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Aménagements portuaires au 19e siècle (5/7)


Après une première phase de construction du grand port et de mutation de la ville entre 1720 et 1780, la tourmente révolutionnaire ralentit le commerce et met un coup d’arrêt aux travaux. Ceux-ci ne reprennent que sous la Monarchie de Juillet mais l’intensité qui sera ensuite déployée remodelera entièrement le réseau portuaire de Nantes. Ainsi, le 19e siècle est un siècle de mutations et de ruptures multiples : rupture dans les politiques d’aménagement du territoire, mutation du statut du port, ruptures du lien quotidien avec le fleuve pour les populations riveraines.

L'aménagement du port de Nantes : une affaire d'état

La rupture majeure est celle de l’aménagement du territoire et de l’intégration du port dans cette politique d’aménagement. Elle est conduite par la montée en puissance de l’administration des Ponts et Chaussées autour des années 1840, propulsée par la première Révolution industrielle. Si cette administration est créée en 1716, sa compétence ne s'étend pas à l'ensemble du royaume avant la Révolution ; et la Bretagne comme la Bourgogne, le Languedoc et la Provence mène sa propre politique d'équipement. En outre, depuis 1753, la ville de Nantes a récupéré l’entière maîtrise des rives de Loire, en amont et en aval de la ligne de ponts, et peut donc aménager le port comme elle l’entend. Mais, l’incurie des finances municipales l’oblige régulièrement à différer les travaux ou à faire appel à l’aide des particuliers engendrant une grande inertie qui ne répond pas aux besoins exponentiels des armateurs et négociants.

Deux facteurs permettront au port de Nantes d’engager des mutations rapides, fréquentes et durables : la réintégration des rives fluviales dans le domaine public d’État et la Révolution industrielle. Le premier facteur tient au fait qu’en 1841, un décret royal redonne la propriété des rives et quais des fleuves et rivières de France aux domaines et affecte leur gestion à l’administration des Ponts et Chaussées.

À Nantes, l’imprécision du décret qui ne délimite pas la notion de « rives » aura un retentissement imprévu car les Ponts et Chaussées prennent rapidement conscience de l’impact financier qu’auront la construction et l’entretien des quais d’un port aussi conséquent et aussi peu équipé. Ils tentent d’imposer un partage financier arguant du fait que ces équipements permettent tout autant d’aménager la ville que de répondre aux besoins du port. La Ville qui se trouve dépossédée des quais qu’elle a fait construire un siècle auparavant et de la possibilité d’agir sur les alignements rivulaires lance une fronde qui durera 17 ans.

Le blocage des aménagements du port de Nantes oblige l’État à préciser la répartition des rôles sur les rives par la parution d’un nouveau décret impérial en 1853 : le domaine fluvial est limité à une bande de 7,80 mètres à partir du nez des quais et à l’entretien des voies de grande communication. En 1858, l’administration des Ponts et Chaussées s’accorde avec la Ville de Nantes. L’État prend en charge le pavage des quais bas, plans inclinés, cales, paliers, terrasses et autres ouvrages spécialement affectés au chargement, au déchargement et au dépôt des marchandises ainsi que les chaussées des quais de la gare, de Richebourg et Maillard, du quai des constructions sur toute la longueur correspondante aux terrasses et cales en tablier, de la partie aval du quai d’Aiguillon non bordée de parapets, et du quai Saint-Louis.

Les chaussées des quais de Bouffay, Flesselles, Brancas, de la Bourse et de la Fosse, de la partie amont du quai d’Aiguillon sur la longueur bordée de parapets, des quais formant le périmètre de l’île Feydeau, des quais de la Maison Rouge, de l’Hôpital et de l’île Gloriette, des quais Magellan, Moncousu et méridional de l’île Gloriette, du quai Hoche sont à la charge de la Ville.

À partir de cet accord, l’État réinvestira pleinement son domaine, et cette maîtrise d’ouvrage unique avec des financements facilités transforme le port de Nantes. En parallèle de ces questions de définition du domaine public, la Révolution industrielle – second facteur de mutation – déclenche une « révolution des transports » dans laquelle le rôle des ingénieurs des Ponts et Chaussées est prédominant.

