Ancien château du Bouffay
La forteresse de Conan I le Tort s’est élevée sur la place Bouffay de 990 à 1848, date à laquelle sa destruction laisse place à des immeubles d’habitation. Résidence comtale puis ducale, il fut pendant près de 400 ans le siège du pouvoir judiciaire à Nantes.
La construction d’une forteresse au Bouffay
De 913 à 936, le royaume de Bretagne traverse une grave crise politique : l’implantation de colonies scandinaves sur le territoire breton entraîne la fuite des élites politiques et religieuses locales. En 937, Alain Barbetorte, alors réfugié à la cour du roi du Wessex, profite de l’accession au trône des Francs de son ami Louis d’Outremer pour revenir en Bretagne. Il défait les Normands lors d’une campagne militaire, se hisse au rang de duc de Bretagne et s’installe à Nantes. Il y fait construire une première résidence à proximité de la cathédrale.
Depuis la mort d’Alain Barbetorte en 952, le comté de Nantes est au cœur des rivalités entre les comtes de Rennes et de Nantes. En 990, le comte de Rennes Conan I le Tort profite de la mort du comte de Nantes et du jeune âge de son successeur pour conquérir la ville. Il y fait construire un château au Bouffay à l’angle sud-ouest de l’enceinte antique. Plus qu’une résidence comtale, cette forteresse protège l’accès sud de la ville des attaques extérieures. Elle symbolise également l’affirmation d’une nouvelle autorité s’imposant par la force à ses habitants et devant se protéger d’éventuelles rébellions.
Restitution de la Porte de la Poissonnerie
Date du document :
Comme d’autres châteaux construits dans la première moitié du 11e siècle dans le comté nantais, la forteresse du Bouffay est implantée à proximité du réseau fluvial. Elle bénéficie ainsi de la protection sur ses fronts sud et ouest de l’Erdre et de la Loire. En outre, la proximité du port assure au comte un contrôle sur le trafic fluvial et donc sur les prélèvements seigneuriaux liés au transport des marchandises. Un choix stratégique dans un contexte d’essor de la navigation pour le transport des marchandises (notamment du sel) depuis l’époque carolingienne. Nantes s’affirme alors comme route commerciale entre la basse-Bretagne et l’Anjou.
L’état actuel des connaissances ne permet pas d’en savoir davantage sur la forme et le nature de cette construction, ni de confirmer ou infirmer l’existence d’une résidence comtale plus ancienne à cet emplacement ou dans le secteur du Bouffay. C’est peut-être également de cette époque que daterait une enceinte castrale appuyée contre l’angle sud-ouest des fortifications gallo-romaines. Cette enceinte castrale devait comprendre également le place actuelle du Bouffay qui pouvait alors prendre la forme d’une basse-cour, ainsi que le prieuré Sainte-Croix.
Le château du Bouffay et la rue de la Poissonnerie
Date du document :
La rivalité entre le comte et l’évêque de Nantes
Suite à la mort de Conan I lors de la bataille de Conquereuil, les descendants d’Alain Barbetorte récupèrent le comté de Nantes. En 995, Geoffroy, fils et successeur de Conan I, est reconnu duc de Bretagne. Ce dernier ne pouvant pas affirmer sa pleine autorité sur le comté nantais, il impose ses fidèles à la tête de l’évêché de Nantes. S’engage alors un conflit entre le comte de Nantes et son évêque qui perdure tout au long de la première moitié du 11e siècle.
Durant cette période, la cité se polarise. Au sud-est de l’enceinte antique, l’évêque est installé dans le château fortifié élevé au 10e siècle par Alain Barbetorte. Il s’oppose au comte et à sa forteresse du Bouffay. Les ensembles épiscopal et comtal disposent chacun de leur propre enceinte fortifiée, marquant cette rivalité dans la composition urbaine de la ville. Dans la seconde moitié du 11e siècle, l’arrivée sur le siège épiscopal de Benoît de Cornouailles, évêque apparenté aux comtes de Nantes, met fin à cette période de rivalité.
Dans la première moitié du 13e siècle, le conflit reprend de plus belle entre le pouvoir ducal et l’évêché, allant jusqu’à impliquer le pape lui-même. Les ducs Pierre de Mauclerc et son fils Jean Ier le Roux tentent de réduire l’influence de l’évêque en spoliant des biens épiscopaux et en usurpant des droits de régales. Certaines des propriétés spoliées servent d’assises pour de nouveaux édifices militaires. La ville se dote d’une nouvelle enceinte fortifiée ainsi que d’une forteresse élevée au sud-est de la ville, à l’emplacement du palais épiscopal. L’ancienne résidence comtale du Bouffay est alors délaissée au profit de ce nouveau château dit de la Tour-Neuve.
