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Gare de Doulon Œuvres nantaises de François Morellet

2038

Végétation de l'Erdre


Les amateurs des vieilles cartes postales le savent bien : il n’y a pas bien longtemps, l’Erdre accueillait une abondante végétation, qui ne laissait aux bateaux, en certains endroits comme la Jonelière, qu’un étroit chenal. Cette abondante végétation n’est plus qu’un lointain souvenir.

Les roseaux

Entre l’auberge du Vieux-Gachet et la Boire-Noire, dite aussi ruisseau de l’Étang-Hervé, une large bande de roseaux longeait la rive. En juin 1896, un chaisier nantais, Auguste Huchon, « demande l’autorisation de récolter 400 bottes de jonc sur la rivière d’Erdre, moyennant la somme de 40 francs. L’emplacement où le pétitionnaire demande à faire cette récolte, précise le conducteur divisionnaire des Ponts et Chaussées, est situé sur la rive gauche de l’Erdre au lieu-dit Gachet, commune de Carquefou. D’après les renseignements que nous avons recueillis, le jonc demandé croît dans l’eau, le long de la rive sur une longueur de 250 mètres, et la récolte doit fournir la quantité demandée par le pétitionnaire. Le prix proposé paraît suffisant. En raison du peu d’importance de la valeur des produits, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de recourir à une adjudication… »

En juin 1899, c’est Louis Vié, aubergiste au Vieux-Gachet, fermier du cinquième lot de pêche du canal, qui demande, à son tour, à acheter la même coupe de « joncs », située sur son lot. Il ne veut pas les couper, ces « joncs » ; bien au contraire, il veut les conserver, car ils donnent abri aux poissons ! Le préfet annule très vite le contrat : Louis Vié oublie de payer la taxe annuelle.

Débarcadère de la Jonelière

Débarcadère de la Jonelière

Date du document : début du 20e siècle

La pêche au pareillier

Sur l’autre rive, raconte Édouard Richer, vers 1820, « le fond de la baie, en tirant vers la Gâcherie, est tout couvert de feuilles de nénuphar. C’est là que se fait chaque automne une pêche assez curieuse, qui n’est particulière qu’aux rives de l’Erdre. On l’appelle Pareillier. […] On entoure, le soir, l’espace occupé par les tiges du nénuphar d’un long filet qu’on appelle seine ; le poisson, qui se réfugie toujours en grand nombre au milieu de ces plantes, se trouve ainsi renfermé subitement. Toute la nuit les pêcheurs font un grand feu pour éclairer la seine et ils tirent des coups de fusil pour annoncer leur présence à ceux qui seraient tentés de s’approprier le fruit de leurs peines.

Le lendemain ils fauchent les nénuphars sous l’eau, ils les jettent au loin sur la rivière ou les ramènent à terre, suivant le côté d’où souffle le vent ; on tire ensuite le filet vers le rivage en contraignant le poisson de fuir vers une poche de 7 à 8 mètres, placée au centre. À l’instant où celle-ci approche, on la détache et on  la conduit sur le bord. L’on transporte alors le poisson dans des réservoirs où on le prend à volonté, mais où la loutre, assez commune sur ces rivages, en fait souvent sa proie. »

Pêche à la ligne au parellier à Sucé

Pêche à la ligne au parellier à Sucé

Date du document : sans date

« Un pareillier peut donner dans les bonnes années jusqu’à 20 barriques de poisson. Il s’en fait trois sur toute l’étendue de la rivière, l’un à la Gâcherie, l’autre à la Gandonnière, et le troisième, plus considérable que les autres, à la Turbalière, proche de Sucé. » On appelait « pareillier » un endroit couvert de nénuphars, du nom que les riverains donnaient au nénuphar : « pareil », ou « parelle ».

Bords de l’Erdre

Bords de l’Erdre

Date du document : sans date

Les macres

En 1890, Eusèbe de Mazoyer (Sur l’Erdre) reprend le texte d’É. Richer en y ajoutant ses propres observations : « La trapa natans, appelée vulgairement macre, envahit insensiblement le lit de la rivière. Cette plante aquatique, qui s’acclimate parfaitement dans les eaux marécageuses, occupe toutes les anses de l’Erdre. Au mois de mai, on voit émerger les feuilles rangées en rayon ; bientôt la tige porte une petite fleur blanche et entre le 15 août et le 15 septembre on procède à la récolte. La pulpe du fruit, qui a quelque rapport avec celle de la châtaigne, est renfermée dans une coque à quatre épines. On fait cuire la macre dans l’eau et on l’assaisonne d’un peu de sel : de glauque qu’elle était, elle devient cendrée. Mais ceux qui en font le commerce – on ne sait pourquoi – mêlent à l’eau quelques parties de boue qui la noircissent et c’est ainsi qu’on la livre sur les marchés aux amateurs. À l’époque de la maturité, beaucoup de ces fruits se détachent de la tige et, par leur propre poids, tombent au fond de l’eau et facilitent ainsi la reproduction.

