Usines du Bas-Chantenay
Ce qui fait la richesse de Nantes au 19e siècle fait celle de Chantenay. Et plus encore, les industries du raffinage du sucre, de la savonnerie, de la métallurgie et de la ferblanterie, des conserves alimentaires, et l'industrie chimique trouvent dans le Bas-Chantenay, après la loi sur l'insalubrité de 1810, de grandes parcelles où s'implanter.
Les industries se rapprochent des moyens de transport par les aménagements privés des quais de Loire et la constitution d'un réseau d'embranchements au chemin de fer, et s'éloignent des lieux d'habitation. Enfin, l'approvisionnement en combustibles et en nombreuses matières premières, par les liens que les industries entretiennent avec les colonies, le littoral et le pays maraîcher, favorise l'accroissement de la productivité et l'augmentation rapide de la population ouvrière. À Chantenay, au tournant des 19e et 20e siècles, les entreprises fournissent du travail à 5000 personnes pour une population de 20 000 habitants. À cette même période, dans le Bas-Chantenay, le nombre d'ouvriers est estimé entre 2500 et 4000. Les années de la Première Guerre mondiale donnent lieu à des commandes de guerre auprès d'entreprises (Dion-Bouton, Mazettier). Après les années 1930, on constate, jusque dans les années 1970, une adaptation à la concurrence et aux nouveaux marchés de plus en plus difficile à tenir, malgré l'introduction des moyens nouveaux de production et la diversification des activités. Les productions de papeterie, savonnerie, raffinerie, conserverie, et fabrication d'engrais disparaissent progressivement.
Activités industrielles par type de production dans le Bas-Chantenay depuis 1835 reportées sur le cadastre de 2012
Date du document : 2013
La diversité des productions
Construction navale
Les Frères Crucy, dès la fin du 18e siècle, à la suite de l'autorisation donnée aux particuliers, en 1793, de construire des navires de guerre, installent un chantier naval entre les Salorges et le port de Chantenay (actuel Cordon bleu) sur des terrains inondables et sablonneux. À leur suite, et bénéficiant pour certains des aménagements réalisés par les frères Crucy, tel le canal de Chantenay, les chantiers de constructions navales Louis Jollet (navires, bateaux et machines à vapeur), Guéret, Blaise de Saint-Quentin, Dubigeon, Sevestre frères, et les Chantiers nantais prospèrent ou périclitent au gré des commandes. La construction navale dans le Bas-Chantenay, avec des aménagements de la rive droite de la Loire (canal, cales, quais, slip-way), va suivre l'évolution technologique. Les premiers navires sont réalisés en bois, suivent les bateaux à vapeur, les coques en fer, puis la construction de torpilleurs, ferries et sous-marins aux Anciens Chantiers Dubigeon. La construction navale fait travailler de nombreuses entreprises, telles que la chaudronnerie Blasse, et la fabrique de mâtures pour navires Mouraud, basée à La Grenouillère, la fabrique de feutre pour navires Leroy, au Chemin de la Tannerie, ou la forge Cardinal, au canal de Chantenay. Des charpentiers de navires ont leurs ateliers à La Grenouillère et à La Brianderie. La menuiserie Lechat, la compagnie Nantaise de réparation navale se situent, elles aussi, boulevard de Chantenay et rue Bougainville, à proximité des Anciens Chantiers Dubigeon. Le départ des Anciens Chantiers Dubigeon à la Prairie-au-Duc, en 1969, détermine la fin de l'aventure industrielle de construction navale dans le Bas-Chantenay.
Anciens chantiers Dubigeon
Date du document : 2013
Construction métallique et la fonderie
Au début du 20e siècle, plusieurs fonderies et entreprises de constructions métalliques sont installées dans le Bas-Chantenay : Joseph Paris créée en 1869 mais installée en 1911 route de Roche-Maurice, Fonderie Dejoie créée dans les années 1920, Brissonneau et Lotz, ingénieurs constructeurs Barbier et Turenne. Aujourd'hui, deux de ces entreprises sont toujours en activité : Usine de constructions métalliques Joseph Paris et la Fonderie Dejoie. Deux autres entreprises spécialisées dans ce domaine sont installées dans la prairie industrielle : Leroux et Lotz ; et la Fonderie Atlantique Industries, créée en 1908 sur la Prairie-au-Duc. Dans le cadre du projet urbain de l'île de Nantes, cette dernière déménage en 2000 dans l'ancienne centrale électrique.