Trois types d'infrastructures sont privilégiées : les routes, les ouvrages hydrauliques et les voies de chemin de fer. L’aménagement du port de Nantes – qui est toujours le premier port de France –  est un sujet qui dépasse le territoire local pour devenir bien souvent une question d’ordre national car le lieu concentre l’intégralité des typologies d’infrastructures : une ligne de pont indispensable à l’économie de toute la façade atlantique, le chemin fer entre Paris et la côte atlantique, et une multitude d’ouvrages à créer et entretenir pour faire vivre le port.

À partir de 1853, l’État devient donc gestionnaire et créateur des ponts de Nantes, de ses quais et équipements et de l’intégralité des ouvrages hydrauliques ligériens. Contrairement aux reproches qui sont fréquemment formulés contre l'administration des Ponts et Chaussées, les ingénieurs dévolus à l’entretien et l’amélioration du port de Nantes sont entièrement dédiés à trouver des solutions pour les intérêts économiques de cette partie du sillon ligérien, et Nantes, destination finale et lieu de déchargement, est le point focal de leur action. La notion d’utilité publique est ici fondue avec celle d’« utilité pour les intérêts du port ». Cette doctrine directrice profitera largement à la ville mais deviendra préjudiciable pour une partie des communautés riveraines qui ne bénéficieront que tardivement des aménagements nécessaires à leur protection face à un fleuve déséquilibré par les chantiers qu’il subit.

Du port de commerce au port industriel : la mutation des espaces portuaires

La mutation matérielle des espaces portuaires nantais commence en 1840 lorsque les chantiers de construction navale sont définitivement installés sur l’île de la Prairie-au-Duc : 5,5 hectares appartenant au domaine public de l’État, faisant face au quai de la Fosse, sont divisés en six parcelles de chantier et six parcs à bois par le service des Ponts et Chaussées.

Plan général du projet d’amélioration des canaux de la prairie-au-duc

Plan général du projet d’amélioration des canaux de la prairie-au-duc

Date du document : 1866

Profitant de l’opportunité de valorisation foncière qu’offre cette installation d’une industrie majeure sur des terres vierges, les associés de la société des Docks et bassins proposent, en 1842, de construire à leurs frais des bassins de déchargement sur cette île en échange de la perception de droits de péage.

Ce projet de construction privée de bassins dans lesquels les bateaux pourraient prendre plus de temps pour décharger sans entraver le bon fonctionnement du port maritime est plébiscité par tous les acteurs du port. Le creusement des premiers docks nantais commence en 1845. En 1848, la société, exsangue, cède son œuvre à l’État. Le service des Ponts et Chaussées consolide l’existant et devient gestionnaire de docks qui s’apparentent plus à des canaux navigables.

Canal Jollet

Canal Jollet

Date du document : fin 19e siècle

En parallèle, ses ingénieurs se concentrent sur la construction des quais Moncousu, Magellan, Favre et Hoche. Ces chantiers lancés concomitamment entre 1841 et 1844 régularisent l’île de la Madeleine, la mettent hors d’eau et déplacent les activités du port fluvial. Sur les nouvelles rives méridionale et orientale de la Madeleine, usines et ateliers artisanaux se développent à tel point qu’en 1844, les limites administratives du port maritime de Nantes sont modifiées pour inclure les deux rives du bras de la Madeleine sur lesquelles les industries de noir d’engrais, de métallurgie, de houille et de bois de construction prospèrent.

Arrivage du foin au quai Moncousu

Arrivage du foin au quai Moncousu

Date du document : fin 19e siècle

Par ailleurs, la construction des quais Moncousu et Magellan débarrasse définitivement les quais du centre-ville des débarquements de marchandises encombrantes destinées au marché local. Bien que la terminologie existe encore, le port dit fluvial a déjà presque disparu. Les quais du centre-ville sont dans leur quasi-totalité dévolus au transport de personnes, aux bateaux-lavoirs, école de natation et petite pêche ligérienne.

Dans le même temps, le quai de la Fosse commence à être nettement insuffisant et inadapté aux mutations techniques des navires. Mais la querelle entre l’État et la ville empêche la mise en œuvre de nouveaux quais.

