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Industriels


Au 18e siècle, à Nantes, l’industrie – la fabrication d’indiennes pour l’essentiel, et on parle alors de manufacture – est un maillon de la chaîne du commerce triangulaire. Les familles Petitpierre et Gorgerat, d’origine suisse, ainsi qu’Ulrich Pelloutier, issu d’une famille protestante exilée à Berlin après la révocation de l’édit de Nantes, tiennent ce marché, qui fait vivre plusieurs milliers d’ouvriers. Au 19e siècle, les manufacturiers deviennent des industriels et certains des capitaines d’industrie. Et ce n’est pas seulement avec l’argent de la traite…

La révolution industrielle à la nantaise

1815. Une élite intellectuelle – savants, ingénieurs, agronomes, négociants – encourage l’innovation. Thomas Dobrée donne l’exemple en armant des navires pour la chasse à la baleine et le commerce avec la Chine. En 1823, il pilote la création des forges de Basse-Indre avec l’aide financière de banquiers londoniens. En 1812, le Lyonnais Louis Say a déjà fondé une raffinerie de sucre. En 1825, Joseph Colin est le premier fabricant de boîtes de conserves alimentaires selon la méthode Appert. Les ferblantiers, comme les Riom, originaires d’Auvergne, connaissent un nouveau débouché. Enfin, la machine à vapeur, introduite à partir de 1822, donne le la de la révolution industrielle à Nantes.

Dans le sillage de Louis Say, d’autres raffineurs s’installent. Le multimillionnaire Nicolas Cézard gère depuis Nancy, sa ville natale, les deux plus grandes raffineries. L’Angevin André Cossé, employé chez le confiseur Duval (dont il épouse la fille), crée la première candiserie et fait fortune grâce à sa clientèle huppée (dans le champagne). Deux raffineurs, Étienne et Massion, s’illustrent encore avant de céder la place, vers 1885, à des capitalistes parisiens. Le cycle du sucre est alors épuisé. Celui de la métallurgie a déjà pris le relais depuis 1865, date de la faillite retentissante de Cézard.

C’est l’heure des constructeurs mécaniciens. Michel Rocher, constructeur de chaudières est aussi l’inventeur d’un appareil de distillation de l’eau de mer. Son collègue Vincent Gâche fait breveter en 1836 – grâce à l’argent du marquis de La Rochejaquelein – un steamer révolutionnaire, qui naviguera sur la Loire et sur plusieurs fleuves de l’Europe du Nord. Constructeur mécanicien aussi, le Suisse Jean-Simon Voruz emploie jusqu’à 1 600 ouvriers en 1870. Dans la famille Lotz, deux frères sont en concurrence, chacun à la tête d’une entreprise de construction de machines agricoles. Une lignée se crée : l’un d’eux, Étienne, a un fils ingénieur bientôt grand patron de Brissonneau (fondée en 1840) et un petit-fils créateur de la Biscuiterie Nantaise.

Conserves, savon, papeterie, chimie... une très grande diversité

Des dynasties prennent naissance aussi dans d’autres branches. Dans la conserverie, Charles Philippe, cousin de Pelloutier, protestant comme lui, est fournisseur du roi Louis-Philippe et ne se prive pas de le faire savoir. La famille brille pendant un siècle grâce aux gendres, Charles Lechat (un normalien, professeur au lycée avant de devenir industriel) et Arthur Benoît.

Rapidement les fabricants de conserves alimentaires se multiplient. Louis Levesque, un armateur, met des sardines en boîtes au Croisic, et fonde une rizerie à Chantenay en 1860. Les frères Amieux, originaires des Alpes, et Arsène Saupiquet, l’Auvergnat, créent des marques connues sur toute la planète. La conserverie fait aussi la fortune de J.-J. Carnaud, ferblantier parisien qui, à la fin du siècle, tient sous sa férule la filière du fer-blanc, de la production des tôles (à Basse-Indre) à la fabrication des boîtes (à Nantes et ailleurs).

