Visite du prince Parachutra aux Batignolles
En mai 1924, à l’occasion de la grande Exposition Nationale, Nantes reçoit la visite d’un invité de prestige : Parachutra, le frère du roi de Siam. Si le prince profite de son séjour en France pour faire un peu de tourisme, il a surtout entrepris ce long voyage pour des raisons commerciales : son frère Rama VI a passé une importante commande de locomotives et de ponts roulants à l’usine des Batignolles.
L’usine des Batignolles, qui fonctionne alors depuis la fin de la guerre, tourne à plein régime. Les effectifs sont à leur sommet : environ 3 000 personnes, ainsi que la production : 170 locomotives « Pacific » en 1924-1925. Pendant l’hiver 1926-1927, alors que l’industrie nantaise subit une crise et licencie, les Batignolles embauchent encore.
La foire-exposition
Ce 28 mai 1924, sur le Champ-de-Mars, la grande Exposition Nationale bat son plein. L’Artisanat, l’Industrie, le Commerce et les Arts y présentent leurs réalisations. Les grandes attractions, ce sont le Village Breton, les Souks Tunisiens, et la « Ferme électrique » qui montre tout ce qu’on peut faire à la campagne grâce à la Fée Électricité. Les stands sont de « petites maisons bretonnes », la direction de l’exposition exige « que les vendeurs ou vendeuses soient Bretons ou tout au moins portent le costume de notre Province ». Un journaliste du Populaire de Nantes a suivi toute cette journée.
Visite royale
Paul Bellamy, le maire de Nantes, accueille un hôte de marque, le prince Parachutra, frère du roi de Siam, et son neveu le prince Vira Virakorn. Le Siam n’est pas encore devenu la Thaïlande ; il faudra attendre 1939 pour cela. 500 000 km2 (la superficie de la France), capitale Bangkok, c’est un royaume. Le roi Vajiravudh (Rama VI) s’efforce de conserver une indépendance, très relative, à son pays, surveillé de près par les canonnières françaises et par les Anglais ; on est en pleine période coloniale. Il lui faut moderniser le pays ; le réseau de chemins de fer, commencé à la fin du 19e siècle, comprend 3 100 km de voies et sera achevé vers 1930 ; le célèbre pont de la rivière Kwaï en fait partie.
Exposition Nationale à Nantes
Date du document : 1924
Le prince Parachutra est en France pour affaires, mais un peu de tourisme ne gâte rien ; la veille, il a visité les châteaux de la Loire, et a passé la nuit à Nantes, au Central-Hôtel. D’autres personnages importants, très concernés par la visite princière, on va le voir, sont également présents : Robert Gouïn, secrétaire général de la Société LBC (Locomotives Batignolles-Châtillon), deux administrateurs de la société, et MM. Ashwoth et Connagh, « contrôleurs anglais des chemins de fer siamois ».
Exposition Nationale à Nantes
Date du document : 1924
La première partie de la journée s’est passée à l’Exposition : le prince a levé son verre de muscadet à la santé du maire ; il a photographié une jeune Bretonne en costume de Concarneau, et s’est fait lui-même abondamment photographier, « entouré de jolies Bretonnes ». Les charmeurs de serpents des souks tunisiens lui ont fait une démonstration de leur art. Il a enjambé la balustrade de l’ « Auto-Piste » pour participer à une course, qu’il a gagnée, bien sûr. Pour terminer la matinée, Paul Bellamy l’a emmené voir le pont de Pirmil, qui vient de s’écrouler et a été aussitôt remplacé par un pont de bateaux.
Ecroulement du pont de Pirmil
Date du document : 26-05-1924
Des locomotives pour le Siam
L’après-midi est consacré aux choses sérieuses : la visite de l’usine des Batignolles ; le royaume de Siam, en effet, lui a passé une grosse commande de locomotives et de ponts roulants. Vers 16 heures, les altesses royales sont reçues dans la cour de l’usine par l’Harmonie des Batignolles, qui, sous la direction de son chef M. Sanner, exécute l’hymne royal siamois et La Marseillaise. Après les salutations officielles, la conduite de la visite est confiée aux techniciens ; l’ingénieur Decaris, père du célèbre graveur, est probablement présent. On parcourt les onze grands ateliers, et le prince, qui semble avoir une solide formation d’ingénieur, s’intéresse fort à chaque fabrication : la robinetterie, les roues, les longerons, les cylindres, les châssis…
Locomotive type “Mikado”
Date du document : 1924
« Comme dans un coup de théâtre, d’une féerie du Châtelet, voici qu’au moment même où le prince pénétrait dans l’atelier F, un immense pont roulant de 150 tonnes enleva et transporta, sur les rails de sortie, une locomotive de 68 tonnes, la « 140-2882 » du réseau de l’État, une superbe ‘’Pacific’’ qui vient d’être terminée ».
Les machines destinées au Siam sont rangées dans l’atelier G, et c’est le prince lui-même qui, « avec une clarté merveilleuse », les présente aux personnes de sa suite. Puis on admire les locomotives électriques, « de pures merveilles », commandées par la compagnie du Paris-Orléans, et surtout, « un véritable monstre, une « loco » électrique de 33 mètres de long, construite pour le PLM. et qui fera une moyenne de 120 à l’heure. »
Sur les voies d’essai, une « S 4 » pavoisée aux couleurs du Siam attend le prince, qui se met aux commandes et lui fait effectuer quelques manœuvres, provoquant une fois de plus l’admiration de tous.
Signature du prince Parachutra de Siam dans le livre d'or de la ville
Date du document : 1924
Signature du prince Parachutra de Siam dans le livre d'or de la ville
Date du document : 1924
Des cités ouvrières modèles
Et les fameuses petites maisons en bois des cités ouvrières ? Elles ont 4 ans, il semble bien qu’alors elles soient considérées comme des cités modèles, puisqu’on juge intéressant de faire visiter au prince la Halvêque et le Ranzay. On commence par l’école, dont le directeur, Amans Guindré (la rue « Amand » Guindré, c’est lui !), présente les 350 élèves et leur fait exécuter un chœur. Les « tout petits » chantent et miment « Cadet Rousselle » sous la direction de leur maîtresse Mme Barrau, puis « une mignonne fillette, Mlle Suzanne Roul », offre au prince une gerbe de fleur et lui récite le compliment d’usage. « On termina cette randonnée aux cités par une visite à l’église [la première église, en bois] et à la cantine tenue de main de maître par la superintendante, Mlle Houssaye » [future Mme Loukianoff].
La journée n’était pas terminée, pour l’infatigable et séduisant prince : le Château, le Musée des Arts décoratifs l’attendaient, et, après un repas à l’Exposition avec la direction des Batignolles, il terminait la soirée au dancing, où, « excellent danseur, [il dansa] avec une charmante Nantaise, une valse lente qui fut applaudie par tous les assistants ».
Louis Le Bail
2018
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Documentation
Exposition sur l'histoire des Batignolles par l'association Batignolles-Retrouvailles
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Rédaction d'article :
Louis Le Bail
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