Le siège du pouvoir judiciaire nantais
Déserté par les ducs de Bretagne, le château du Bouffay n’est cependant pas détruit. Au 15e siècle, il devient le siège du pouvoir judiciaire à Nantes. En 1467, le duc de Bretagne François II y installe un palais de justice doublé d’une prison. Un office de sénéchaussée doté également de prérogatives judiciaires s’y installe également en 1477.
En 1552, 20 ans après le rattachement de la Bretagne au royaume de France, le roi Henri II crée une nouvelle institution judiciaire : le présidial. L’objectif des présidiaux est de désengorger les parlements qui disposent également de pouvoirs judiciaires en prenant notamment en charge certaines affaires civiles. Le présidial de Nantes s’installe au château du Bouffay qui est alors divisé en deux parties :
• Le rez-de-chaussée sert de prison à temps plein,
• Le premier étage, accessible par un escalier donnant sur la place du Bouffay, est occupé par les différents tribunaux de la ville. Sous cet escalier prospèrent des boutiques donnant sur la place.
Plan du château du Bouffay
Date du document : 14/09/1798
La forteresse du Bouffay sert principalement de lieu d’enfermement aux prisonniers de droit commun. Les prisonniers de prestige sont quant à eux généralement incarcérés au Château des ducs qui remplace au 15e siècle le château de la Tour-Neuve. Il est toutefois arrivé que l’ancienne demeure comtale accueille certains prisonniers notables à quelques jours de leur exécution sur la place du Bouffay.
Dans les années 1660, la tour circulaire de la forteresse du Bouffay bénéficie d’une extension octogonale au sommet de laquelle est placée une horloge et une cloche. Au sommet de ce beffroi, huit cariatides supportent un dôme en bois couvert de plomb.
Façade du Palais du Bouffay
Date du document :
Au 18e siècle, l’état d’insalubrité de la prison facilite la prolifération des maladies et les évasions. Pendant la Révolution française, ses geôles ne suffisent pas à accueillir l’ensemble des prisonniers. Le château reçoit les émigrés tandis que les prêtres réfractaires sont enfermés dans le couvent des Carmélites. Pendant l’insurrection de mars 1793, d’autres lieux servent à leur tour temporairement de prison, comme l’entrepôt des cafés ou l’église Sainte-Croix. Un tribunal de police est installé au Bouffay en 1791.
Le transfert du palais de justice et de la prison
Depuis la destruction des fortifications médiévales à partir de 1755, la ville s’étend vers l’ouest. Ces nouvelles opportunités foncières offrent la possibilité au conseil général de Loire-Inférieure de réfléchir à la création d’un nouveau complexe judiciaire dès les années 1820. Une première prison est construite en 1830 à proximité de l’actuelle place Aristide-Briand. Il faut attendre 1845 pour qu’un véritable projet comprenant la construction d’une autre prison, d’un palais de justice et d’une gendarmerie aux abords d’une vaste place à créer soit acté. En 1848, l’ancienne forteresse du 10e siècle est détruite.
Carrefour de la Casserie
Date du document : 1845-1847
Les Nantais sont alors privés de leur beffroi. L’architecte de la ville Henri-Théodore Driollet envisage de réinstaller l’horloge publique et ses cloches au sommet d’une tour à élever au cœur d’un marché couvert qui serait aménagé sur l’îlot qu’occupait la forteresse.
Erection d'un beffroi municipal sur la façade de l'église Sainte-Croix
Date du document : 08-01-1857
Le projet de halles commerciales et de sa tour est finalement abandonné. Le beffroi du Bouffay est réinstallé au sommet de l’église Sainte-Croix en 1860.
De nos jours, seuls les gravures et plans anciens nous permettent de connaître l’aspect de la forteresse de Conan le Tort avant sa destruction. Sa disparition a permis la découverte de vestiges datés de l’époque gallo-romaine, dont une scène d’amazonomachie. Ce bloc de pierre sculpté représente une scène de combat entre des Amazones et un Grec. Il s’agit probablement d’un vestige d’un monument funéraire réemployé pour la construction des fortifications gallo-romaines au 3e siècle.
Noémie Boulay
Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2024
Album « De la forteresse de Conan le Tort au projet de marché de Driollet »
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Bibliographie
Bienvenu Gilles, De l'Architecte voyer à l'ingénieur en chef des services techniques, les services d'architecture et d'urbanisme de la ville de Nantes du XVIIIe siècle au XXe siècle, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013
Guillet Bertrand, Le château des ducs de Bretagne : huit siècles d'histoire, Nantes, Château des ducs de Bretagne-Musée d'histoire de Nantes, 2017
Laurens-Berge Mathieu, Réseaux Maillard-Bouffay, rapport de diagnostic archéologique, Nantes, Direction du patrimoine et de l'archéologie de la Ville de Nantes/Nantes Métropole, 2014
Laurens-Berge Mathieu, Réseaux Flesselles-Tremperie, rapport de sondage archéologique, Nantes, Direction du patrimoine et de l'archéologie de la Ville de Nantes/Nantes Métropole, 2014
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Rédaction d'article :
Noémie Boulay
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