4 juillet 1918 : la fête de l'indépendance des États-Unis à Nantes
Le contraste entre la ferveur populaire du 4 juillet 1918 et la froideur nantaise du 4 juillet 1917 est saisissant. Ce changement d'attitude à l'égard de l'allié américain résulte d'une évolution sensible de la perception de l'armée américaine entre 1917 et 1918.
L’accueil peu chaleureux réservé aux soldats américains
En avril 1917, les États-Unis prennent part à la Première Guerre mondiale aux côtés des troupes alliées. Deux raisons expliquent l’engagement de ce pays qui n’avait jusqu’alors pas souhaité s’impliquer dans le conflit :
• La reprise de la guerre sous-marine décidée par l’Allemagne en 1917, deux ans après le torpillage du paquebot transatlantique Lusitania. Cette attaque allemande a coûté la vie à 128 Américains,
• La révélation de l’existence d’une correspondance entre l’Allemagne et le Mexique, dans laquelle les dignitaires allemands aurait proposé aux Mexicains une alliance contre les États-Unis.
Les premières unités de l'armée américaine débarquent le 26 juin 1917 à Saint-Nazaire. Le nom du port, par mesure de sécurité, n'est pas cité. À cette date, officiellement, la population nantaise ignore donc le lieu du débarquement. Néanmoins, la nouvelle se répand très vite : le 4 juillet, soit le jour de la fête de l’indépendance des États-Unis, des officiers américains sont invités à Nantes pour assister aux célébrations offertes par les autorités locales. Le maire a demandé aux habitants de pavoiser leurs maisons. La réponse réservée de la population n'est pas à la hauteur des espérances. Les Nantais ne sortent pas dans les rues pour acclamer les alliés d'outre-Atlantique. Les journaux ne peuvent que constater la froideur voire l'indifférence d'une population qui traverse une grave crise de confiance. Les cérémonies organisées par la municipalité, faute de temps, n'offrent qu'un caractère officiel. Elles se limitent à un dîner et à deux conférences au théâtre Graslin. La presse locale ne fait-elle pas ses gros titres sur l'offensive russe, engagée en ce début de juillet 1917, en Galicie ? Les raisons de la froideur, voire de l'indifférence des Nantais, sont multiples.
Camp Guthrie de l'armée américaine
Date du document : 1917-1919
La lassitude d’une guerre qui n’en finit pas
En ce début d'été 1917, l'arrivée des sammies (surnom donné par les Français aux soldats américains pendant la Première Guerre mondiale) n'est pas, au moins localement, le principal sujet de préoccupation. Au cours du mois de juin, les gares nantaises ont été le théâtre de manifestations houleuses. Presque quotidiennement, les permissionnaires repartant pour le front ont organisé des chahuts et crié leur hostilité à la guerre. Bien souvent, les femmes présentes les ont soutenus, les protégeant même des forces de l'ordre. La dernière offensive du Chemin des Dames, comme les précédentes, s'est achevée par un nouveau carnage. La guerre semble se prolonger indéfiniment pour le malheur des combattants et des civils.
Les permissionnaires ont pu constater les difficultés auxquelles sont confrontées les épouses et les enfants. La dégradations des conditions de vie à l'arrière se traduit par une baisse du pouvoir d'achat, des vagues de grèves, des veuves et des orphelins en nombre croissant, des enfants livrés à eux-mêmes parce que les femmes travaillent de longues heures dans les champs, les ateliers, les usines. L'arrivée des premières troupes d'une armée pour le moment squelettique, mal armée, mal préparée pour les batailles de tranchées, ne suscite auprès des femmes et des vieillards de l'arrière qu'indifférence, voire une certaine hostilité. Les rapports du préfet de la Loire-Inférieure ne cessent de faire état des critiques et des inquiétudes de la population sur la présence parfois jugée envahissante des troupes américaines. Les offensives allemandes du printemps 1918 contribuent à semer le doute et à renforcer la crise de confiance en une victoire hypothétique.
Une de l'Union Bretonne du 23 juin 1917
Date du document : 23/06/1917
Un renfort américain finalement salué par la population
La situation évolue favorablement à partir de l'été 1918. Les rapports du préfet sont désormais positifs. La population se montre beaucoup plus favorable aux Américains. Elle est persuadée qu'ils vont contribuer à la victoire, par leur engagement massif.
À Nantes, 20 000 sammies sont présents. Les convois, au départ de Saint-Nazaire transitent par Nantes pour rejoindre le front. Cette présence de soldats nombreux et désormais bien équipés, solidement formés et qui ont fait leurs preuves sur les champs de bataille, à Montdidier, à Château-Thierry, au Bois de Belleau redonne le moral à la population. Le recul général des armées allemandes et leur défaite est une question de mois. Les 150 000 soldats américains du mois de décembre 1917, encore insuffisamment préparés au combat des tranchées, ont été renforcés par 2 millions d'hommes à l'été 1918. 500 000 hommes de plus sont attendus pour la fin de l'année. Dans ces conditions, l'Allemagne est condamnée.
Soldats de l'armée américaine devant des baraquements en bois
Date du document : 1917-1919
Les États-Unis célébrées par des Nantais enthousiastes
Le ton est donné par le ministre de l'Intérieur Jules Pams. Le 28 juin, dans un discours prononcé devant les Chambres, il annonce que les 4 et 14 juillet seront des fêtes nationales franco-américaines communes. Les instituteurs sont priés par le ministre de célébrer « l'effort américain » par une lecture commentée. La population française est invitée, par voie d'affichage, à célébrer le 4 juillet comme une fête nationale. Paul Bellamy se joint à l'élan général. Il lance un vibrant appel à ses concitoyens, justifiant cette célébration par le sacrifice des soldats américains qui ont « rougi de leur sang généreux la terre de France ».
