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Anciens bains-lavoirs de la Madeleine


Le 3 février 1851, l’Assemblée nationale vote un crédit extraordinaire de 600 000 francs pour encourager les communes à créer des établissements modèles de bains et de lavoirs publics gratuits ou à prix réduits. Dès le vote de cette subvention, le conseil municipal de Nantes cherche où implanter des bains publics ouverts à la population pauvre : le premier ouvre dans le quartier de la Madeleine.

Un établissement de bienfaisance

Henri-Théodore Driollet, architecte en chef de la ville au milieu du 19e siècle, propose deux projets ; l’un sur la pointe de l’île Gloriette et l’autre sur l’île de la Madeleine. Le conseil municipal choisit d’implanter le futur établissement sur le quai de Maison-Rouge – actuelle allée Baco – en utilisant un terrain communal de forme triangulaire, composé de remblais de sable réalisés plusieurs années auparavant. Cet emplacement place le futur édifice entre quatre voies publiques, au débouché au pont de la Belle-Croix et autorise à créer un bâtiment avec de larges façades et de « beaux accès ».  Surtout, cet établissement de bienfaisance se trouverait « à proximité du quartier pauvre et populeux de la chaussée de la Madeleine et de la rue des Olivettes ».

Projet d'un établissement de bains et lavoirs publics sur le quai en aval de la pointe de l'île Gloriette

Projet d'un établissement de bains et lavoirs publics sur le quai en aval de la pointe de l'île Gloriette

Date du document : 01-09-1851

Le projet, l’un des premiers soumis au ministère, est approuvé en 1852. Pour être éligible à la participation financière de l’État, la commune dresse un plan d’exploitation en faveur des démunis : les bains sont gratuits pour les personnes reconnus indigentes et les lavoirs sont accessibles à un prix modique. Le conseil choisit également d’appliquer des horaires réservés aux indigents afin « de séparer avec soin le public payant des personnes qui sont admises sans payer [afin de] ménager la susceptibilité si facile à éveiller des ouvriers ».

Une organisation intérieure adaptée à la configuration du terrain

Le bâtiment projeté a un plan triangulaire adapté à la forme du terrain. Organisé autour d’un vestibule central traversant, l’établissement est bipartite : à l’ouest, vingt cabines de bains sont logées dans l’axe central du rez-de-chaussée de la pointe du triangle ; à l’est, dans la partie large du triangle, le lavoir offre en rez-de-chaussée 48 cellules de laveuses disposées dans des vaisseaux perpendiculaires à l’axe central réservé aux parties communes (cuvier, séchoir à vapeur, salle de repassage). Le lavoir est largement éclairé par de grandes baies latérales en arc plein cintre tandis que les bains ont une lumière moins franche par soucis de préserver les clients de l’extérieur. Il est surmonté d’une cheminée de pierre et de brique.

Projet d’un établissement de bains et lavoirs publics pour la classe ouvrière à ériger sur le quai de Maison-Rouge

Projet d’un établissement de bains et lavoirs publics pour la classe ouvrière à ériger sur le quai de Maison-Rouge

Date du document : 12-11-1851

Sur toute la longueur de l’axe central du bâtiment un étage est prévu pour une extension du service de bains après démonstration de son utilité et pour les logements des employés au-dessus du lavoir. Il est soutenu par des files poteaux en fonte.

Les travaux sont confiés à Pierre Rigola Antonietti, entrepreneur, poêlier et fumiste demeurant à Nantes, pour la somme de 70 000 francs. Ils se terminent en 1855. Pour autant, l’établissement n’est pas ouvert : il manque le mobilier et la Ville attend la création de la Compagnie des eaux pour exploiter ce lieu de bienfaisance à moindre frais.

Ce bâtiment est le premier du genre construit à Nantes. Henri-Théodore Driollet et le conseil municipal sont conscients que ses équipements, qui seront soumis à une utilisation très soutenue, doivent offrir des garanties de fiabilité. Une expérimentation consciencieuse est lancée à la fin des travaux car la Ville n’a jamais eu à gérer un « service aussi complexe ». Elle démontre la nécessité de remplacer la machine à vapeur installée par une autre plus puissante. La somme à engager se monte à 10 000 francs, un coût que la Ville ne peut payer. Une solution est trouvée en recyclant ici la « vieille pompe de la Poissonnerie ».

Plans d'exécution pour l'établissement des bains-lavoirs de la Madeleine

Plans d'exécution pour l'établissement des bains-lavoirs de la Madeleine

Date du document : 06-06-1859

Jusqu’à 800 bains par jour

Lorsque l’établissement ouvre au public en janvier 1860, il fonctionne de 5h à 21h en été et de 7h à 20h en hiver. Il ne propose que des bains – les douches ne sont inventées qu’en 1872 par le médecin-chef de la prison de Rouen – dont la durée maximale est fixée à 55 minutes. Ceux-ci sont gratuits pour les nécessiteux. Le lavoir fonctionne avec un cuvier commun dans lequel un employé fait bouillir le linge après que l’opération de décrassage réalisées par les utilisatrices. Celles-ci reviennent le lendemain pour faire sécher le linge dans le séchoir à vapeur et accéder à la salle de repassage. L’accès au lavoir coûte 0,10 francs les premières deux heures.

