Nantes la bien chantée : Au 4e Cambronne
Cette chanson semble dater du tout début de la Première Guerre mondiale. Elle entre en parfaite résonance avec l’image de soldats heureux et pressés d’aller au combat, image véhiculée dans nos cours d’histoire et que nous ne cautionnons aujourd’hui qu’avec réticence. Ce bataillon, portant le nom d’un illustre militaire Nantais en véritable étendard, semblait ne pas vouloir déroger à cette représentation quelque peu mythique.
Nantes, dans le texte
Pierre Cambronne, né et mort à Nantes (1770-1842) et l’un des plus célèbres militaires originaires de la cité des ducs, mais au-delà de ce nom prestigieux emprunté pour le blason d’un régiment, plusieurs indices, notamment au 3e couplet, semblent indiquer que ce régiment était basé à Nantes. Usant de l’artifice de la personnification, Nantes donne même de la voix en forme d’encouragement aux soldats qui s’en vont au combat dans cette humeur joyeuse qui, comme chacun sait, durait à peine le temps du trajet qui séparait la caserne de la folie guerrière des humains.
Un surnom prestigieux et un « mot » célèbre
Général de division des armées du Premier Empire, Cambronne jouissait de son vivant d’un énorme prestige, essentiellement bâti sur les multiples campagnes qui l’avaient conduit dans diverses régions du globe : Antilles, Belgique, Irlande, etc. Ses faits d’armes ont rapidement construit sa légende qui ne fera d’ailleurs que se renforcer, même après l’amère période de la Restauration.
Beaucoup ne connaissent de Cambronne que le célèbre « mot », que la légende lui attribue d’avoir prononcé au terme de la défaite de Waterloo. Accompagnée de la Vieille Garde qui fut sommée de se rendre par l’officier ennemi, on lui prête cette célèbre réplique : « la garde meurt mais ne se rend pas ». Mais, et surtout oserai-je dire, il aurait rétorqué « merde » à ce même officier qui insistait dans son exigence de reddition.
Tout d’abord, il convient de préciser que, légende ou vérité, le général finit tout de même par se rendre. Enfin, au cours de sa vie, et particulièrement lorsqu’il put revenir en France après sa période d’exil, il n’eut de cesse de nier d’avoir prononcé l’une et l’autre de ces répliques devenues cultes comme on dirait aujourd’hui d’emprunts au cinéma ou aux séries télévisées.
Bref, donner ce nom singulièrement illustre à un régiment - d’infanterie, à ce qu’il parait - est un véritable défi au courage de ceux qui le composent : la barre est haute, surtout lorsqu’elle est également portée par d’autres héros Bretons.
Sous le patronage de héros Bretons
Bien que prétendument composé de soldats dont la bravoure n’est plus à vanter, ce régiment de va-t-en-guerre n’en a pas moins le soucis de se placer sous la protection de héros Bretons qui ont nourri l’imaginaire de plusieurs générations, pas toujours de manière très cohérente avec la réalité historique d’ailleurs.
Ainsi, dès le premier couplet, on invoque Duguesclin, le très célèbre connétable que la légende s’entête à vouloir faire passer pour une sorte de Robin des Bois à l’Armoricaine. Puis, comme pour vanter les qualités guerrières d’un peuple aussi vaillant sur terre que sur mer, le chant convoque Surcouf et Duguay-Trouin, marins hors pairs s’il en est. Puis vient Cambronne, par l’intermédiaire d’une image allégorique de sa mère : Nantes et la Loire… Nantes ou la Loire. Enfin, le chant mentionne l’officier La Tour d’Auvergne (1743-1800), « Premier Grenadier de France », né à Carhaix et dont le titre exact que lui donna Napoléon était « Premier grenadier de la République », ce qui n’a pas tout à fait la même portée lorsqu’il s’agit de défendre la république, justement.
Si l’on ajoute à ces interpellations, les onze villes de Bretagne qui émaillent ces quatre couplets, plus aucun doute ne saurait subsister sur l’identité Bretonne de ce régiment !