Des industries jusque-là inconnues à Nantes éclosent au 19e siècle. C’est le cas de la savonnerie. Henri Serpette, originaire de la Somme, arme des navires pour alimenter son usine en huile de palme. Il devient un concurrent des Marseillais. Alexis Biette s’illustre par un sens aigu de la publicité (« La croix d’or, le linge t’adore »). La papeterie (Gouraud), la brasserie (Burgelin), la chimie et les engrais (Pilon, Delafoy), la biscuiterie (LU, BN) complètent le tableau. Nantes mérite d’être citée, en 1908, comme un foyer industriel comparable à Marseille. D’autant que la construction navale vient de faire un grand pas avec la création de chantiers modernes comme les Ateliers et chantiers de la Loire : Louis Babin-Chevaye crée une société anonyme dans laquelle les banques, en l’occurrence le Comptoir national d’escompte, puis la Banque de Paris et des Pays-Bas, détiennent le pouvoir. Ainsi, après les armateurs, les industriels sont au 19e et au début du 20e siècle les acteurs principaux du petit théâtre nantais. Leur rôle dépasse les murs de l’usine.

Œuvres sociales

Les patrons s’organisent en syndicat dès 1881, à l’initiative de Babin-Chevaye. C’est dans la navale nantaise qu’est signée une des premières conventions collectives en France. Plusieurs sont des adeptes du catholicisme social, comme Eugène Guillet de La Brosse, le fondateur des Ateliers et chantiers de Bretagne, à l’origine d’une caisse d’allocations familiales.

D’autres construisent des logements ouvriers. C’est à cette époque aussi qu’est créé l’hôpital marin de Pen Bron, dont les premiers administrateurs sont Lotz-Brissonneau et Durand-Gasselin. Sur la scène politique enfin, plusieurs industriels assument avec brio le rôle de maire de Nantes, Ferdinand Favre, Mathurin Brissonneau, Charles Lechat, Alfred Riom, Édouard Normand, Léopold Cassegrain, tous républicains bon teint.

La fin des industriels ?

Les industriels conservent leur autonomie jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui marque un changement. Le Crédit nantais (ancêtre du Crédit industriel de l’Ouest) n’a pas la capacité, en période de crise économique, de financer des entreprises en difficulté. On assiste alors aux premières concentrations industrielles. La maison Pilon (engrais) fusionne avec Kuhlmann en 1917, la savonnerie Biette est reprise par le groupe Lever en 1940, la papeterie Gouraud ferme en 1934. Dans le même temps, deux sociétés nationales installent des usines : les Batignolles (locomotives), et la SNCASO, ancêtre de l’Aérospatiale. Après 1945, le mouvement s’accélère. Les biscuiteries sont absorbées par des groupes de taille internationale. La conserverie disparaît. La fermeture des chantiers Dubigeon en 1987 marque la fin d’une époque. Nantes est victime d’une « casse industrielle » dénoncée comme telle par les syndicats. Mais il y a longtemps que l’industrie nantaise n’est plus aux mains des Nantais.

La seconde moitié du 20e siècle voit en effet, parallèlement au réel recul de l’industrie à Nantes, l’émergence d’un nouveau pouvoir, celui du capitalisme anonyme, et donc la disparition des industriels locaux au profit de grands groupes internationaux. S’il reste bien sûr des industriels, comme Wirquin (sanitaire), nous sommes très loin de la toute-puissance d’un groupe qui, pendant plus d’un siècle, a profondément modelé l’histoire de Nantes : un cycle économique et social s’est achevé, qui s’était amorcé vers 1840, autour du port colonial et industriel. Les plus visibles des industriels le sont aujourd’hui dans l’allée centrale du cimetière de Miséricorde, où s’alignent les chapelles funéraires des dynasties industrielles nantaises…

Yves Rochcongar
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d’auteur réservés)

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Bibliographie

Amyot d’Inville Jean, Labarde Isabelle, Clubs en Loire-Atlantique : le guide des cercles et des réseaux, Puits fleuri, Héricy, 1997

Dictionnaire biographique comprenant la liste et les biographies des notabilités du département de la Loire-Inférieure, H. Jouve, Paris, 1895

Eudel Paul, Figures nantaises, Impr. de l'Ouest-Eclair, Rennes, 1909

Le Nail Bernard, Dictionnaire biographique de Nantes et de Loire-Atlantique : les hommes et les femmes qui ont fait la Loire-Atlantique, LeTemps éd., Pornic, 2010

Rochcongar Yves, Capitaines d’industrie à Nantes au 19e siècle, MeMo, Nantes, 2003

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Yves Rochcongar

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