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Nantes la bien chantée : Naviguant dans le port de Nantes Février 1904 : inondations à Nantes

1884 : épidémie de choléra à Nantes


Le choléra atteint les frontières de l’Europe à partir de l’Asie Mineure en 1823. La France subit ce fléau à plusieurs reprises au 19e siècle, faisant un peu moins de 500 000 victimes dans toute la France. Si redouté et impressionnant, le choléra contribue à créer des mouvements de peur comme on peut l’observer à Nantes en 1884.

Une épidémie très redoutée

Le choléra est une infection diarrhéique aiguë provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés. La mort survient généralement entre un et trois jours après la contamination, participant à impressionner la population. Le choléra effraie à un tel point que tous les stratagèmes sont mis en œuvre pour atténuer voire dissimuler sa présence.

Le choléra se manifeste à Nantes dès l’été 1884 et s’installe plus durablement à partir du 16 octobre, mais sa présence n’est officialisée que le 2 novembre. La presse locale obéit d’abord aux injonctions de silence de la municipalité pour éviter les mouvements de panique. Les faits sont minimisés : on appuie sur le caractère bénin et lointain de l’épidémie.

Avis administratif concernant les précautions à prendre en temps d’épidémie

Avis administratif concernant les précautions à prendre en temps d’épidémie

Date du document : 02/11/1884

Néanmoins, la municipalité prend des mesures dès juillet 1884. Ainsi, tous les voyageurs et leurs bagages arrivant des pays contaminés par le choléra, qui sévissait à Toulon et Marseille, doivent se soumettre aux « fumigations et autres mesures » pour prévenir la propagation de l’épidémie. Un asile, près de la gare d’Orléans, est prévu pour isoler les voyageurs. Le transport des cholériques est organisé en omnibus vers les centres d’isolement à l’hospice général Saint-Jacques, à Chantenay et à Sainte-Anne. Le passage des malades suscite l’effroi des habitants des quartiers concernés, qui adressent plusieurs lettres de protestation aux maires de Nantes et de Chantenay. La peur prend possession d’une ville désertée par certains habitants, pressés de fuir les miasmes d’une maladie à hauts risques.

Mesures de désinfection prises à la gare de Lyon à Paris, à l’égard des voyageurs arrivant de Toulon et de Marseille

Mesures de désinfection prises à la gare de Lyon à Paris, à l’égard des voyageurs arrivant de Toulon et de Marseille

Date du document : 12/07/1884

La propagation de l’épidémie

Le premier cas de choléra véritable, qualifié d’asiatique, et le début de la propagation de l’épidémie sont détaillés par les médecins nantais chargés de mener l’enquête par le maire. Le premier sujet atteint est un homme d’une trentaine d’années, un certain Connès, domicilié au 20 boulevard de Sébastopol. L’homme serait connu pour son ivrognerie. Il a l’habitude d’attendre à la gare l’arrivée des soldats libérés pour s’enivrer avec eux. C’est à leur contact que l’homme a contracté le choléra. Le 17 octobre, il est pris de diarrhées et de vomissements. Il tombe dans le coma et meurt le 26 octobre. Le deuxième cas concerne la blanchisseuse qui lave le linge de Connès le 17 octobre : elle boit l’eau à l’endroit où elle lave le linge. Elle tombe malade le 19 octobre et décède 3 jours après. L’enquête permet de suivre précisément la propagation de l’épidémie, depuis le quartier de Richebourg jusqu’au quai de la Fosse.

Néanmoins, les leçons des épidémies précédentes ont été en partie retenues. Tous les médecins de la ville sont convoqués par le maire, Georges Colombel, à l’hôtel de ville le 3 novembre 1884. Les principales décisions consistent à repérer le plus rapidement possible les malades pour les isoler et désinfecter leur environnement. À la préoccupation d’isoler les malades s’ajoute celle du traitement des corps des victimes décédées. Ces derniers sont enlevés rapidement et placés dans des chambres mortuaires construites à l’écart dans les cimetières.

Avis administratif évoquant l’amélioration de la situation de l’épidémie

Avis administratif évoquant l’amélioration de la situation de l’épidémie

Date du document : 07/11/1884

L’ensemble des mesures a permis de limiter l’ampleur et la durée d’une épidémie dont le coût économique aurait pu être élevé parce que de nombreux ports en France, en Europe et dans le reste du monde avaient interdit l’entrée aux navires nantais soumis à quarantaine. Le premier avait été celui de Saint-Nazaire. L’épidémie de choléra a ainsi sévi à Nantes de la mi-octobre jusqu’au début du mois de décembre 1884.  Mais dès la deuxième quinzaine de novembre elle recule nettement. L’expérience acquise au cours des précédentes vagues épidémiques a permis de limiter la durée et le nombre de victimes. Sur 228 cas signalés, on enregistre 141 décès.

Une gestion efficace mais qui n’épargne pas les classes populaires les plus pauvres

Les quartiers les plus affectés par le choléra en 1884 Nantes sont les plus pauvres et les plus densément peuplés. À cet égard, la butte Sainte-Anne, la Fosse, la ligne des ponts jusqu’à la place Viarme, le Marchix, les Hauts-Pavés et enfin le foyer initial du quai de Richebourg et du boulevard de Sébastopol sont durement touchés.

