La société familiale Tricosa, fondée à Paris en 1948, est spécialisée dans la confection féminine haut de gamme. Au début des années 1960, elle décide de décentraliser une partie de ses activités en province.
L’implantation de Tricosa à Nantes
À la suite de sondages et de prises de contacts dans diverses régions françaises, la direction arrête son choix sur Nantes. « La situation géographique de cette ville dans l’Ouest, sa large infrastructure commerciale, industrielle et financière » ont pesé dans la balance, explique-t-elle, mais l’élément décisif a été « l’importance numérique de la main-d’œuvre féminine inemployée ». Un réservoir où elle compte bien puiser pour « faire de Nantes un centre de création du "Haut-Tricot de Mode" ».
Atelier de découpage de l’usine Tricosa
Date du document : 1964
Atelier de découpage de l’usine Tricosa
Date du document : 1964
L’usine, étendue sur 4000 mètres carrés et 4 étages, comprend plus de 380 employés, majoritairement des femmes, oeuvrant dans différents ateliers liés aux différentes étapes de fabrication.
Droit de diffusion : Communication libre, reproduction libre
L’usine, étendue sur 4000 mètres carrés et 4 étages, comprend plus de 380 employés, majoritairement des femmes, oeuvrant dans différents ateliers liés aux différentes étapes de fabrication.
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L’implantation de Tricosa-Ouest se déroule de façon progressive. Elle débute par la création en 1961 boulevard Dalby d’un atelier-témoin de 100 mètres carrés avec une dizaine de machines et un effectif d’une trentaine de personnes. Cet atelier pilote va permettre à la société de sélectionner et de former sur place les monitrices dont elle a besoin pour l’encadrement et la formation du personnel à des métiers très variés : mécaniciennes, coupeuses, piqueuses, finisseuses, repasseuses, etc.
L’ouverture du site Lamoricière
Trois ans plus tard, Tricosa implante son usine nantaise au 15, rue Lamoricière dans le bâtiment occupé précédemment par les Papeteries Léon Clergeau. L'entreprise, spécialisée dans la fabrication de cartons ondulés, a transféré sa production en 1963 dans son usine flambant neuve de Nantes-Cheviré.
L'usine de textile investit alors les 4000 mètres carrés libérés répartis sur quatre niveaux, auxquels il faut ajouter 1100 mètres carrés rue Bayard d’aménagements sociaux et de dépôt. En avril 1964, l’effectif est de 380 personnes, en grande majorité des femmes.
Atelier de couture de l’usine Tricosa
Date du document : 1964
Atelier de couture de l’usine Tricosa
Date du document : 1964
Dans les années 1970, l’usine produit entre ses deux usines presque 300 000 pièces à l’année, comprenant robes, tailleurs, manteaux, pantalons et autres vêtements.
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Dans les années 1970, l’usine produit entre ses deux usines presque 300 000 pièces à l’année, comprenant robes, tailleurs, manteaux, pantalons et autres vêtements.
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La société Tricosa connaît son apogée dans les années 1970. Sa capacité de production est de 270 000 à 300 000 pièces par an, robes, tailleurs, manteaux, pantalons, etc. fabriqués dans ses deux unités de production : Paris (600 personnes) et Nantes (420 personnes). En 1977, la société familiale passe sous le contrôle d’un groupe britannique au terme d’une OPA. Mais Tricosa connaît de graves difficultés financières au début des années 1980.
La fermeture
En 1983, 60 salariés sont licenciés, 120 l’année suivante. L’établissement nantais ne compte plus que 170 salariés. Mais cette réduction progressive des effectifs ne suffira pas à maintenir l’entreprise à flot. L’actionnaire majoritaire anglais se désintéresse de la question. Début janvier 1985, la direction générale annonce le dépôt de bilan.
Fabrique des bobines de fil dans l’usine Tricosa
Date du document : 1964
Fabrique des bobines de fil dans l’usine Tricosa
Date du document : 1964
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Les ouvrières défilent dans les rues de Nantes aux cris de « Non, Tricosa ce n’est pas fini ! » et dénoncent l’« incompétence » de la direction générale ainsi que l’attentisme des pouvoirs publics. Elles organisent des portes ouvertes dans l’usine avant qu’elles ne soient définitivement closes. Rien n’y fait, quelques jours plus tard, c’est la fermeture, le licenciement collectif, la cessation d’activité sans espoir de reprise. Ainsi disparaît un fleuron nantais des métiers de la mode avec tout le savoir-faire des filles de Tricosa.
