espagnols sont bien mieux accueillis que les carlistes, royalistes fanatiques qui ne touchent que les milieux bien-pensants. Le critère patriotique joue en faveur des Belges en 1914 et 1940, mais un temps seulement, et le critère politique mobilise une partie de l’opinion seulement en faveur des réfugiés républicains espagnols de 1939.

Les choses sont plus simples lorsque la guerre et a fortiori une occupation sont en cause. Les Américains sont bien accueillis en 1917 et beaucoup moins bien dès la paix revenue, victimes alors de la constante opposition au séjour de remuants soldats étrangers, même alliés : ce type de difficulté se décèle dès le conflit entre le duc de Bretagne et le roi de France à la fin du 15e siècle. On devine l’image des envahisseurs, à l’exemple des Vikings longuement présents entre 843 et 960, des Prussiens qui restent seulement deux semaines en septembre 1815, assez pour susciter des manifestations hostiles, et des Allemands entre 1940 et 1944 même si, par sympathie idéologique, une minorité de plus en plus réduite de Nantais manifeste son soutien.

Les critères nationaux pèsent beaucoup ici, et bien évidemment quand les lois se font plus restrictives, à plusieurs reprises depuis un siècle surtout.

Carte de recensement des étrangers à Nantes

Carte de recensement des étrangers à Nantes

Date du document : 27-07-2013

Les processus d'arrivée, d'intégration et d'exclusion

Dans l’immense majorité des cas, le processus d’arrivée des étrangers repose sur deux notions souvent combinées : le groupe et le réseau.

Beaucoup d’étrangers arrivent à Nantes en groupes, constitués dès le départ : c’est le cas aussi bien des maçons du nord de la Vendée actuelle, autour de la Garnache, qui viennent faire leur saison à Nantes au 17e siècle, que des marchands ambulants italiens puis des spécialistes du travail du plâtre, originaires de quelques vallées bien précises, ou encore des épiciers venus des îles Baléares ou de cette équipe de Belges poseurs de rails, tous issus du même village, en 1913, des exemples que l’on pourrait multiplier à l’infini. Ces groupes sont parfois organisés par des recruteurs : particuliers rapaces dans le cas des terrassiers lamballais d’avant la Révolution, agents de l’État à la recherche de main-d’œuvre de remplacement pendant la Première Guerre mondiale pour les Grecs venus de la petite île de Kastelórizo, représentants d’entreprises pour bien des Portugais des années 1970.

Le réseau familial joue évidemment un grand rôle pour le premier accueil, ce que les archives révèlent en tout cas à partir du 19e siècle, et le réseau de relations aussi : le meilleur exemple en est sans doute la migration des Tunisiens de Redeyef, à eux seuls 40% de toute l’immigration tunisienne vers 1970. Ces solidarités jouent sur le logement mais aussi l’emploi : six jeunes de Redeyef travaillent ainsi dans l’entreprise Mainguy à Vertou, quatre dans la fabrique de cycles Stella, et les exemples sont plus évidents encore avec les Italiens puis les Portugais dans le bâtiment.

Le processus d’intégration, en revanche, a subi des évolutions importantes au fil du temps, mais peut-être plus dans ses formes que dans sa structure. Il n’a longtemps reposé que sur les relations humaines et personnelles, sauf dans le cas des étrangers aisés et donc susceptibles de laisser un héritage : ceux-là, sous l’Ancien Régime, doivent recourir à la naturalisation en bonne et due forme, assez aisée à obtenir dès lors que l’intéressé dispose de témoins de moralité suffisamment reconnus et qu’il est capable de payer une taxe au demeurant raisonnable. Ces étrangers aisés sont aussi, paradoxalement, les seuls à rester attachés à leur origine, même s’ils francisent leur nom et s’allient à des familles locales. La « lettre de naturalité » n’est ainsi qu’une étape, juridiquement importante mais culturellement assez formelle, dans une longue évolution antérieure et postérieure qui repose bien plus sur l’argent, les relations d’affaires et souvent, un jour, les charges publiques.