Les bains-lavoirs sont alimentés par la Compagnie des eaux et par une citerne qui récolte les eaux de ruissellement. Mais la fourniture d’eau connaît de fréquentes coupures qui compliquent et ralentissent le service.

Schéma d'approvisionnement en eau

Schéma d'approvisionnement en eau

Date du document : 1854

Les estimations faites par les services de la Ville laissent penser que l’établissement avec un tiers des visites gratuites serait déficitaire. La commune lance donc une procédure d’adjudication pour mettre l’établissement public en gérance privée. En 1859, l’entrepreneur Pierre Rigola Antonietti prend les rênes de l’établissement qu’il avait construit avec un contrat extrêmement avantageux : la Ville lui verse annuellement une subvention de 8000 francs en compensation des bains et lavoirs gratuits, prend à sa charge la fourniture d’eau à hauteur de 150 m3 quotidiens ainsi que la fourniture du gaz et paie les travaux d’agrandissement des bains si cela s’avère nécessaire. En outre, l’établissement est dispensé du paiement de la taxe sur les portes et fenêtres. Pierre Rigola est également autorisé à faire un commerce privé de blanchisserie et de bains de 1ère classe créant ainsi une concurrence déloyale pour des autres commerces de la ville.

Cet accord est calamiteux pour la Ville qui reprend les rênes des bains de Maison-Rouge en 1864. Deux ans plus tard, les recettes de l’établissement ont augmenté de 50% et Maison-Rouge fournit 800 bains par jour avec une affluence record le samedi et le dimanche. Fort de ces résultats, M. Destrebecq, régisseur des bains et lavoirs, demande, en 1867, le remplacement de la « vieille pompe qui servait autrefois à la Poissonnerie » par une pompe plus puissante.

Après plusieurs années de coupures d’eau inopinées, une pompe de relèvement d’eau est installée, en 1869, pour pouvoir fournir les 180 m3 nécessaires au fonctionnement journalier des Bains-lavoirs. Elle permet de prélever l’eau de complément directement dans la Loire grâce à une canalisation percée dans le mur de la cale de Maison-Rouge. L’eau est filtrée et stockée dans des citernes.

Des rénovations au compte-goutte

En 1889, l’état de délabrement de l’établissement est tel que le bâtiment risque de devoir être abandonné. En 1892, la construction d’un lavoir, rue Noire, fragilise encore celui de Maison-Rouge : avec son système de gargote, le nouveau lavoir permet aux femmes de procéder au décrassage, lessivage et rinçage dans la même journée, tandis que le système de Maison-Rouge oblige les femmes à revenir le lendemain pour le rinçage.

Dès 1908, la démolition est envisagée à cause de la vétusté du bâtiment. Elle est retardée par le premier conflit mondial.

Bains-lavoirs de Maison-Rouge lors d’une crue de la Loire

Bains-lavoirs de Maison-Rouge lors d’une crue de la Loire

Date du document : 12-1910

En 1920, un programme de rénovation et de réaménagement est soumis au conseil municipal par le directeur du bureau de l’hygiène. Mais les finances de la Ville ne permettent pas d’engager les dépenses. Les bains et lavoirs sont donc maintenus en état jusqu’à l’ouverture des nouveaux bains rue Michel-Roger en 1929. C’est alors que Marc Audic, directeur du Service des Eaux et des Bains & Lavoirs de 1926 à 1936, élabore un nouveau projet de transformation. Approuvé par l’adjoint au maire, Henri Sureau, le projet est étudié par le service d’architecture. En 1931, Étienne Coutant propose un projet de réfection complète des aménagements intérieurs au coût trop important.

En 1932, Camille Robida, nouveau directeur de l’architecture et des bâtiments municipaux, reprend l’étude et propose de réhabiliter l’édifice en y aménageant un hall d’attente mixte éclairé par une verrière moderne dans lequel un escalier dessert des galeries. Les travaux se montent à 317 000 francs et sont financés pour un tiers par une subvention de l’État provenant du prélèvement sur le produit des jeux. L’établissement rénové propose alors 12 douches et 34 bains.

La Loire, au niveau du quai du Port Maillard vers le pont de la Belle-Croix

La Loire, au niveau du quai du Port Maillard vers le pont de la Belle-Croix

Date du document : fin des années 1920

A la suite de la réfection de la partie « bains » de l’établissement Marc Audic s’attelle à la partie lavoir. Il propose un projet de réaménagement en 1934 qui n’est pas exécuté. En 1942, un nouveau projet de réaménagement du lavoir n’aboutit pas. En 1957, le lavoir devient dangereux pour les clients et le garçon de lavoir chargé de faire bouillir le linge dans le cuvier.