Fonderie Leroux et Lotz
Date du document : 2013
Industrie agro-alimentaire
Au début du 20e siècle, le Bas-Chantenay compte trois raffineries. La plus grande est la raffinerie du Cordon bleu, appelée ensuite raffinerie de Chantenay, spécialisée dans la fabrication du sucre alimentaire de luxe. La raffinerie Say et Cie possède un bâtiment situé quai Saint-Louis en 1820. Enfin il est mentionné une raffinerie, appartenant à M. Gicquiau, chemin de la Tannerie. Liée à l'activité de raffinage, la société Levesque fonctionne de 1866 à 1939, d'abord comme mélasserie (clarification des sirops des raffineries de sucre), puis comme féculerie. Dans ses locaux, à partir de 1943, Wesafic produit des aliments pour bétail et de l'engrais. Restaurée par la Ville de Nantes, elle abrite aujourd'hui la compagnie Royal de Luxe. Outre la raffinerie de Chantenay, deux autres grandes usines marquent le début du 20e siècle : la conserverie Amieux et les brasseries de la Meuse. Nantes, en liaison directe avec les ports, notamment sardiniers, et les terres productrices de légumes, est un très grand foyer de développement de l'industrie de la conserve au 19e siècle. Une grande minoterie, Les moulins de la Loire, s'installe en 1895 fournissant le sud Loire en céréales.
Vinaigrerie Caroff
Date du document : 2013
L'activité liée aux vins et à la vinaigrerie est historiquement présente à Chantenay. Au 18e siècle, sur les quais en contrebas de la Butte Sainte-Anne, des négociants et marchands de vin donnent probablement son nom au quartier de la Piperie, là où les Chais Saint-Louis s'implanteront plus tard, ainsi que les Établissements Ducos qui y construisent un entrepôt destiné au vin vers 1950. Une distillerie, une fabrique de liqueur et une usine de boissons sont référencées au Buzard dans les années 1880. À la fin du 19e siècle, la fabrique de vinaigre Vallée, employant 20 personnes, se situe à La Grenouillère, et la vinaigrerie Huteau s'implante près de la gare de Chantenay, à l'endroit du siège actuel de la vinaigrerie Caroff. Cette dernière est aujourd'hui la dernière entreprise agro-alimentaire en activité du Bas-Chantenay.
Ferblanterie et fabrication de vernis
Avec le développement de l'industrie de la conserve, de nombreuses usines de ferblanterie, de fabricants de vernis, imprimeurs sur métaux, outilleurs et fabricants de caisses se créent. La plus importante est la société J.-J. Carnaud et Forges de Basse-Indre, appartenant depuis 2021 au groupe Eviosys. L'entreprise Georget, qui appartient aujourd'hui au groupe Valspar, et installé boulevard du Maréchal-Juin, développe en lien avec Carnaud des encres et des vernis pour les boîtes de conserve.
Usine Valspar
Date du document : 2013
Fabriques d’engrais
À la fin du 19e siècle, l'industrie chimique connaît, à Nantes, un développement important en lien notamment avec les raffineries. Une quinzaine d'entreprises sont présentes sur les sites de la Prairie-au-Duc et dans le Bas-Chantenay. Les usines Delafoy, Derrien mais surtout Pilon et Buffet, repris par Kuhlmann et Saint-Gobain, qui devient la Compagnie des fertilisants de l'Ouest, coexistent ou se succèdent. Elles produisent des engrais organiques et artificiels. Cette activité prospère tout d'abord autour de la fabrication de noir animal (charbon d'os), utilisé comme fertilisant et dans les raffineries pour la décoloration des sirops de sucre. Au 20e siècle, l'industrie chimique se tourne vers la production d'acide sulfurique, de phosphates et de superphosphates. Des entreprises moins importantes, telle la Société Nantaise des produits d'entretien, située rue de la Tannerie, installent leurs activités au nord de la voie ferrée dans l'entre-deux-guerres.
Entrepôts Saint-Gobain
Date du document : 2013
Huilerie et savonnerie
Au début du 19e siècle, une huilerie (Pelletreau) est présente au chemin de la Tannerie. Au bord du canal de Chantenay, à partir des années 1850, Leblanc installe une huilerie. En 1856, il s’associe à l’entrepreneur Housset et se met à produire des savons. Au fil des années, l’huilerie et savonnerie se développe et change de nom au gré des acquisitions et fusions. Au début du 20e siècle, elle devient Huilerie et Savonnerie de la Loire jusqu’à son rachat en 1926 par Magra. Dans le même secteur, Talvande et Douault produisent aussi des huiles et savons. L’ensemble de ces entreprises se regroupent sur le site de Talvande en 1932.
Huilerie-Savonnerie Bonnet, Huteau et Housset
Date du document : 1ère moitié du 20e siècle
Papeterie
La papeterie Gouraud, future Papeteries de l'Ouest, occupe une parcelle importante à l'est du Bas-Chantenay, à proximité de Roche-Maurice. Elle produit de la pâte à papier et emploie, vers 1900, 700 ouvriers. Elle ferme dans les années 1930, en partie suite à l'augmentation des matières premières. Enfin, il faut signaler l'entreprise Armor qui s'implante dans les années 1920 au nord de la rue de Chevreul et spécialisé dans la fabrication de rubans et de cartouches d'encres.
