
24 août-8 septembre 1785 : séjour d'Anna Francesca Cradock à Nantes
La mode des voyages, ou encore appelé « le grand tour », se développe dans l’aristocratie anglaise au 18e siècle. Elle est surtout en vogue chez les jeunes hommes. Ce voyage à travers l’Europe contribue à leur culture et à leur formation. Si les femmes sont moins nombreuses, certaines voyagent néanmoins, souvent en famille ou avec leur époux.
C’est l’histoire d’Anna et Joseph Cradock, citoyens britanniques, vivant dans leur manoir de Leicestershire. Il se marient en 1765 et afin, semble-t-il de trouver un remède à la santé fragile d’Anna, le couple part en voyage à travers l’Europe entre 1783 et 1785.
Anna Cradock rédigea un journal pendant ce séjour. Si le texte n’a jamais été publié en anglais, il en existe une traduction française faite par Mme O. Delphin-Balleyguier.
Elle va séjourner une quinzaine de jours à Nantes, en août 1785. Ce journal est un rare témoignage d’une contemporaine de l’époque, agrémentée d’observation architecturale, de remarques personnelles et de récits de rencontres humaines.
Voici quelques extraits de ces observations nantaises. Le texte intégral est accessible sur Gallica.
Mercredi 24 août 1785, arrivée sur Nantes
« Nous changions de chevaux à Aigrefeuille d’où la route est mauvaise jusqu’au passage de la Loire sur un pont magnifique ; La Loire se divise en plusieurs bras, aussi nous fallut-il encore traverser cinq ponts qui partagent la ville. Assez élevée, Nantes proprement dit n’est comprise que dans la vieille cité ; mais ses cinq faubourgs s’augmentent chaque jour de nombreuses constructions, quelques-unes fort élégantes. »

Gravure de Nantes depuis la rive Sud
Date du document : 1661
Le couple Cradock arrive par le sud. Il leur faut donc traverser la Loire par la ligne de ponts pour arriver dans la ville ceinte de murailles. En 1785, Nantes est encore une cité médiévale : « Nous entrâmes dans Nantes par les vieux quartiers : quelques rues y sont tellement étroites que notre chaise ne passait qu’avec peine. Les maisons, généralement hautes, ont des fenêtres à croisillons, très rapprochées les unes des autres. »
Il est à noter que Joseph et Anna Cradock voyagent en chaises de poste. Elles étaient légères et bien suspendues sur de grosses roues. C’est un grand luxe, qui permet d’éviter les voitures collectives, il est souvent réservé à l’aristocratie très aisée.
Les quais de la Loire
« La fosse et le quai d’Estrées, au bord de la Loire, appropriés au commerce et au trafic des affaires qui se font dans cette partie de la ville, ont une lieue de longueur. »

Portrait du maréchal duc d’Estrées
Date du document : 18e siècle
Arrêtons-nous un instant sur cette observation concernant le port et ses quais. Si le nom de la Fosse est bien connu, le nom de quai D’Estrée n’a pas laissé de traces dans la toponyme actuelle. Il s’agit du nom du quai au niveau de l’embouchure de la Chézine. Avant son souterrainement, un pont passait par dessus la Chézine au niveau de l’embouchure.

Plan d’alignement du quai de Chézine et quai d’Estrées
Date du document : 1792
Les promenades fluviales
« Nous avions engagé pour toute la journée, un bon bateau couvert et à voiles, avec deux matelots à qui nous devions fournir le dîner et donner 2 shellings […] le temps était délicieux […] le cours de cette rivière est charmant. Large, claire et tranquille, elle est bordée de bois et de rochers : pas la moindre côte aride ; mais partout des châteaux, des églises, des moulins à vents paraissant placés là pour embellir le paysage. »

Vue de l’Erdre, prise de la Maison du Ballet, au Mont-Giguet, vers 1840
Date du document : Fin 19e siècle – Début 20e siècle
Le couple semble apprécier les promenades fluviales. Ils prendront à plusieurs reprises des bateaux pour se rendre sur les îles de Loire, ainsi que le long de l’Erdre. Au 18e siècle, la population avait déjà l’habitude d’assister aux lancements de navires sortant des chantiers de constructions de navals nantais.
« En débarquant, nous avions vu une foule de gens attendant le lancement d’un bâtiment […] mais notre attente fut vaine ; le navire prêt, la mer s’était complètement retirée, et force fut de remettre le lancement au lendemain. »