La situation des familles touchées par l’épidémie, dont un, voire plusieurs membres en ont été victimes peut se révéler dramatique. Il s’agit souvent de familles très pauvres entassées dans une seule pièce d’où elles sont délogées et se retrouvent à la rue en attendant que la municipalité leur attribue un nouveau logement. À leur infortune s’ajoute parfois la perte momentanée de leur emploi. Ainsi, à la manufacture des tabacs, on licencie pour une durée de huit jours et sans traitement des ouvriers dont un membre de la famille a contracté le choléra. Ces situations suscitent un élan de solidarité. Des comités de secours sont créés pour faire face à la détresse des familles.

Affiche pour la Fête Parisienne au Profit des Victimes du Choléra, 14 septembre 1884

Affiche pour la Fête Parisienne au Profit des Victimes du Choléra, 14 septembre 1884

Date du document : 1884

L’insalubrité à Nantes

L’épidémie de choléra soulève également la question de l’insalubrité à Nantes. L’épidémie se répandant dans les quartiers surpeuplés et misérables, le manque voire l’absence d’hygiène et la promiscuité sont pointés du doigt. La presse dénonce le relâchement du service de la voirie qui ne nettoie pas les rues correctement. L’absence de W-C publics est déplorée par les médecins qui dénoncent l’utilisation des quais comme latrines publiques. Les décharges au cœur de quartiers populaires, les boulangers et fabricants de boissons qui ne font pas toujours bouillir l’eau avant de l’utiliser pour des produits de consommation sont autant de sujets qui inquiètent les médecins de la ville. Tous les Nantais n’affichent pour autant pas un désintérêt pour les questions d’hygiène publique. L’épidémie a la vertu de révéler le souci de l’hygiène publique pour des habitants qui ne s’en préoccupaient pas toujours.

Avis sanitaire de la Ville de Nantes

Avis sanitaire de la Ville de Nantes

Date du document : 08-1893

L’approvisionnement en eau potable au cœur des débats

Mais le problème le plus important reste celui de l’approvisionnement de la ville en eau potable. Là encore, le constat est préoccupant. Tout semble démontrer qu’à Nantes, selon un médecin, « la Compagnie des Eaux fournit à la ville de la matière fécale de cholérique diluée ». La localisation de la prise d’eau soulève de vifs débats. Celle-ci, en aval des bateaux-lavoirs et des égouts, entraîne l’aspiration d’impuretés dans le réseau de distribution. La prise d’eau est déplacée en urgence mais cela ne suffit pas. Une nouvelle installation plus en amont et ayant une capacité d’aspiration beaucoup plus importante est nécessaire. En effet, à Nantes on ne distribuerait que 60 litres d’eau par jour et par foyer contre 220 litres à Paris.

La Compagnie des Eaux rejette la responsabilité sur la municipalité et son Conseil d’hygiène et de salubrité, qui serait à l’origine du choix de la localisation de la prise d’eau. Mais, pour les médecins, la responsabilité de la compagnie est clairement établie. Ils l’accusent de ne pas filtrer l’eau sérieusement. On constate que les conduits desservant les maisons sont obstrués. Des analyses de prélèvements montrent que l’eau puisée dans la citerne de prise d’eau à marée descendante contient 15 milligrammes de matières organiques par litre. La Compagnie fournirait ainsi chaque jour à la ville 112,5 kilogrammes de matières organiques en grande partie constituées par des matières fécales. Il n’en faut pas autant, précisent les médecins, pour propager non seulement le choléra mais aussi la fièvre typhoïde, plus meurtrière et qui a déjà largement touché la ville.

Cependant, Nantes est à cette époque confrontée à une grave crise économique et sociale : la salubrité de la ville n’est sans doute pas une priorité majeure. Le maire, Georges Colombel, est néanmoins récompensé pour sa bonne gestion de l’épidémie. Il est nommé chevalier de la Légion d’honneur pour « services exceptionnels » contre le choléra le 30 mars 1885. Deux mois plus tôt, les Nantais bénéficiaient des premiers W-C publics, moyennant un modeste droit d’entrée.

Cette épidémie de 1884 permit de soulever la question de l’hygiène publique à Nantes. Les notes de médecins suggèrent également que l’épisode cholérique de 1884 a été moins sévère que ceux qui l’ont précédé. Le nombre de victimes n’a cessé de baisser au cours du siècle et le choléra disparaît progressivement sur le territoire national. Nantes est touchée en 1892 et 1893 et la ville de Marseille subit une dernière offensive mineure en 1911.

Yves Jaouen
2025



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En savoir plus

Bibliographie

Jaouen Yves, L’épidémie de choléra de 1884 à Nantes et la question de l’hygiène publique

Bourdelais Patrice, Raulot Jean-Yves, Une peur bleue. Histoire du choléra en France, 1832- 1854, Paris, Payot, 1987

Bourdelais Patrice, « Quand le choléra frappait l’Europe », L’Histoire, n°145, juin 1991

Archives départementales de la Loire-Atlantique

5M35 : Conseil central d’hygiène publique 1884 et service des eaux et salubrité

5M161 : Police administrative, maladies contagieuses (1884-1910)

5M210 : État sanitaire de la région nantaise (1858-1893)

5M539 : Télégrammes entre le ministère du commerce et le directeur de la santé de Saint-Nazaire, 1884

5M536 : Plaintes concernant les lavoirs de la Chesnaie à Saint-Herblain

5M158 : Les épidémies de 1845 à 1849 et notamment l’épidémie de choléra de 1849

Pages liées

Dossier : Épidémies à Nantes

Évariste et Georges Colombel

Manufacture des tabacs

Approvisionnement en eau

Tags

Événements nantais Santé et hygiène Population

Contributeurs

Rédaction d'article :

Yves Jaouen

Anecdote :

Yves Jaouen

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