Papeterie Gouraud
Date du document : début du 20e siècle
Entrepôts et sites de dépôt
Principal vocation d'un port, la prairie industrielle accueille de nombreux espaces et bâtiments de stockage et de transit. Deux catégories de dépôts caractérisent l´activité de stockage : les matières combustibles et les céréales. Depuis le 19e siècle, les sociétés des Houilles & Agglomérés et Blanzy-Ouest occupent de vastes parcelles de 1,5 et 3 hectares de dépôt de combustibles. L'activité des Charbons Le Borgne et Cie, au début du 20e siècle, est référencée sur le port de Roche-Maurice. Dans les années 1950, Blanzy-Ouest agrandit son dépôt d'hydrocarbures liquides et gazeux liquéfiés et installent des citernes aériennes. Dans les années 1960-1970, Total et Shell implantent de grosses cuves de stockage à La Fardière ou sur l'emplacement de Blanzy-Ouest. Total démolit ses installations vers 2005. Des opérations de dépollution sont effectuées. Les premiers entrepôts de céréales sont construits sur le quai Saint-Louis par la Chambre de Commerce de Nantes pour les Moulins de la Loire. Sonastock érige dans les années 1970 des silos portuaires d'exportation de céréales qui dominent aujourd'hui le paysage industriel. Parmi les activités industrielles ou plus artisanales, citons la tannerie des frères Betinger-Durand-Gasselin au 19e siècle (qui a donné son nom à la rue de la Tannerie), les Granits de l'Ouest, Mazettier.
Silos Sonastock
Date du document : 2013
Logique d’implantation et évolutions architecturales
Dans le Bas-Chantenay, l'adaptation aux évolutions des modes de production et la succession d'activités diverses au sein des sites rendent difficile la compréhension de l'histoire industrielle par l'observation des bâtiments. La logique industrielle, faisant d'abord preuve de stratégie quant à son implantation, répond ensuite à un grand nombre de contraintes qui nécessitent des solutions constructives et architecturales bien souvent rapides.
Logique d'implantation et réponses apportées à l'accroissement ou à la diminution de l'activité
Elles se réalisent par :
> L'adaptation des bâtiments au mode d'acheminement des matériaux (Georget-Valspar possède un quai de chargement et déchargement donnant sur la voie ferrée, mais fonctionne aujourd'hui seulement avec le transport routier),
> Le morcellement de sites, sur plusieurs parcelles non contiguës, enserrées dans le tissu urbain (Amieux sur 2 sites, Caroff sur 3 sites),
> Le regroupement d'activités par la fusion de sociétés (Magra fusionne avec Talvande en 1932),
> Le travail des entreprises entre elles entraînant parfois un rapprochement géographique (charpentes métalliques Joseph Paris pour les bâtiments Dubigeon, Menuiserie Lechat pour Dubigeon, production de vernis de Georget-Valspar pour Crown Carnaud Metalbox),
> Le développement dans des parcelles restreintes, donnant lieu à un externalisation d'une partie de la production (Dejoie, Armor),
> Les normes sanitaires et les risques industriels imposant l'externalisation de la production pour cause de pollution (déplacement progressif des industries polluantes vers l'ouest, déménagement de l'activité de fonderie de plomb de Dejoie à Carquefou),
> L'extension des sites de production par l'achat successif de parcelles et bâtiments contigus ou donnant sur une même voie (exemple des Anciens Chantiers Dubigeon avec l'achat de Magra à l'ouest puis de Laffargue à l'est, Mazettier de part et d'autre de la route de Roche-Maurice).
Aménagements constructifs et architecturaux liés aux technologies de production
Ils sont opérés par :
> Le choix d'un mode constructif ou son adaptation en fonction de l'activité (construction d'une minoterie en béton armé pour les Moulins de la Loire, remplacement des poteaux en bois du hangar à superphosphates de Saint-Gobain que l'acide sulfurique attaque),
> L'adaptation des bâtiments sur un même site à de nouvelles machines génératrices d'énergie (force motrice due au charbon, à l'électricité),
> L'adaptation des bâtiments sur un même site à de nouvelles méthodes de fabrication (passage de la charpenterie de navires du bois au métal, besoin d'outils de levage plus importants et plus lourds, mécanisation),
> L'achat de bâtiments et leur adaptation plus ou moins simple à une autre activité (bâtiments de la Savonnerie de la Loire servant d'entrepôts aux Anciens Chantiers Dubigeon, halle AP5 déplacée depuis la prairie au Duc jusqu'à Chantenay pour Leroux et Lotz).
Hélène Charron
Région Pays de la Loire, Inventaire général ; Direction du Patrimoine et de l'Archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole
2012
En savoir plus
Bibliographie
Pinson Daniel, L'Indépendance confisquée d'une ville ouvrière, éd. arts-cultures-loisirs ; 1982
Pinson Daniel, « Banlieue du XIXe siècle et spécialisation fonctionnelle de l'espace : le rapport industrie habitat à Chantenay. Réflexions sur les origines d'un urbanisme du zonage », Les crises de la banlieue aux XIXe et XXe siècles Tome 1, Villes en parallèle, [En ligne], n°10, 1986, p.172-175 article en ligne disponible ici
Rochcongar Yves, Machelon Jean-Pierre, Capitaines d'industrie à Nantes au XIXe siècle, Préf. MeMo ; E+PI, 2003
Webographie
Notice de l'inventaire par la Région Pays de Loire
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Rédaction d'article :
Hélène Charron
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