Gravure des chantiers de construction navale de la Fosse
Date du document : 1776
Les visites touristiques
« Nous allâmes visiter l’église des Carmes, surchargées de statues de saints en bois de grandeur naturelle, peintes en couleurs voyantes, rehaussées de dorures. Dans le chœur, juste devant le grand autel, aussi clinquant que le reste, est placé un superbe tombeau élevée par Anne de Bretagne, reine de France, en l’honneur de son père François II, duc de Bretagne. L’ensemble de ce mausolée est magnifique : chaque figure est un chef-d’œuvre. »

Tombeau de François II et Marguerite de Foix
Date du document : Fin 19e siècle – Début 20e siècle
Anna Cradock est particulièrement sensible à la beauté de l’œuvre de Michel Colombe située au couvent des Carmes, lequel est vendu en 1790, puis démolit au 19e siècle. Le tombeau de François II et son épouse Marguerite de Foix est désormais installé dans la cathédrale de Nantes.
Durant son séjour, elle prend le temps de visiter plusieurs monuments : l’église de la Madeleine, l’église Notre-Dame, l’église Saint-Nicolas, ou encore Notre-Dame de Bon Secours. Elle visite aussi l’hôtel de ville, le château et se balade sur les cours saint-Pierre et saint-André. Plus original, le couple s’intéresse aussi à l’industrie en visitant la fonderie royale de canons d’Indret. Mme Cradock, dans son journal, y fait ce commentaire personnel : « Une fois le canon fondu, il est porté à un moulin à eau qui le perce et le polit. Les machines servant à construire les canons sont si perfectionnées qu’on y arrive relativement facilement ; mais, quand on pense que la science des ingénieurs tend surtout à tuer son semblable, il est impossible de regarder des engins de destruction sans un serrement de cœur ».

Vue d’Indret
Date du document : 1850
Puces et marchés
Si elle semble trouver la ville plutôt agréable, il est impossible de ne pas souffrir avec elle de l’inconfort de l’auberge dans laquelle le couple est logé. En effet, les lits sont infestés de punaises de lit qui l’empêchent de dormir : « Mes terribles ennemis m’ont encore livré une bataille acharnée cette nuit., et je n’ai pu m’endormir qu’au matin.[…] ma femme de chambre a tué 140 de ces dégoûtants insectes, ce qui monte à 424 le nombre des punaises détruites depuis mon installation dans cette chambre ».
Heureusement les divertissements sont nombreux et Anna Cradock semble les apprécier : soirée au théâtre, feu d’artifice, conférence sur les montgolfières. Elle a aussi fréquenté les nombreux marchés de la ville où elles discutent avec les marchandes. « À dix heures, été voir la poissonnerie, largement approvisionnée de poissons de mer et d’eau, surtout les mercredis et vendredis. Un peu plus loin, se tient le marché au beurre, œufs, légumes et fruits où nous achetâmes du raisin et des pêches. Nous entrâmes ensuite chez un cordonnier où je commandai une paire de sabots. »

Vue de l’aérostat le Suffren
Date du document : 1784
Images ligériennes
Le jeudi 8 septembre 1785, après avoir passé 14 jours à Nantes, le couple se dirige vers Tours par les bords de Loire. Nous pouvons penser que les souvenirs des paysages de Loire les accompagneront quelque temps : « La rivière très large se divise en cet endroit en plusieurs bras formant de petites îles couvertes d’arbres et d’habitations, au milieu desquels émergent les mats des vaisseaux. Le rivage opposé présente une étendue de pays parsemé de bois, de maisons, de moulins à vent, de champs de blé et de vastes prairies où paissent de nombreux troupeaux ; à gauche, la ville de Nantes change d’aspect, d’après la place d’où on la regarde. »
Marion Le Gal
Archives de Nantes
2025
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Webographie
« Journal de Mme Cradock : voyage en France (1783-1786) » sur Gallica
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Rédaction d'article :
Marion Le Gal
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