
Braconniers de l'Erdre
La pêche était fort active, sur l’Erdre ; si les amateurs et les professionnels s’en donnaient à cœur joie, les braconniers participaient allègrement à la fête. Gardes et gendarmes essayaient de refréner les ardeurs de ces derniers.
En 1927, la Société de pêche La Gaule Nantaise cherche un garde pour ses lots de pêche. C’est Pierre Le Naour, un ancien militaire originaire du Finistère, qui obtient la place. Pendant plusieurs années, il va consigner le récit de ses aventures quotidiennes dans des cahiers de « Rapports » destinés à la Société de pêche. Ces documents offrent des informations précieuses sur le métier de garde-pêche et les modes opératoires des braconniers de l'Erdre.
Le braconnage, une activité nocturne
C’est presque toujours la nuit que se fait la chasse aux braconniers, et les nuits sur l’Erdre sont souvent fraîches et brumeuses. Deux ou trois fois par semaine, le garde passe une bonne partie de la nuit sur l’eau, quel que soit le temps : pluie, tempête à ne pas tenir une barque sur la rivière, gel, brouillard où se fondent les braconniers. La bouteille Thermos de café est alors la bienvenue. Les premiers témoignages retranscrits dans les rapports montrent l'agressivité dont peuvent faire preuve les braconniers qui n'hésitent pas à menacer le garde-pêche lorsqu'ils se font surprendre : « Ce matin, à 5 heures, j’ai trouvé, passant devant Blanche [Port-la-Blanche], un bateau monté par 5 hommes transportant une senne. Reconnaissant probablement le bateau de la Société, après un moment d’hésitation, ils sont venus droit sur moi. Je les ai fait s’arrêter. Ils m’ont alors interpellé me demandant si j’étais le nouveau garde et si je n’avais pas peur d’être noyé… »
L’épaisse végétation qui pousse en certains endroits jusqu’au chenal favorise les embuscades, mais aussi la fuite. « À 2 heures du matin, nous filons au Vieux Gachet à l’aviron et nous nous cachons dans les roseaux. Au bout d’un moment, nous distinguons un homme levant des bois courants dans la boire. Nous mettons le moteur en marche. Aussitôt notre homme fuit se cacher dans les roseaux. » L'utilisation de pétroliers, nom donné dans les années 1930 aux embarcations pourvues d’un moteur à pétrole, signale facilement la présence des gardes. C'est pourquoi ces derniers ont parfois recours à des bateaux plus petits, rapides et silencieux qui leur permettent de surprendre les braconniers et de les pourchasser.
Afin de mener à bien sa mission de protection, le garde-pêche reçoit l’aide de ses collègues, ceux de Saint-Nazaire, ceux des Ponts et Chaussées, ceux des Eaux-et-Forêts, voire des gendarmes de Doulon et de Carquefou et de la police qui lui envoie en renfort des agents cyclistes.

Bords de l’erdre
Date du document : début du 20e siècle
Le profil des braconniers
Les gardes connaissent bien leurs adversaires ; ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent dans les procès-verbaux. S’il y a des « individuels », il existe deux bandes bien organisées qui agissent sur l'Erdre : l’équipe Melaine, dite aussi de « Jambe de Bois », est originaire des bords de l’Erdre ; à l’occasion, l’auberge du Vieux-Gâchet lui sert de siège social : le patron n’est-il pas un peu leur collègue ? L’équipe « Vin Rouge », avec « Georges », « Six Doigts » et « Lunettes », vient du centre-ville (Le Marchix, rue du Vieil-Hôpital). Le surnommé « Pète Pète » se fait prendre à plusieurs reprises, ainsi que les « Barbinois », pêcheurs professionnels du quartier de Barbin. Ils sont le plus souvent de milieux très modestes : manœuvres, ouvriers agricoles, maçons, rempailleur. Quelques kilos de poisson, vendus en fraude au marché de Carquefou ou à la Poissonnerie de l’Île-Feydeau, permettent d’ajouter un peu de beurre dans les patates quotidiennes. Le droit de pêche en Erdre est alors divisé en lots, attribués adjudicatairement aux plus offrants. Si La Gaule Nantaise en détient quelques-uns, plusieurs sont loués par quelques propriétaires très aisés. Ce n’est plus l’Ancien Régime, où le droit de pêche appartenait aux seigneurs riverains, mais cela y ressemble tout de même un peu. Il arrive parfois que les gardes attrapent quelques braconniers plus inattendus : des sociétaires de La Gaule Nantaise qui posent des bois courants ; le garde de l’île Saint-Denis qui a barré une boire avec des piquets, des branches, et deux grandes louves au milieu.

Débarcadère de la Jonelière
Date du document : début du 20e siècle
Les outils des braconniers
Les braconniers ont recourt à plusieurs types d'outils afin de commettre leurs méfaits. Ce que les gardes saisissent, par dizaines, ce sont les « bois courants », petits fagots de roseaux munis d’un bout de ligne à hameçons qu’on laisse dériver pendant la nuit et qu’on va relever au petit jour ; les « louves », filets en fil de fer aux mailles rarement réglementaires ; des lignes de fond ; des sennes, immenses filets de 3 ou 4 mètres de hauteur. Ainsi, en mars 1932, par une nuit de gel, Pierre Le Naour en saisit une en face de la Poterie. Elle est chargée dans une barque, traînée jusqu’à la Chantrerie. Il faudra deux chevaux pour réussir à tirer le bateau hors de l’eau. L’engin mesure 200 mètres de longueur, 3,20 m de hauteur, avec une poche de 6,50 m.
Le matériel est confisqué, les amendes pleuvent, accompagnées de prison s’il y a eu rébellion. Les gardes, munis au début d’une barque avec une seule paire d’avirons, les gendarmes, à vélo, se motorisent. Les adjudicataires de lots collaborent, hébergent les gardes, prêtent leurs véhicules pour la chasse aux « bracos ». Quelques dénonciations venimeuses, quelques lettres anonymes, aident les autorités.
Louis Le Bail
2018
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