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Céramiques architecturales décoratives


La notion de « petit patrimoine » est souvent associée au milieu rural (puits, moulins, lavoirs…), mais elle s’applique aussi aux espaces urbains. Elle désigne alors des éléments d’architecture, souvent discrets mais visibles depuis l’espace public, et témoins d’une activité ou d’une époque passées. Dès que l’on connaît son existence, ce patrimoine donne un regain de saveur aux déambulations urbaines, en les transformant en chasses au trésor à la recherche de nouvelles pépites. Les décorations de façade en céramique constituent un tel patrimoine, que nous vous proposons de découvrir (à l’exclusion des mosaïques qui constituent un sujet à part entière).

La signature d’une époque

En France, les céramiques architecturales datent pour leur grande majorité, du premier quart du 20e siècle. Plusieurs facteurs peuvent être invoqués pour expliquer l’essor de la céramique architecturale en France entre 1840 et 1940, avec un âge d’or entre 1890 et 1914 :

• des progrès technologiques ont abouti à la réalisation de céramiques étanches résistant au gel et de décors émaillés. L’industrialisation des procédés a permis la production en masse d’éléments de dimensions quasi standardisées et diffusés à grande échelle ;
• une tendance esthétique : l’attrait des romantiques pour le Moyen Âge, la redécouverte et la restauration du patrimoine architectural historique initiées sous Louis-Philippe, et notamment l’influence de Viollet-le-Duc, ont favorisé l’épanouissement du style néogothique, donnant une grande importance à l’ornementation. Par ailleurs des découvertes archéologiques (palais de Darius en Perse, architecture polychrome en Sicile) ont mis en lumière le rôle passé de la couleur en architecture. Enfin l’apparition de l’Art Nouveau libère la fantaisie, voire l’exubérance décorative, et trouve dans les carreaux de faïence un support accessible au plus grand nombre ;
• des facteurs économiques poussant plusieurs secteurs industriels (poêliers, tuiliers et faïenciers) à diversifier leur production, le cas échéant par l’acquisition d’ateliers déjà en activité ;
• une stratégie commerciale, matérialisée notamment par l’édition de catalogues comportant de nombreuses planches en couleur. De plus, l’exposition universelle de 1855 et les suivantes ont permis de mettre en valeur les savoir-faire de céramistes. Par la suite, la création de diverses associations professionnelles ont promu les rencontres et les collaborations entre artistes, industriels et architectes.

À Nantes, ce type de décorations est concentré dans la zone urbanisée au début du 20e siècle au nord et à l'ouest de la ville, avec une concentration remarquable dans le secteur des Hauts-Pavés. 

Plus de 160 immeubles ont été inventoriés à ce jour et certaines rues se distinguent par une densité importante, par exemple la rue Félix Faure, avec 5 bâtiments ou la rue Dupleix avec 6, mais aussi le boulevard Jean XXIII, l’avenue de Longchamp ou l’intersection entre le boulevard Eugène Orieux et le boulevard Michelet.

Les bâtiments décorés de céramique sont dans leur très grande majorité des maisons individuelles, parfois regroupées lors de la constitution d’un lotissement. Ce type de lotissement est visible par exemple rue Dupleix, rue Alfred Riom, rue de la Maisonnette (3 ensembles de logements sociaux construits par la société « La Maisonnette » dans les années 1910), ou rue Edgar Quinet, ou encore, avec un standing un peu plus cossu, rue Léon Say.

Quelques commerces présentent également des panneaux décoratifs d’assez grande ampleur, permettant de les identifier au premier coup d’œil. Outre la célèbre Cigale de la place Graslin, on peut mentionner la pharmacie du Boulevard Dalby (qui affiche certes des plantes médicinales comme la digitale, mais aussi un démon !) ou la fromagerie Beillevaire, rue de la Contrescarpe.  

L’intégration dans l’architecture

Il est frappant de constater que les éléments de décor peuvent orner des types d'habitations très divers : cela va d'imposantes bâtisses voire quelques immeubles de rapport à plusieurs étages (rue Fénélon, rue des Dervallières, rue Deshoulières, rue Lamoricière…), à des maisonnettes d’un seul niveau à une ou deux travées. La séquence de 6 maisons de la rue de la Chézine en est un exemple évocateur : des maisons de taille très modeste, avec des architectures variées, de la plus simple jusqu’à des tentations plus monumentales, voire mauresques, avec quelques discrets carreaux de ciment, différents sur chaque maison, pour égayer le tout. 

Mais le type de bâtiment le plus souvent rencontré est la maison dite « nantaise ». Ce type est caractérisé par sa façade dissymétrique à deux travées. La travée principale est souvent traitée en pignon, et dotée d’une large baie avec balcon à l’étage. Dans d’autres configurations une lucarne sous comble est surmontée d’une toiture en débord. L’association des matériaux (moellons de pierre nantaise, brique, pierre calcaire ou béton peint, fonte, céramique) permet de varier la composition d’ensemble et d’individualiser chaque maison.

Les décors de céramique sont en général linéaires (frises) ou ponctuels (cabochons, carreaux isolés). Ils peuvent parfois être disposés sur plusieurs lignes pour constituer des panneaux rectangulaires. 

