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Juin 1940-mai 1941 : la municipalité de Nantes sous l’occupation allemande Quais

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Caraque


Symbole de la lutte des salarié·e·s des chantiers navals contre la fermeture de leur entreprise et œuvre collective, la Caraque est officiellement inscrite au titre des monuments historiques depuis le 28 mars 2024. Avec les grues, elle souligne l’originalité et l’importance de l’industrie navale nantaise dans l’histoire nationale et fait entrer le patrimoine syndical dans le champ des monuments historiques.

Genèse d’une œuvre atypique

La construction navale fait partie de l’histoire de l’agglomération nantaise depuis l’Antiquité. Elle a marqué les grandes heures de l’histoire industrielle et sociale locale.

À partir de la moitié des années 1960, l’industrie navale connaît de nombreuses crises et ne cesse de se restructurer. De trois grands chantiers en 1950 (Ateliers et Chantiers de Bretagne, Ateliers et Chantiers de la Loire et Dubigeon), il ne reste plus que Dubigeon-Normandie en 1983. L’éventualité d’une fermeture définitive du dernier grand chantier où travaillent 1670 personnes se profile et les manifestations, souvent violentes, se multiplient.

Vue des Ateliers et Chantiers de la Loire depuis le pont à transbordeur

Vue des Ateliers et Chantiers de la Loire depuis le pont à transbordeur

Date du document : 25/03/1932

Au sein du comité d’entreprise, une réflexion commence à émerger sur la façon de valoriser cette grande histoire de la construction navale auprès des Nantaises et des Nantais et ainsi montrer les liens intrinsèques qui unissent la ville à cette industrie. Les salarié·e·s élaborent une exposition présentant la riche histoire de la construction navale nantaise mais une autre idée commence à germer :

« En outre des manifestations régulières, il nous fallait imaginer un autre acte créatif pour alerter sympathiquement tant la population nantaise que les décideurs, sur le devenir des travailleurs de la Navale nantaise. »

C’est ainsi qu’a germé l’idée de construire une œuvre symbolique relative à la construction navale, qui deviendrait l’emblème aussi bien de la lutte des défenseurs de la navale que de la future exposition. Quoi de plus normal que de construire une maquette de navire ! Et pourquoi ne pas reprendre le navire représenté sur le blason de la ville de Nantes !

Armoiries de la ville de Nantes

Armoiries de la ville de Nantes

Date du document :

Une œuvre collective

Ce type de navire s’apparente à une « caraque », ancien navire de commerce, faisant des voyages au long cours. On en construisit beaucoup dans les chantiers navals nantais au 15e siècle.

Les plans ont été préparés au bureau d’étude par des dessinateurs, les pièces tracées sur des tôles par des traceurs de coques. Elles ont été découpées par des chalumistes, et formées par des formeurs. La mâture et les vergues sont des tubes d’échafaudage. Les différents cordages ont été réalisés par l’équipe des marins du chantier.

Construction de la Caraque place du Commerce

Construction de la Caraque place du Commerce

Date du document : 30/09/1983

Il faut noter que tant pour l’exposition de 1984, que pour la réalisation de cette imposante maquette, la direction du Chantier avait donné implicitement son accord, défendant également la pérennité des Chantiers.

Les mâts sont coiffés de trois oriflammes en tôles fines et pliées. Il y est inscrit l’appartenance indéfectible de Nantes à la Navale. En recto on peut y lire : « La navale ancrée à Nantes ». Et en verso : « Nantes ancrée à la navale ».

Manifestation intersyndicales pour le maintien de la construction navale à Nantes

Manifestation intersyndicales pour le maintien de la construction navale à Nantes

Date du document : 30/09/1983

Une création pour sensibiliser le public

C’est le 30 septembre 1983, au cours d’une manifestation intersyndicale pour le maintien de la construction navale à Nantes, qu’est édifiée la Caraque. Elle est emmenée en pièces détachées sur la place du Commerce à Nantes, sur une « traine » du chantier, accompagnée d’un poste à souder et d’un groupe électrogène.