Son agrandissement n’est lancé qu’en 1867. Toujours, édifié sur pilotis de bois, son nouveau talus est vertical pour correspondre aux standards de la construction navale et faciliter la manutention des marchandises. Le nouveau quai recouvre les anciennes cales et, à la fin des six années de chantier, 15 mètres supplémentaires ont été pris sur le fleuve et la ville s’est surélevée de 6 mètres au-dessus de l’étiage. Dans la foulée, le quai d’Aiguillon est également transformé. En 1870, l’anse du port maritime est donc enrichie par des docks, resserrée, équipée de quais adaptés sur lesquels du matériel de levage – essentiellement privé – et des entrepôts sont installés.

Plan général du projet de reconstruction du quai de la Fosse

Plan général du projet de reconstruction du quai de la Fosse

Date du document : 1865

Pourtant, à peine achevés, ces travaux sont déjà obsolètes car la France est entrée dans la seconde Révolution industrielle et le port de Nantes ne fait pas exception aux grandes transformations du territoire. Mais ici, l’emballement est perceptible : la construction des premiers bassins de Saint-Nazaire en 1856 met à mal le modèle nantais et celle du bassin de Penhoët, en 1881, rend presque inéluctable le destin du port de Nantes.

Néanmoins, comme le port et la ville sont devenus « un atelier dans lequel les usines de transformation des matières premières sont dépendantes des importations portuaires et des facilités de navigation », l’État décide de multiplier les actions pour favoriser la survie économique de Nantes, éviter le déclin de la capitale régionale et l’exode de milliers d’habitants.

Panorama de Nantes pris de la coupole de Notre-Dame de Bon Port

Panorama de Nantes pris de la coupole de Notre-Dame de Bon Port

Date du document : 1890

Suivant la doctrine de Napoléon III, le port est également devenu, avec l’arrivée du chemin de fer en 1853, le pivot d’un système de communications complet. Les Ponts et Chaussées déploient des moyens titanesques pour amplifier ce système. Des rails sont donc posés et des gares maritimes sont organisées sur les quais d’Aiguillon et André Rhuys (actuel quai François Mitterrand) pour faciliter l’export des matières premières ou leur acheminement vers les industries nantaises. Leurs travaux vont de pair avec la création de la gare de l’État, échangeur gigantesque où transitent toutes les marchandises chargées ou déchargées sur les quais de la Prairie-au-Duc ou produites dans ce quartier industriel.

Plan général de la gare de la Prairie-au-Duc

Plan général de la gare de la Prairie-au-Duc

Date du document : 1900

Signe précurseur des mutations à venir, la limite du port maritime est fixée, en 1888, « à l’amont par une ligne joignant l’octroi de la prairie des Mauves à l’octroi de Pirmil et à l’aval par ligne menée de la balise amont de la digue de Trentemoult au musoir aval de l’entrée du canal de Chantenay ». Cette nouvelle définition de l’espace administratif du port maritime prend en considération les possibles installations de nouvelles industries sur les îles nantaises et atteste de la mutation du port commercial en port industriel.

La ville et son port : entre symbiose et rupture

Alors que les portus antiques et médiévaux avaient été des éléments constitutifs des noyaux urbains naissants, une relation ambiguë entre les villes et les ports de l’aire métropolitaine nantaise naît au 19e siècle. Cette relation se cristallise autour des quais, organe consubstantiel de la naissance des grands ports, qui en consolidant les rives permettent la naissance de nouveaux quartiers urbains tout en éloignant les communautés du fleuve.

À Nantes, la construction des quais transforme la ville rivulaire en ville fluviale : la trame urbaine s’étend en quelques décennies sur des îles naguère vierges et submersibles. Pour se mettre hors d’eau, d’anciens quartiers, comme ceux de l’île Feydeau, n’ont de cesse de demander le rehaussement des quais et des chaussées enterrant peu à peu les immeubles. Mais cet agrandissement des quais éloigne toujours plus la ville du port et du fleuve, rompant les usages et éloignant la menace des crues. Ces travaux feront disparaître incidemment une partie des anciens usages comme l’abreuvement des bêtes. D’autres se perpétueront mais avec de nouvelles formes : le lavage du linge continue en Loire mais dans des bateaux-lavoirs. Dans un mouvement inverse, certaines communautés comme celles des îles rezéennes ne reçoivent aucun aménagement protecteur parce que, bien que nécessaires, ces travaux ne sont d’aucune utilité pour le port.

Suite Aménagements portuaires au 19e siècle (6/7)

Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021

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