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Manufacture des tabacs


Jardins d’hiver, serres et palmarium contribuent à imposer tout au long du 19e siècle un goût de l’exotisme qui, par une certaine moiteur, une chaleur évidente et ses parfums capiteux, correspond à la quiétude de l’art de vivre d’une bourgeoisie sereine. Le cigare s’érige en symbole de ces moments où se partage en société la saveur de la réussite sociale. 

Nantes, qui a recueilli et permis de collectionner les plantes exotiques qui constituent le décor favori des fumoirs, accueille justement, à partir de 1857 sous une forme précaire, et à partir de 1865 sous une forme pérenne, une Manufacture des tabacs dédiée à la production des cigares et cigarillos ainsi qu’à celle du tabac haché.

Quinzième manufacture édifiée en France, elle traduit une conception rationalisée de ce type d’établissement : plan en grille sur lequel viennent s’inscrire des bâtiments rectangulaires à la structure solide et à l’architecture dépouillée, affectés chacun à une fonction (ateliers de production, services administratifs, magasins). Leur disposition détermine deux cours intérieures : la cour d’honneur et la cour du service technique.

La Manufacture impose sa présence au quartier proche de la gare et en favorise le développement populaire. Elle révèle surtout les premières visions du travail exclusivement féminin puisque neuf sur dix de ses 1 700 ouvriers sont des femmes, préférées aux hommes pour leur habileté manuelle et leur salaire de moitié inférieur. Bien que relevant directement de l’État, elle diffuse le modèle paternaliste développé dans de grandes entreprises industrielles privées : une crèche est mise à la disposition des ouvrières, des cours du soir leur sont prodigués, une société de secours mutuel et un bureau d’épargne leur sont également accessibles.

Main d'oeuvre féminine dans un atelier de la manufacture des tabacs

Main d'oeuvre féminine dans un atelier de la manufacture des tabacs

Date du document : 1927

L’établissement doit s’adapter à l’évolution de la consommation vers les cigarettes. Puis la triple pression d’une diminution de la consommation du tabac, d’un accroissement de la productivité et d’une restructuration de la matière urbaine conduit le Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita) à organiser son transfert.

En 1974, le site ferme, un an après l’ouverture de la nouvelle usine implantée sur la commune de Carquefou, non loin du champ de tir du Bêle. La «Manu », comme l’ont familièrement surnommée les Nantais, doit s’inventer un nouvel avenir dont il semble alors logique qu’il soit pensé en termes de démolition et de création de nouveaux immeubles.

Sortie du travail devant la manufacture des tabacs

Sortie du travail devant la manufacture des tabacs

Date du document : 1927

La reconversion

Mais, plus encore que quelques exemples magistraux de réemploi réussi de grandes constructions désaffectées en Angleterre et aux États-Unis, l’affaire des Halles de Paris, provoquée par la démolition des parapluies de fer et de fonte de Baltard, forge en France la conviction que la reconversion peut devenir une véritable pratique. C’est cette voie que l’architecte de la Ville, Georges Évano, explore pour redéfinir l’avenir de la manufacture nantaise et que, fort de la confiance que lui manifestent les élus, il parvient à faire approuver. En 1977, le nouveau maire Alain Chénard le charge de réhabiliter le site en collaboration avec son adjointe, Sylvie Jullien.

Par sa taille et la complexité de son programme, l’opération est une première en France. Elle se réfère à une triple dynamique de développement urbain : décentraliser une partie des services municipaux à l’étroit sur le site de la mairie, créer des équipements correspondant à des besoins à l’échelle de l’agglomération et insuffler les équipements qui manquent aux habitants du quartier.

Ainsi le programme combine des services municipaux, des services de proximité tels que logements, crèche, permanence médico-sociale, halte-garderie, foyer du troisième âge, bibliothèque, salle de gymnastique, une Maison des associations et une Auberge de jeunesse.

Elle est d’autant plus ambitieuse que ni les architectes ni les entreprises n’ont encore acquis de réelle expérience d’intervention lourde sur des édifices du 19e siècle. Et cependant, six ans seulement seront nécessaires pour organiser différents concours d’architectes, achever les plans et les documents techniques, conduire à bien les appels d’offres, réaliser les chantiers et installer les nouveaux occupants.

Pour y parvenir, on mêle les solutions : on conserve la disposition générale des édifices et des cours, on valorise certains éléments symboliques telle la grande cheminée, on intègre l’ancienne chaudière aux volumes de la bibliothèque, on joue des continuités spatiales sous les immeubles, on ajoute ponctuellement des volumes caractéristiques de l’esthétique des années 1980, on construit mais surtout on libère les grands plateaux industriels de leurs cloisonnements pour y implanter les nouveaux espaces tertiaires lumineux, conviviaux et flexibles.

Aux côtés de Georges Évano et de Sylvie Jullien, huit équipes d’architectes parisiennes et nantaises, reconnues ou débutantes, restructurent et modernisent les anciens bâtiments avec l’aide des 150 entreprises qui interviennent sur les différents chantiers. En 1983, leur mission s’achève : le véritable cocktail programmatique (un tiers de logements sociaux, un tiers de services municipaux, un tiers d’équipements publics) est parvenu à transformer l’ancien site industriel, refermé sur lui-même, en un véritable lieu de vie, germe d’une nouvelle dynamique pour le quartier.

Si elle a à Nantes une riche descendance, du Lieu Unique au Karting, du Hangar à bananes au Palais de justice, si le quartier évolue progressivement, la Manufacture ne parvient cependant pas véritablement à se connecter au centre-ville, notamment en raison de la coupure urbaine que représente le Jardin des plantes. Il est possible que la reconstruction de la gare et l’évolution induite sur le domaine ferroviaire la mettent définitivement en osmose avec la vie de la cité.

Dominique Amouroux
Extrait du Dictionnaire de Nantes
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(droits d'auteur réservés)

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En bref...

Localisation : Stalingrad (boulevard de) 11, NANTES

Date de construction : 1860

Auteur de l'oeuvre : Chenantais, Joseph Fleury (architecte), Rolland, Eugène (ingénieur) ; Evano, Georges (architecte), Jullien, Sylvie (architecte)

Typologie : architecture industrielle

En savoir plus

Bibliographie

Boisrouvray Xavier du, « La manufacture des tabacs de Nantes : construction et mise en oeuvre 1857-1865 » (suivi de) Evano Georges, Jullien Sylvie, « Réhabilitation de la Manu », Monuments historiques, n°128, (tiré à part, 16 pages), 1983 

Fièvre Laurent, Les manufactures de tabacs et d’allumettes : Morlaix, Nantes, Le Mans, Trélazé, 18e-20e siècles, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2004 (coll. Art & Société)

Ville de Nantes : réhabilitation de la Manufacture des tabacs, Ville de Nantes, Nantes, ca. 1980

Retière Jean-Noël, « Une entreprise d’État séculaire : les tabacs. L’exemple de la "Manu" de Nantes (1857-1914) », Entreprises et histoire, n°6, 1994, pages 109-127

Werner Pascale, « Nantes : réhabilitation de la Manufacture des tabacs », Architecture intérieure, CREE, n°182, avril-mai 1981, pages 97-105

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Ouvriers

Patrimoine industriel

1% artistique à la Manufacture des tabacs

Ouvriers de la Manufacture des tabacs

Tags

Architecture industrielle Lieu institutionnel Malakoff - Saint-Donatien

Contributeurs

Rédaction d'article :

Dominique Amouroux

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