Préfabriqués sur le chantier de construction des cités HLM

Préfabriqués sur le chantier de construction des cités HLM

Date du document :

En milieu populaire, l’indice le plus évident est que les étrangers ne laissent rapidement plus aucune trace, fondus, au bout d’une ou deux générations, dans le monde du travail fréquenté chaque jour. Pour ces étrangers de loin les plus nombreux, le processus n’est donc pas très différent de l’actuel, même si nous peinons parfois à en percevoir la réalité dans le monde qui nous entoure : il suffit pourtant de penser à la parfaite intégration, par exemple, des prolétaires bretons encore perçus avec mépris il y a un siècle et comme différents il y a encore un demi-siècle sans doute.
 
Un tournant intervient cependant dans les années 1880, marquées par une série de lois qui permettent de repérer, enregistrer et contrôler les ressortissants des pays étrangers. Il devient dès lors possible, à l’échelle nationale, d’interrompre brutalement par la loi ou de simples mesures de police des processus d’intégration déjà engagés, par la privation de travail – pratiquée dès les années 1920 –, l’expulsion, le contrôle à partir de 1974 d’un « regroupement familial » jusque-là évident, jusqu’à la surréaliste création d’une nouvelle catégorie d’étrangers, les « sans papiers », pour lesquels l’intégration relève presque de l’impossible.

D’autres éléments interviennent cependant aujourd’hui en faveur de l’intégration des étrangers. À l’effet évidemment ancien du mariage et des relations de travail se sont en effet ajoutés l’école et le sport, et également l’intervention d’associations de tous ordres. Joue, également, une politique municipale qui a été en pointe en 1989 en chargeant spécialement un élu des questions de l’intégration, et en préparant la participation des étrangers aux élections locales par un Conseil nantais de la citoyenneté des étrangers créé en 2003.

Couverture de  <i>Nantes au quotidien</i> , supplément à Nantes Passion

Couverture de  Nantes au quotidien , supplément à Nantes Passion

Date du document : 02-2009

Les procédés d’exclusion n’ont été que très peu spécifiques ou conçus à Nantes. À l’exception, évidemment très notable, du pogrom dont les juifs sont victimes en 1236, aucun Nantais regardé par ses concitoyens comme un étranger ne semble avoir payé de sa vie cette « étrangeté ». Les Portugais sont certes visés par des émeutes en 1603 et 1636, la Ville souhaite bien des mesures d’expulsion maritime qui relèvent du même esprit que les récents charters, mais les élus sont sanctionnés par l’autorité royale bien plus tolérante en matière d’étrangers, et on ne connaît aucune autre violence physique qui dépasse la rixe de bistrot.

L’exclusion dans l’espace a certes joué pour les plus pauvres de ces étrangers, par un entassement dans les quartiers les plus sordides puis, dans le dernier demi-siècle, par une concentration dans les cités populaires de Malakoff, les Dervallières, Bellevue, le Breil, le Bout des Pavés, la Bottière… Mais, si exclusion il y a, elle est celle des pauvres et non des seuls étrangers, et elle n’écarte pas les intéressés d’une ville qui a édifié ces quartiers sur son territoire et non dans les communes de banlieue.

Les dispositifs d’exclusion sont donc imposés de l’extérieur : à l’encontre des Anglais et des Irlandais réputés sujets britanniques au 18e siècle et pendant la Révolution, sans conséquence notable toutefois ; et surtout lors des grandes vagues de xénophobie de la fin du 19e siècle, de l’entre-deux-guerres et du régime de Vichy. Entre 1940 et 1944 en effet sont prononcés, à Nantes comme ailleurs, quelques retraits de nationalité et, surtout, sont traqués ceux qui, de nouveau, sont regardés comme des étrangers, qu’ils soient ou non citoyens français : les juifs. Quasiment aucun des 121 juifs raflés par la police nantaise en 1942 et janvier 1944 ne reviendra.

Les étrangers apparaissent ainsi comme un fil rouge de l’histoire nantaise, dont l’originalité la plus forte tient peut-être dans le fait qu’il ne soit pas nécessaire ici de souligner l’évidente contribution de ces minorités à la construction d’une identité plurielle.

Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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Rédaction d'article :

Alain Croix

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