Deux ans plus tard, en 1987, les bâtiments de l’ancienne usine sont en partie démolis pour être totalement rénovés et transformés en immeuble de bureaux.
Philippe Bouglé
Groupe Mémoire Dervallières – Zola
2015
Témoignage (1/5) : « L’activité de Tricosa, c’était le tricot...
Je suis arrivée chez Tricosa en 1969. J’avais commencé à travailler à 16 ans. J'ai gardé des enfants pendant une année et en 1968, je suis passée à l’usine. La première où j’ai travaillé, c'était « Le plus beau pantalon », à Saint-Clément. C’était déjà...
Nelly Lejeusne
Témoignage (2/5) : L’organisation du travail
On était au moins 350, réparties sur trois étages. Quand je suis entrée, j’ai fait du matelassage. On était au dernier étage, celui de la coupe. Les machines à coudre étaient au deuxième et au premier, c’étaient le repassage et la finition. Au rez-de-chaussée,...
Nelly Lejeusne
Témoignage (3/5) : « À notre étage, on était très solidaires »
Il y a eu pas mal de grèves. On faisait le piquet sur le rond-point ou alors, on se mettait dans les escaliers de l'usine. C’est arrivé quelquefois que l'on enferme le patron dans son bureau ! On faisait grève soit pour les salaires, soit pour une diminution...
Nelly Lejeusne
Témoignage (4/5) : La fête des catherinettes
Tous les ans, on fêtait les catherinettes. Cette tradition a duré jusqu’au bout. C’était une institution parce que les catherinettes, c’est la fête des couturières. Donc, le 25 novembre, c’était le jour de fête chez Tricosa. Les patrons étaient là. Il...
Nelly Lejeusne
Témoignage (5/5) : « C’est un travail qui m’a plu et j’aimais...
Quand l'usine a fermé en 1984, il y avait encore 170 salariés. Quelques filles ont retrouvé un boulot. Certaines sont parties chez Renault, route de Paris, pour la fabrication de sièges. Les années 1980, ça commençait à être dur. Surtout que la plupart...
Nelly Lejeusne
Témoignage (1/5) : « L’activité de Tricosa, c’était le tricot de luxe »
Je suis arrivée chez Tricosa en 1969. J’avais commencé à travailler à 16 ans. J'ai gardé des enfants pendant une année et en 1968, je suis passée à l’usine. La première où j’ai travaillé, c'était « Le plus beau pantalon », à Saint-Clément. C’était déjà dans le textile… Après je suis allée à « La Manufacture européenne de vêtements », quai de Versailles. C’étaient des vêtements militaires. Il y avait pas mal d’entreprises de textile sur Nantes. Maintenant, il n’y en a plus. On était facilement embauchées à cette époque-là. On partait d’une usine le vendredi et le lundi, on entrait dans une autre ! On trouvait du travail comme ça, par le bouche à oreille et on apprenait sur le tas. L’activité de Tricosa, c’était le tricot de luxe. Ils avaient un grand magasin sur Paris et l’usine était à Nantes. C’était assez moderne comme bâtiment. On faisait des pulls, des robes, des pantalons, des chemisiers, etc. C’était de la bonne maille. On avait du plaisir à travailler des beaux tissus. Il y avait deux collections dans l’année mais elles n’étaient pas conçues sur place. Les modèles devaient venir de Paris. Les vêtements étaient vendus dans toute la France sous la marque « Tricosa luxe ». C’étaient des belles choses pour une clientèle au-dessus. Il n'y avait pas de vente sur place. De toute façon, ce n’était pas dans nos prix, ils ne nous ont pas proposé ! Pour nous, il y avait de la vente de coupons, de restes de pièces. On en faisait des vêtements pour les gamins.
Propos recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire Dervallières-Zola en 2015 dans le cadre de la collection « Quartiers, à vos mémoires »
Témoignage (2/5) : L’organisation du travail
On était au moins 350, réparties sur trois étages. Quand je suis entrée, j’ai fait du matelassage. On était au dernier étage, celui de la coupe. Les machines à coudre étaient au deuxième et au premier, c’étaient le repassage et la finition. Au rez-de-chaussée, c'étaient les expéditions. Les camions arrivaient tous les jours avec le tissu et ils repartaient avec des vêtements. Faire du matelassage, c'était mettre une centaine d'épaisseurs de tissu sur laquelle on collait un papier avec le patron dessiné dessus. Ensuite, on découpait autour avec des machines, des tronçonneuses. On avait aussi des scies circulaires pour couper les tout petits morceaux. Une fois le tissu coupé, il y avait au moins 200 robes de faites d’un coup. On était moins nombreuses à l’étage de la coupe parce qu’il fallait des grandes tables de 30 ou 40 mètres pour étaler toutes les pièces de tissu. On avait quatre tables comme ça. Il y avait aussi des remailleuses avec nous. Dès qu’il y avait un trou dans le tissu, elles refaisaient les mailles à la main. Et puis, il y avait des filles qui étiquetaient tous les morceaux de la robe et ensuite ça descendait à l'étage en-dessous pour qu’ils soient cousus. Aux machines, il y en a une qui faisait les cols, une autre qui faisait les manches. Elles ne faisaient jamais une robe entièrement.
