Quais Brancas, Flesselles et Port-Maillard
Avec le quai de la Fosse et l’île Feydeau, les allées Flesselles, Brancas et du Port-Maillard sont les témoins de l’ouverture de la ville sur son fleuve, changement de philosophie et d’appréhension du fleuve. Le 18e siècle décide d’aménager, de transformer, de domestiquer la Loire dont la ville, jusque-là, se protégeait. Les aménagements ont évidemment un but économique grâce à l’extension des surfaces portuaires que constituent les quais mais ils servent également un projet de renouvellement urbain. Cette fusion initiée entre les intérêts du port et ceux de la ville perdure jusqu’au milieu du 20e siècle.
Un espace portuaire au pied des murailles
Dès le 3e siècle de notre ère, Nantes est entourée par une muraille. Endommagée au 9e siècle, elle tombe peu à peu en ruine. Au 13e siècle, dans le cadre de la défense militaire du duché de Bretagne, les ducs Guy de Thouars et Pierre Mauclerc construisent une enceinte défensive enserrant la ville ainsi qu’un nouveau château. Vue de la Loire, la ville présente donc un front minéral ponctué de poternes.
Plan scénographique de la ville de Nantes
Date du document : fin du 17e siècle
Le port Briand-Maillard semble avoir été créé concomitamment à la muraille. Ce n’est alors qu’une grève d’échouage située au pied du château et séparée de la poterne par une boire. Au début du 16e siècle, sa physionomie évolue : les échevins décident de combler la boire et d’établir une chaussée continue entre la ville et le port. En 1582, un premier quai est créé.
A quelques mètres du port Maillard, un second port - port Lorido, aussi nommé port de la « Pouterne » au 16e siècle - situé le long de l’actuelle allée Flesselles, près de la place du Bouffay, subvient également aux besoins de la navigation. En 1590, ce port est si étroit que « à peine peult l'on descharger à la foiz troys vaisseaulx ensemble ». Cet inconvénient est amplifié lors des tempêtes ou d’un simple temps pluvieux : durant le temps d’attente les marchandises « se gastent et dépérissent ». En outre, l’insuffisance de ce dispositif contraint les mariniers à allonger leur séjour à Nantes pour attendre leur tour.
Le projet d’une ville ouverte sur l’eau
Le développement du trafic portuaire à la fin du 17e et au début du 18e siècle crée un accroissement de la population qui se retrouve bien à l’étroit à l’intérieur des murailles. Dans le même temps, le maire Gérard Mellier et la grande bourgeoise nantaise vont mettre en oeuvre leur vision de l’urbanisme en commençant à domestiquer le fleuve via la construction du quai de la Fosse et l’île Feydeau. Ces premières œuvres permettent d’étendre le tissu urbain et font émerger des réflexions sur l’arasement des murailles et la création d’un front urbain ouvert sur la Loire.
Plan de la ville et faubourgs de Nantes
Date du document : 1723
Le quai de Brancas
Dès 1728, Jacques V Gabriel propose à la Ville un nouveau plan d’urbanisme. Ce dernier prévoit la destruction des remparts entre le château et l’embouchure de l’Erdre ainsi que la construction d’un front urbain. Face à la difficulté financière et politique d’obtenir la destruction des remparts, Nicolas Portail, architecte-voyer, propose, en 1738, de construire des quais le long des remparts et de rétrécir d’autant le bras nord de la Loire. A partir de 1741, il précise son projet avec la construction de deux halles (blé et poisson) de part et d’autre de la porte de Brancas sur le quai du même nom.
Quai Brancas Plan des halles au blé et au Poisson
Date du document : 1750
Approuvée par le maréchal de Brancas, l’Intendant de Bretagne et le Bureau de Ville, la construction est adjugée à Étienne Briau, en novembre 1741, pour la somme de 60,000 l. L’adjudicataire a trois ans pour construire son ouvrage mais celui-ci n’est pas achevé.
Le projet est ravivé en 1750 et les autorités confient à l’ingénieur Abeille une mission d‘expertise pour s’assurer de la faisabilité technique du projet de Nicolas Portail. Le projet est à nouveau adjugé à Pierre Desprées, entrepreneur à Nantes, pour 61 800 livres. Le principe constructif est identique à celui du quai de la Fosse dont Portail avait dessiné le projet en 1741 : les quais sur des pilotis de bois enfoncés dans les vases de la Loire.