La caserne Cambronne
Nantes ne devint ville de garnison que vers le 3e quart du 19e siècle. Plusieurs constructions ou aménagements furent alors décidés, dont l’édification de la caserne Cambronne qui ferma définitivement ses portes en 2010. Au plus fort de son activité, cette caserne abritait environ 3500 hommes (65e régiment d’infanterie).
Je ne suis pas en mesure d’affirmer que le régiment de la chanson fut celui-ci mais, pour autant, le rapprochement est inéluctable avec le 65e régiment d’infanterie (créé en 1792), principalement composé de Bretons et de Vendéens qui était caserné à Nantes et qui partit au front le 5 août 1914, sous les acclamations enthousiastes et quelque peu surréalistes de la foule.
Une marche militaire et un humour qui ne l’est pas moins
Le texte ne fait pas l’impasse sur un clin d’œil au « comique troupier », quoi que de manière sans doute plus subtil que ce à quoi le genre est accoutumé, en évoquant au 4e couplet la bravoure de soldat qui ne tournent jamais le dos, en d’autres termes : ne font jamais voir la lune… A l’inverse, la formule de refrain est d’une couleur nettement « salle de garde » !
Cette chanson fut retrouvée dans les archives de Bernard De Parades. Le seul document porté à notre connaissance, est une photocopie de mauvaise qualité ne précisant pas l’ouvrage de référence, mais une mention stipule que le dit ouvrage fut édité par E. Dupré, imprimeur à Paris (rue du Delta), en activité à la toute fin du 19e siècle.
Hugo Aribart
Dastum 44
2020
1. Nous sommes les gars qu’ont la tête dure
Pis qu’les rochers qui crèvent le sol
Les gars d’Dinan et de Saint-Pol
Dont l’clocher brave la froidure
En sifflant un pas redoublé, endiablé
Sur l’champ d’bataille au saurait p’t-être
Battre l’enn’mi comme on bat l’blé
Car Duguesclin est notre maitre
Quand c’est l’heure du branle, branle
Quand c’est l’heure du branle-bas
Les Bretons ne s’endorment, dorment
Les Bretons ne s’endorment pas
2. Nous sommes les d’Vitré, d’Fougères
Les gars de Rennes et d’Saint-Malo
Qui sur terre et même sur l’eau
Savent marcher, légère, légère
Au pas de course on irait loin, l’arme au poing
Dût-on mouiller sa guêtre blanche
Si Surcouf et Duguay-Trouin
Nous cornaient, traversez la Manche
Quand c’est l’heure du branle, branle
Quand c’est l’heure du branle-bas
Les Bretons ne s’arrêtent, rêtent
Les Bretons ne s’arrêtent pas
3. Nous sommes les gars à qui la Loire
Peint dans les yeux des reflets verts
Et qui jamais n’boivent de travers
Quand il faut partir pour la gloire
Nantes leur dit : songez, pioupious, mes p’tits loups
Si la fumée vous environne
Et si quelqu’un crie « Rendez-vous ! »
Que c’est moi la mère de Cambronne
Quand c’est l’heure du branle, branle
Quand c’est l’heure du branle-bas
Les Bretons ne mollissent, lissent
Les Bretons ne mollissent pas
4. Nous sommes les gars qu’ont peau brune
Les gars d’Quimper et d’Concarneau
Les gars de Brest et d’Landerneau
Dont l’enn’mi n’verra point la lune
Ah, comme toi, si les clairons, ces démons
Au feu réclament notre présence
La Tour d’Auvergne, nous serons
Tous Premier Grenadier de France
Quand c’est l’heure du branle, branle
Quand c’est l’heure du branle-bas
Les Bretons n’se débandent, bandent
Les Bretons n’se débandent pas
Dastum 44
2020
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Enregistrement
Jean-Noël Griffisch (réponse : Jean-Louis Auneau, Francis Boissard), le 25 mai 2019 à Nantes d’après la version parue aux éditions Dupré (avec notation musicale).
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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