Divers emplacements sont exploités par les architectes : linteaux de portes et de fenêtres, allèges, bandeaux continus ou panneaux sous les corniches de toit, bandeaux encadrant les fenêtres, et plus rarement panneaux sur un bow-window, ou même carreaux sur une souche de cheminée (boulevard de l’Égalité). 

Quant aux cabochons, éléments ronds ou carrés en relief qui peuvent être d’assez grande taille, ils sont utilisés seuls ou pour ponctuer une frise, ou encore répétés pour constituer des alignements (cf. rue Félibien).

Des produits « importés »

En 1906, la France comptait 97 fabriques de faïence, situées pour la plupart dans le quart Nord-Est, mais le département de la Seine était le principal producteur, avec Choisy-le-Roi en tête. Cette localisation résulte de la richesse du bassin parisien en argiles plastiques et de la présence de la Seine permettant d’acheminer le bois, le sable et autres matériaux nécessaires à la fabrication, et d’écouler les produits finis vers Paris et toute la France, via un réseau de dépôts et de revendeurs.

À Nantes, on a ainsi pu repérer une quinzaine de motifs issus des catalogues H. Boulenger, Braud & Gilardoni et Jeannin & Guerineau, mais une recherche systématique dans les catalogues des différents fabricants permettrait certainement d’en identifier bien davantage.

D’autres sources sont représentées, comme la Manufacture de Sarreguemines, en Moselle, dont sont issus entre autres les ornements de la brasserie la Cigale, ou Gilliot & Cie à Hemixem en Belgique. Malgré la présence de faïenceries en Bretagne et Pays de Loire (Quimper, Rennes, Pornic, Malicorne…), il ne semble pas que celles-ci aient fabriqué des céramiques architecturales. 

Une grande variété de motifs 

Les motifs décoratifs diffèrent en fonction du matériau utilisé. Lorsqu’il s’agit de grès cérame ou de carreaux de ciment, les couleurs, des demi-teintes en nombre restreint, sont appliquées à des motifs géométriques ou végétaux très stylisés. Ceux-ci peuvent être alignés sur une rangée pour constituer une frise simple. Plusieurs carreaux identiques peuvent aussi être assemblés sur deux rangs, en faisant varier leur orientation pour construire un motif plus grand. D’autres carreaux permettent de réaliser une bordure avec un motif différent.

Le grès émaillé permet d’obtenir des couleurs brillantes et contrastées, délimitées par des contours francs en léger relief (émaux cloisonnés), ou au contraire des nuances subtiles, permettant une représentation picturale des sujets choisis. Le motif de base se compose en général d’un ou deux carreaux, alignés sur une seule rangée et répétés pour constituer une frise périodique ou symétrique. À l’exception des commerces mentionnés plus haut, on ne trouve pas à Nantes de grandes compositions réparties sur plusieurs carreaux assemblés en panneau. 

Les représentations de fleurs constituent l'écrasante majorité des thèmes. La « villa pompéienne » de la rue Mondésir constitue une exception remarquable, avec son décor foisonnant d’inspiration marine. Les représentations peuvent être très réalistes ou plus ou moins stylisées, souvent avec une esthétique inspirée de l’art nouveau. Parmi les végétaux identifiables, la marguerite, le nénuphar et surtout l'iris, sont les plus populaires : on ne compte pas moins de 9 interprétations de cette fleur, avec certains motifs présents sur 3 ou 4 bâtiments différents.

Les trois quarts des motifs n’ont été observés qu’en un seul exemplaire, et quelques rares décors ont été repérés sur plus de deux édifices, avec un maximum de 5 pour la campanule Gilardoni. À l'inverse, il arrive que deux, voire trois motifs très différents cohabitent sur une même façade (cf. par exemple Bd Eugène Orieux).

Claude Joannis, Irène Gillardot
2021

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En savoir plus

Bibliographie

Bienvenu, Gilles, Robin-Auffret, Jacqueline, Architectes et urbanistes à Nantes, 1892-1947, [Rapport de recherche] 309/85, Ministère de l'urbanisme et du logement / Secrétariat de la recherche architecturale (SRA); Ecole nationale supérieure d'architecture de Nantes / Centre de recherches méthodologiques d'architecture (CERMA), 1985

Gauthier-Choblet V., J. Lemoine J., Pour la lecture du Patrimoine, Nantes : Décors et Ornements, Nantes Renaissance 2021

Maillard, Anne, La céramique architecturale à travers les catalogues de fabricants en France, 1840-1940, éd. Septima, 1999

Maisons de Nantes, Nantes Renaissance, 2017

Marrey, Bernard, La céramique dans l’architecture à Paris aux XIXeme et XXeme siècles, éd. Du Linteau, 2013, 187 pages. À consulter ici.

Webographie

Inventaire cartographique et photographique des céramiques architecturales décoratives Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Complément sur les carreaux en grès de cérame Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Complément sur le motif de l’iris dans la céramique décorative Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Maisons à décors céramiques à Beauvais Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

La céramique architecturale décorative à Bondy Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

La céramique architecturale décorative à Nanterre Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

La céramique architecturale décorative à Choisy-le-Roi Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

Brochure d'exposition « Choisy céramique, la couleur dans nos rues » Lien s'ouvrant dans une nouvelle fenêtre

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Architecture Ornement

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Rédaction d'article :

Claude Joannis, Irène Gillardot

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