En 1754, le quai Brancas et le premier niveau d’arcades des halles sont construits mais la Ville décide d’arrêter le projet des halles et de détruire l’édifice. A des fins de rentabilités, elle vend les terrains à des particuliers pour la construction de logements.
En 1761, Jean-Baptiste Ceineray, architecte-voyer de la Ville, reprend le projet de destruction des remparts et propose de lotir tous les terrains du quai compris entre l’ancienne douve bordant le quartier Saint-Nicolas et l’Erdre et d’en aligner les constructions pour créer un front urbain. Cinq années de négociation sont nécessaires avec l’ensemble des parties prenantes : Intendant de Bretagne, Académie d’architecture, direction des bâtiments et conseil du roi. Les premières parcelles sont vendues en septembre 1761. Trois années plus tard, l’architecte dresse le programme de construction et les travaux s’engagent. Les immeubles sont unifiés sous un seul toit et une façade régulière.
Quai Brancas
Date du document :
Les quais du Bouffay et Port-Maillard
Durant la même période, le quai du port-Maillard est reconstruit devant la muraille entre la place du Bouffay et le château. Les travaux commencés en 1755 se terminent en 1759. Ils ne sont pas prolongés au-delà car la valeur défensive du château des Ducs impose un dispositif militaire antagoniste avec des quais continus.
Profil du quai à construire au devant du château
Date du document : 1790
Enfin, la Ville acquiert des terrains qui appartenaient aux Jacobins et Ceineray propose en 1760 un alignement et une élévation pour les immeubles à construire du château à Bouffay. Le projet est néanmoins écourté jusqu’en 1790 à cause de la nécessité de faire se rejoindre les quais du Port-Maillard et de la Tremperie. La construction du front urbain ne se poursuit que dans les années 1830.
Plan d'élévation de la maison Plumard
Date du document :
Le quai de Flesselles (ou de la Poterne)
Suite à l’édification du quai Brancas et de son front urbain, les travaux s’engagent sur l’ancien quai de la Poterne (futur quai de Flesselles). En 1760, le mur de perré du quai s’écroule et en 1767, à la faveur de la démolition des murailles, le bureau de la Ville décide de détruire également les constructions modestes adossées au mur d’enceinte. La reconstruction du quai et son extension jusqu’à la place du Bouffay s’échelonnent de 1772 à 1776. L’élévation des immeubles selon des plans dressés par Ceineray en 1766 s’effectue dans la foulée.
Plan de la façade des maisons à construire sur le terrain de l'ancien hôtel des monnaies
Date du document : vers 1830
La mise en oeuvre du quai Flesselles donne l’occasion à Ceineray de proposer la rectification de la place du Bouffay qui conservait alors un aspect très irrégulier. Pour cette nouvelle place ouvrant sur la Loire et faisant face aux immeubles de l’île Feydeau, Ceineray projette de lui donner une forme de rectangle, en détruisant tous les immeubles qui ne sont pas dans l’alignement et en l’entourant de bâtiments de même hauteur.
Après environ 70 ans de travaux intensifs, le centre-ville de Nantes est métamorphosé : là où naguère la Loire butait sur une muraille défensive qui cachait la ville se trouve un front urbain largement ouvert sur le fleuve, en dialogue avec les façades des îles proches (Feydeau et Gloriette). La ville ne se protège plus du fleuve mais s’ouvre sur lui et montre à tous ceux qui l’emprunte un visage idéal. L’alignement de quais depuis le château jusqu’à la Fosse en vis-à-vis du quai Duguay-Trouin canalise le fleuve qui devient l’élément central de quartiers rivulaires.
Si les quais du centre-ville deviennent rapidement des espaces de vie quotidienne qui voisinent avec les activités du port fluvial, leur usage se modifie dans la seconde moitié du 19e siècle avec l’arrivée du chemin de fer en 1851 et la mise en service du premier tramway nantais en 1876.
Si en 1851, Nantes exige d’être le terminus de la ligne ferroviaire afin de ne pas être supplantée par Saint-Nazaire comme Rouen l’avait été par le Havre, sa doctrine se modifie quelques années plus tard. En 1857, la Ville envisage de transformer Saint-Nazaire en faubourg grâce à la liaison ferroviaire mais refuse tout contournement de la ville. Une grande ligne de chemin de fer va donc traverser la ville, longeant la Loire.