En 1959, les bains rénovés vingt-cinq ans auparavant sont dans un état pitoyable et concurrencés par les nouveaux logements aux équipements sanitaires intégrés, tandis que le lavoir dont le fonctionnement et l’aménagement n’ont pas changé depuis cent ans fait face à la concurrence des premières laveries automatiques et des machines à laver.

Sans avoir jamais été rénové, le lavoir est détruit en 1967 pour permettre l’agrandissement de la rue des Olivettes et l’amélioration de la circulation, laissant la partie bains en sursis. L’amputation du lavoir oblige au déplacement de la chaufferie pour permettre aux nouveaux « Bains-Douches » de fonctionner avec un rez-de-chaussée consacré aux douches et un étage à baignoires.

Entrée des anciens bains et lavoirs municipaux de la Madeleine

Entrée des anciens bains et lavoirs municipaux de la Madeleine

Date du document : 10-12-2019

En 1980, face à la baisse de fréquentation de tous ses établissements de bains publics, la Ville de Nantes définit un programme minimum pour la rénovation des Bains-Douches de Maison-Rouge qui reste l’établissement le plus facilement desservi par les transports en commun. A la suite d’une enquête, il est envisagé de ne conserver que 15 douches et 5 baignoires et de les reloger dans la partie orientale du bâtiment. Les études techniques sont réalisées sous la direction de l’architecte Jean Bouyge.

La réduction drastique de la surface des bains permet à la municipalité de proposer en 1982 la création d’un musée scientifique dans les locaux inoccupés du bâtiment. Le projet sera abandonné à la faveur des élections municipales de 1983 mais le déménagement des bains-Douches dans l’ancienne chaufferie du bâtiment est lancé. L’établissement rénové ouvre en novembre 1986. La taille des cabines a été diminué, la salle d‘attente supprimée. A la fin de l’année 1987, les bains sont raccordés au réseau de chaleur Valorena : l’eau est désormais chauffée par l’usine de traitement des déchets de Mauves.

Anciens bains-lavoirs municipaux de la Madeleine vus depuis l’allée de la Maison Rouge

Anciens bains-lavoirs municipaux de la Madeleine vus depuis l’allée de la Maison Rouge

Date du document : 07-04-2016

Un nouvel usage

Comme beaucoup de Bains-Douches, la partie occidentale du bâtiment est transformée en maison des associations à partir de janvier 1988. Le ravalement complet des façades extérieures de Maison-Rouge se termine en mai 1988. L’inauguration du nouvel espace est faite le 6 février 1989. Après ces travaux, l’association Nantes Renaissance demande à la Ville à reconnaître le bâtiment comme faisant partie du patrimoine nantais.En 2008, une pétition lancée par l’association La Magdeleine empêche l’arasement de la cheminée pour l’installation d’antennes-relais de téléphonie. En 2016, la cheminée est bouchée et la maire, Johanna Rolland, annonce que les bains-douches seront transférés sur l’île de Nantes en 2019, aux côtés du restaurant social Pierre Landais.

Intérieur des anciens bains-lavoirs municipaux de la Madeleine

Intérieur des anciens bains-lavoirs municipaux de la Madeleine

Date du document : 02-12-2014

En 2019, à l’issue de la consultation « 15 lieux à réinventer », la coopérative de l’Ouvre-Boîtes 44 investit les anciens bains de Maison-Rouge dans le cadre du projet du Grand Bain. Afin d’accueillir les nouveaux usages de ce projet de tiers-lieu coopératif et ouvert au public, d’importants travaux de restauration ont été menés dans les anciens bains-douches. Achevée en 2023, cette réhabilitation permet au lieu de proposer des bureaux, salles de réunion et événements ainsi qu’une boutique de créateurs, un café-épicerie et un espace bien-être. Cette première phase de travaux sera suivie de nouveaux aménagements concernant les abords du bâtiment.

Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021 (mis à jour en 2023 par Noémie Boulay)



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En savoir plus

Bibliographie

Aymard Colette (dir.), Les bains-douches en Limousin, architecture et histoire, naissance d’une hygiène populaire, DRAC du Limousin – CAUE de la Haute-Vienne, Limoges, 2013

Pages liées

Dossier : La vie quotidienne en bord de Loire

Dossier : Les bains et lavoirs publics de Nantes

Quartier de la Madeleine (1/2)

Ancien pont de Belle-Croix

Tags

Architecture civile publique Bain et lavoir Centre Ville Reconversion Santé et hygiène

Contributeurs

Rédaction d'article :

Julie Aycard, Noémie Boulay

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