Propos recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire Dervallières-Zola en 2015 dans le cadre de la collection « Quartiers, à vos mémoires »
Témoignage (3/5) : « À notre étage, on était très solidaires »
Il y a eu pas mal de grèves. On faisait le piquet sur le rond-point ou alors, on se mettait dans les escaliers de l'usine. C’est arrivé quelquefois que l'on enferme le patron dans son bureau ! On faisait grève soit pour les salaires, soit pour une diminution d’heures quand il faisait trop chaud. On avait des fois plus de 30° pour travailler. Les chefs installaient un thermomètre pour vérifier qu’on avait bien 30° mais ils le mettaient dans un endroit bien aéré ! Ça arrivait qu'on ait gain de cause, pas tout le temps, mais ça arrivait. Des fois on lâchait et on n’aurait pas dû parce que si on avait continué un petit peu plus… Nous, à notre étage, on était très solidaires. S’il y avait un souci avec une fille, ça se réglait aussitôt. On arrêtait tout ! On posait les ciseaux et on se mettait en grève. Les chefs allaient chercher la direction et on s’arrangeait. C’étaient des petites choses : ils embêtaient une fille pour son rendement ou ils la déplaçaient et ça ne lui plaisait pas, des trucs comme ça… Elle était soutenue par ses collègues et en un quart d’heure, c’était réglé ! Comme disait le patron, on était l’étage des « bêtes noires » parce qu’on ne voulait jamais leur céder. »
Propos recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire Dervallières-Zola en 2015 dans le cadre de la collection « Quartiers, à vos mémoires »
Témoignage (4/5) : La fête des catherinettes
Tous les ans, on fêtait les catherinettes. Cette tradition a duré jusqu’au bout. C’était une institution parce que les catherinettes, c’est la fête des couturières. Donc, le 25 novembre, c’était le jour de fête chez Tricosa. Les patrons étaient là. Il n’y avait pas grève ce jour-là, tout le monde s’entendait bien ! On passait la journée au « Chalet Suisse » avec repas, danse… On était bien, ça nous sortait un peu de l’usine. Les filles de 25 ans qui n’étaient pas mariées avaient droit à un beau chapeau jaune et vert payé par le patron. Je crois qu’elles avaient aussi une petite enveloppe. Quand on se mariait, on avait droit à un coupon de tissu.
Propos recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire Dervallières-Zola en 2015 dans le cadre de la collection « Quartiers, à vos mémoires »
Témoignage (5/5) : « C’est un travail qui m’a plu et j’aimais bien l’ambiance »
Quand l'usine a fermé en 1984, il y avait encore 170 salariés. Quelques filles ont retrouvé un boulot. Certaines sont parties chez Renault, route de Paris, pour la fabrication de sièges. Les années 1980, ça commençait à être dur. Surtout que la plupart des filles avaient vingt ans de Tricosa alors c’était difficile. On n’avait pas forcément les qualifications ou on ne savait pas faire autre chose. Moi, comme j’avais trois enfants, j’ai arrêté de travailler quelques années. Et après, j’ai gardé des enfants à domicile. C’est un travail qui m’a plu et j’aimais bien l’ambiance. Les gens restaient longtemps quand ils étaient embauchés à Tricosa. On était bien dans cette usine... malgré tout. Et puis, on était bien payés, c’était bien. On avait notre salaire en liquide tous les quinze jours. Des trois usines que j’ai faites, c’était la mieux. Il y avait plus de respect des ouvriers parce que dans les autres, on était un peu les larbins quand même.
Propos recueillis par les Archives de Nantes et le groupe mémoire Dervallières-Zola en 2015 dans le cadre de la collection « Quartiers, à vos mémoires »
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Bibliographie
Archives de Nantes, Du quai de la Fosse vers Mellinet-Canclaux, coll. Quartiers, à vos mémoires, Nantes, 2016
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