Passage de la voie ferrée sur le Port-Maillard
Date du document :
Dans un premier temps, le passage du train impose seulement la mise en place de barrières de protection des rails et de passages à niveau. La promenade le long de la Loire n’est plus possible mais l’accès aux cales est maintenu. Puis, dans les premières années du 20e siècle, il est nécessaire de renforcer les quais et de les agrandir par l’ajout d’une estacade qui coupe l’accès aux cales. Le lien quotidien au fleuve sur cette portion des quais va décliner.
Bras de la Bourse
Date du document : Début du 20e siècle
Le long de la voie réservée au chemin de fer, deux voies de tramway sont installées à partir de 1876. Elles participent à l’arrêt des activités quotidiennes liées à la Loire. Le fleuve s’éloigne visuellement et matériellement par la mise en oeuvre de deux voies de tramway, de deux autres consacrées aux voitures hippomobiles puis automobiles, et par la présence du train.
Place du Commerce et les quais
Date du document :
Des comblements à nos jours
Au début du 20e siècle, les travaux d’aménagement du fleuve - entamés au milieu du 18e siècle et accentués dans la deuxième moitié du 19e siècle - déséquilibrent le régime hydrographique de la Loire. Le bras nord s’assèche en quelques années et l’étiage est si bas que l’ensemble des pilotis de bois sur lesquels furent bâtis les quais et le front urbain émergent et commencent à pourrir. En outre, les assecs prolongés mettent à jour les vases et les rejets des égouts dégageant des miasmes pestilentiels et accentuent les difficultés d’accès à l’Erdre. Ne pouvant remédier au déséquilibre, l’État prend unilatéralement la décision draconienne de combler les deux bras nord de la Loire nantaise.
Le projet est conduit par les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui entament le processus par le comblement du bras de la Bourse en 1926. Retenus par des batardeaux métalliques des millions de mètres de cube de sable sont déversés pendant deux ans et rattachent l’île Feydeau à la rive, ensevelissant les quais du 18e siècle. Entre 1928 et 1929, la pointe de l’île Gloriette, qui provoque un rétrécissement du bras de la Madeleine, est rescindée pour permettre de créer une rive continue entre le quai de la Fosse et celui de Moncousu et obtenir un chenal de 150 mètres de large. De 1929 à 1931, le comblement du bras de l’hôpital débute autour du Pont Maudit ; puis, se poursuit de 1930 à 1936 autour du pont de Belle-Croix. Entre 1931 et 1937, l’île Feydeau est rattachée à l’île Gloriette. Le projet s’achève par le comblement de la partie orientale du bras de la Bourse entre 1938 et 1940.
Comblements de la Loire
Date du document : fin du 19e siècle
Le comblement des bras nord de la Loire modifie également radicalement la jonction entre l’Erdre et le fleuve : les travaux ne peuvent s‘engager que si l’Erdre ne se jette plus dans le bras de la Bourse. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées proposent donc de dévier la rivière au bas du cours Saint-Pierre et de l’amener, grâce à un canal souterrain, dans un bassin clos par une écluse, l’actuel canal Saint-Félix.
Les dizaines d’hectares gagnés sur le fleuve sont rétrocédés à la Ville avec l’interdiction d’y construire et l’obligation de conserver ces nouveaux terrains pour la circulation. Un boulevard automobile est créé en surface tandis que le chemin de fer est détourné puis enterré de l’autre côté de l’île Feydeau, dans l’ancien bras de l’Hôpital, à partir de 1955. Le front urbain ne borde plus qu’un boulevard et perd sa fonction première d’écran idéal entre la ville et le fleuve.
Cours Franklin-Roosevelt
Date du document : Début du 20e siècle
En 1985, le tramway qui naguère circulait sur les anciens quais est réouvert : la première ligne relie « Commerce » à « Haluchère » en longeant les quais Brancas, Tremperie, Flesselles et Port-Maillard.
En 2017, la Ville lance le projet d‘une promenade piétonne qui joindra la gare à la carrière Miséry. Dans ce cadre, les boulevards des anciens quais commencent à être revalorisés et végétalisés en 2020.
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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