Si vous aimez les châtaignes d’eau, voici comment vous vous y prendrez pour les manger proprement, artistement. Armés d’un couteau à lame aiguë, vous les fendez en deux parties égales par l’œil, de telle manière que l’incision soit pratiquée dans le sens des deux épines supérieures ; mais ayez bien soin de ne point séparer tout à fait les deux parties ; laissez-les jointes dans le bas comme pour ménager une charnière, ce qui vous permettra d’en recueillir la pulpe avec la pointe de votre couteau. Si elles sont bien mûres, la pulpe se détachera facilement. Après, vous aurez la bonne idée de laver vos mains. Que cette petite leçon ne vous étonne pas : elle vous est donnée par quelqu’un qui a éprouvé ses premières dents en mastiquant les macres. D’ailleurs savoir les manger est un art, tout comme savoir manger une figue. Je vous dis cela du plus grand sérieux. Si vous voulez faire l’expérience, vous trouverez assez de marchands qui vous en vendront un bon litre pour cinq centimes, un sou. Ce serait aussi intéressant d’aller faire la cueillette vous-mêmes ; mais je dois prévenir ces dames – en vertu du proverbe qui s’y frotte s’y pique – qu’elles feront bien de garder leurs gants pour ménager leur peau blanche. »

En 1968, Lionel Visset constate encore que « Trapa natans est très commun en Erdre, et les plus beaux peuplements se rencontrent à l’entrée des plaines de Mazerolles, à la Jonelière, mais surtout dans les plaines de la Poupinière où cette plante couvre plus de la moitié de la surface aquatique. Par endroit quelques Nymphaea alba rompent la monotonie du faciès. »

Faucardeuses

En 1906, à la demande des riverains, le Conseil Général achète un premier appareil à faucarder, remplacé semble-t-il en 1908 par une faucheuse aquatique de la Manufacture de Saint-Étienne. L’appareil ne fait que peu de dégâts : il est installé sur un bateau mû par quatre rameurs, et détruit laborieusement son demi-hectare quotidien de macres et de roseaux. En 1911, gros progrès : on dispose d’une faucardeuse montée sur un « pétrolier » qui avance à l’aide d’une roue à aube. Malgré les nombreuses réparations, on réussit à faucher 195 hectares du 3 juin au 13 juillet. Bientôt, note l’agent des Ponts et Chaussées, « la disparition presque totale des macres dans certaines parties nous permet de nous étendre plus profond dans les boires que les premières années. » On peut escompter, à brève échéance, « la destruction des végétations aquatiques qui gênent la navigation et plus particulièrement la navigation de plaisance, et qui enlaidissent la rivière. »

Nénuphars à la Gâcherie

Nénuphars à la Gâcherie

Date du document : sans date

Cependant, elles gênent toujours, ces plantes aquatiques : elles gênent les pêcheurs, dont les engins se prennent dans les tiges noyées ; elles gênent la navigation ; elles gênent les riverains qui ont du mal à aborder leurs propriétés. Vers 1930, Pierre Le Naour, le garde de La Gaule Nantaise, joue encore à cache-cache avec les braconniers dans le brouillard et les roseaux. Il dispose, lui aussi, d’une petite faucardeuse installée sur une barque à motogodille : à la fin du printemps, il faucarde ; en automne et en hiver, il chasse le « braco ».

Trouvait-on ces moyens insuffisants ? Le développement de la navigation à moteur joua-t-il son rôle ? Des procédés plus radicaux (chimie) furent-ils employés ? Toujours est-il qu’aujourd’hui la riche végétation de la rivière, entre Sucé et Nantes, n’est plus qu’un lointain souvenir.

Louis Le Bail
2018

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En savoir plus

Bibliographie

Richer Édouard, Description de la rivière d’Erdre, Mellinet-Malassis, vers 1820

De Mazoyer Eusèbe, Sur l’Erdre : promenade historique et descriptive avec une carte des cours et des rives de l'Erdre, librairie Vier, 1890

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Erdre Flore locale

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Rédaction d'article :

Louis Le Bail

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