Le programme des cérémonies et des réjouissances, publié dans la presse à la veille du 4 juillet est à la hauteur des discours officiels. Aucune ombre ne doit jeter son voile sur l'éclatant soleil qui illumine la fête franco-américaine. Pour en assurer le succès, les entreprises industrielles, les administrations, les commerces donnent congé à leurs employés. Toute la journée, la ville pavoisée offre à ses habitants des rendez-vous patriotiques et festifs. Les maisons et les immeubles sont tapissés de drapeaux français et alliés. La ville offre son décor de fête aux militaires qui vont parader sur la place Louis XVI et sur le cours Saint-André.
Fête nationale américaine du 4 juillet 1918
Date du document : 29/06/2018
Le déroulement des festivités
Dès 9h, une foule considérable s'est rassemblée pour assister au défilé des unités françaises et des 400 soldats américains, dont un détachement de soldats de couleur. Toutes les rues avoisinant le cours Saint-André sont envahies par une foule innombrable. Des grappes humaines se suspendent à des échelles. On se juche où l'on peut, sur les grilles d'une statue, sur les branches des arbres, sur les véhicules en stationnement. Les hymnes nationaux sont exécutés en présence du général Coutenceau, commandant le XIe corps d'armée, d'officiers supérieurs américains et des autorités civiles. La parade militaire s'achève par le passage en revue des troupes suivie d'un défilé. Les sammies sont acclamés. Les chapeaux et les mouchoirs s'agitent. De toutes parts retentissent les cris de « Vive l'Amérique ! Vive les États-Unis ! ». Pour les civils présents, ces acclamations expriment la certitude d'un retour prochain des combattants dans leur foyer.
À 10h30, une unité du génie américain donne un concert sur le cours Cambronne devant une foule qu'un journaliste estime impossible à dénombrer. Au même moment, les autorités civiles se rendent au numéro 34 du parc Lelasseur qui abrite l'hôpital américain, pour rendre hommage aux sammies blessés. À 12h30, un déjeuner est offert par la municipalité aux officiers supérieurs américains à l'hôtel de Bretagne. Dans son discours de remerciement, le major-général Langfit, commandant la 1er division d’infanterie américaine, rappelle que les 4 et 14 juillet, l'Amérique et la France célèbrent des fêtes nationales communes et surtout, il met en avant la puissance militaire des États-Unis sur laquelle repose la victoire prochaine des alliés.
Affiche municipale pour la commémoration de l’indépendance
Date du document : 1918
Si la matinée avait été fertile en émotions, c'est bien l'après-midi à l'hippodrome du Petit-Port et en soirée au théâtre Graslin que cette journée allait s'achever en apothéose. Les Nantais se ruent vers le champ de courses. Dès midi, tous les moyens de transport disponibles sont mobilisés, pris d'assaut. Les journalistes présents n'ont plus les mots pour décrire l'enthousiasme de la foule. Des milliers de Nantais acclament le général Pershing, le président des États-Unis Woodrow Wilson et l'armée américaine. « On venait acclamer ces jeunes gens qui nous symbolisent maintenant la victoire imminente » explique un journaliste gagné par l'émotion mais qui donnait tout son sens à cette journée. Des jeux et des épreuves sportives où Français et Américains rivalisent de force et d'habileté ponctuent cette après-midi de fête. La musique militaire exécute les hymnes nationaux et, précédant la remise des récompenses aux vainqueurs des épreuves sportives, le consul des États-Unis, le préfet et le maire prononcent des discours. Celui du maire retient l'attention de la foule présente parce qu'il annonce l'envoi d'un télégramme au président des États-Unis dont il fait la lecture. Paul Bellamy rappelle que le conseil municipal a voté l'attribution du nom de Wilson aux quais en construction sur les bords de la Loire. Il proclame ensuite son admiration pour le « président du Droit et de l'indépendance du monde ». Cette allusion au message en 14 points du 8 janvier 1918 qui définit les buts de guerre des États-Unis a soulevé une grande espérance en France qui se manifeste tout particulièrement au mois de décembre à l'occasion de l'arrivée en France du président américain. Les manifestations de soutien populaire à Nantes en sont une illustration. Le 13 juillet, le maire de Nantes reçoit un chaleureux message de remerciement du président Wilson.
Appel à pavoiser en 1918
Date du document : 1918
La mémorable journée du 4 juillet 1918 s'achève au théâtre Graslin par une soirée de gala dédiée aux États-Unis.
Le passage d'un accueil plus que réservé des Nantais en 1917 à l'enthousiasme de 1918 pouvait surprendre. Les discours des autorités civiles françaises à l'occasion de l'Independance Day de 1918 sont sans ambiguïté. L'admiration sans limite pour les idées du président Wilson et la foi en une armée américaine capable de mobiliser des millions d'hommes vont jouer un rôle décisif dans la victoire et l'organisation d'un monde plus pacifique. Le mirage de la défaite allemande périodiquement annoncée par l’État-major français à la veille de vaines offensives coûteuses en vies humaines s'estompe et laisse le champ libre à l'espérance.
Yves Jaouen
2023
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Webographie
Les 14 points de Woodrow Wilson sur le site Chemins de Mémoire
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Yves Jaouen
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Yves Jaouen
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