Ouvriers du chantier Dubigeon assemblant la Caraque

Ouvriers du chantier Dubigeon assemblant la Caraque

Date du document : 30/09/1983

Elle est assemblée sur place par les charpentiers fer, les soudeurs, les meuleurs, et peinte par les secrétaires qui avaient revêtues, pour l’occasion, les combinaisons des ouvriers.

Militantes participant à la construction de la caraque place du Commerce

Militantes participant à la construction de la caraque place du Commerce

Date du document : 30-09-1983

On lui donne comme nom Nef-de-Nantes, inscrit en relief de soudure, de chaque côté du roof arrière. Les salarié·e·s sont nombreux·ses à assister à cette création publique. Les Nantaises et les Nantais sont aussi présent·e·s pour soutenir les manifestant·e·s.

Le 1er octobre 1983, un journaliste de Ouest France écrit : « Inédit, inattendu, original. La Nef de Nantes, le dernier né des Chantiers Dubigeon, a vu le jour hier matin, place de la bourse à Nantes. En deux heures de temps, en effet, une superbe silhouette de caraque du XVe siècle est née du talent des ouvriers grévistes, parfaitement ressemblante à la caraque qui figure sur les armoiries de la Ville de Nantes. »

La Caraque est transportée dans les quartiers pour sensibiliser la population puis reste place du Commerce jusqu’à la rénovation de la place quelques mois plus tard. Avec l’accord de la direction du Chantier, une équipe va la chercher avec un équipement spécial, une traine et un appareil de levage, la démâte et la ramène au Chantier, où elle est placée à côté de la grande entrée des chantiers, boulevard de la Prairie-au-Duc. Dans les années qui suivent, elle est transférée devant le comité d’entreprise des Ateliers et Chantiers de Bretagne, à quelques pas.

En 1994, suite à l’ouverture de la « Maison des Hommes et des techniques » (MHT), et de l’Association « Histoire de la Construction Navale à Nantes » (AHCNN) dans le bâtiment « Ateliers et Chantiers de Nantes » rénové, la caraque est « rapatriée » sur le site des Chantiers.

Un objet de mémoire en péril

Dans les années qui suivent, les anciens ouvriers entretiennent régulièrement la Caraque mais celle-ci perd peu à peu de son sens pour les nombreux·ses Nantais·es qui passent devant le bâtiment sans la voir.

Entretien de la Caraque par des bénévoles de l'AHCNN et de la MHT

Entretien de la Caraque par des bénévoles de l'AHCNN et de la MHT

Date du document : 22/06/2021

Au fil des années, des personnes attachent leurs vélos à la Caraque et des enfants grimpent dessus, au grand désarroi des anciens de la Navale voyant le symbole de leur lutte tomber dans l’oubli. Son emplacement même devant la MHT commence à être remis en question…

Dès 2022, la MHT et les anciens travailleurs des chantiers commencent à réfléchir à la protection de la Caraque. Il est décidé de travailler avec deux classes de terminale STMG du lycée Alcide d’Orbigny de Bouaye afin de réaliser un dossier de demande d’inscription au titre des Monuments historiques. Une procédure qui ne va pas de soi car le patrimoine syndical est quasiment absent des inscriptions Monuments historiques et la Caraque peut apparaître comme trop récente.

La Caraque inscrite au titre des Monuments historiques

La Caraque inscrite au titre des Monuments historiques

Date du document :

Le 5 janvier 2023, après débats, l’inscription au titre des Monuments historiques de la Caraque est votée en commission régionale du patrimoine et de l’architecture, ce qui représente une première pour un objet construit en manifestation. L’arrêté préfectoral est délivré le 28 mars 2024 et marque enfin une reconnaissance pour les combats menés par les ouvrier·ère·s des chantiers pour la conservation d’un savoir-faire millénaire dans l’agglomération.

Élise Nicolle
Maison des Hommes et des techniques
2024

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