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Marc Elder (1884 – 1933) Parc de Procé

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Pollution de l'Erdre


« Face à la pollution de la rivière, faut-il remblayer l’Erdre ? », s’insurgeait, il y a quelques années, la Fédération des Amis de l’Erdre. Disparition de la végétation, pollution, cyanobactéries, jussie, on lui en fait voir, à la pauvre rivière ! Ses problèmes ne sont pas nouveaux. Mais jadis, ils ne concernaient guère que la partie urbaine de son lit. 

Le grand égout nantais 

Jusqu’à l’ouverture du canal de Nantes à Brest, au début du 19e siècle, l’Erdre est barrée, dans la traversée de Nantes, par plusieurs « chaussées » qui supportent des moulins : la Chaussée de Barbin, la Chaussée du Port-Communeau, la Chaussée des Halles. En 1723, les meuniers accusent les jailloux (ouvriers du service de répurgation), les tanneurs de Saint-Similien et les bouchers de la rue de la Boucherie de se débarrasser de leurs déchets dans la rivière, empêchant les moulins de bien fonctionner. La Municipalité, priée de faire curer la rivière, se défend, clamant qu’elle s’occupe chaque année du nettoyage de l’Erdre et que cela fait bien longtemps que les bouchers et ouvriers jettent leurs déchets dans la rivière sans que cela empêche les moulins de tourner. Le Conseil du Roi, devant lequel l’affaire a été portée, condamne les deux parties, la ville et les fermiers des moulins, à s’entendre pour faire nettoyer la rivière à frais communs. 

La poudrette, un engrais gratuit 

En février 1859, sur les terres situées au nord de la rue Saint-André, on fabrique illégalement et à grande échelle de la « poudrette », un compost constitué des débris des légumes récoltés dans les tenues, arrosés avec les produits des latrines environnantes apportés par les toucs et les ruisseaux. Le touc, c’est-à-dire un canal conduisant les eaux usées des maisons aux rivières, descend du quartier Saint-André et apporte une quantité considérable de vases immondes qui est recueillie dans de grands réservoirs par les maraîchers. Ces derniers utilisent ensuite ce compost comme engrais pour leurs exploitations, au détriment de la salubrité du quartier. D’ailleurs, le lieu justifie pleinement l’étymologie du mot « maraîcher » selon le dictionnaire Robert : celui qui cultive un marais dans une ville. 

Le Conseil Central d’Hygiène publique s’en émeut : trois maisons voisines de ce cloaque ont dû être interdites d’habitation. Le laboratoire clandestin est découvert à la suite d’une requête maladroite de son propriétaire, M. Allégret, qui rebâtit les maisons 16 et 20 de la rue Saint-André. Il a demandé l’autorisation de diriger le conduit des lieux d’aisance dans le réservoir prévu à cet effet dans la tenue adjacente afin de répondre à la demande de son jardinier.

Détail de l’îlot Sully sur plan de la ville de Nantes

Détail de l’îlot Sully sur plan de la ville de Nantes

Date du document : 1859

Les Glacières Nantaises, un problème de salubrité publique

Pendant l’hiver 1889, M. Monnier, propriétaire des Glacières Nantaises, 33 et 34 quai de Versailles, demande à avoir un plus large espace libre sur les quais, devant les portes de son usine, afin de décharger les bateaux qui lui livrent de la glace. L’enquête des Ponts et Chaussées tempère un peu ces exigences. M. Monnier ne peut prétendre qu’il reçoit beaucoup de bateaux quand l’Erdre est gelée, puisque, à ce moment, elle n’est pas navigable ! La vérité est qu’il approvisionne ses magasins avec des glaces recueillies en rivière, au droit de son usine, c’est-à-dire au débouché du ruisseau-égout du Gué-Moreau, dans un endroit où l’eau est particulièrement souillée. L’usage de ces glaces est extrêmement préjudiciable pour la santé publique. Le préfet convient qu’on ne peut empêcher M. Monnier de recevoir les glaces amenées par bateau à son usine. On lui réservera donc 40 mètres de quai, du 15 novembre au 15 février. Mais il faudra faire quelque chose, pour cette question de salubrité publique.

Un enjeu de santé publique

En 1887, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Résal va entreprendre le dévasement du bras de l’île de Versailles. Chaque année, de juillet à septembre, le niveau de l’Erdre s’abaisse, laissant émergée la vase de l’Erdre, formée en grande partie de matières organiques «  qui ne tardent pas à répandre une odeur infecte. » Le bras est alors uniquement alimenté par les égouts, les tanneries, les brasseries, ce qui provoque les protestations énergiques des habitants. En réalité, c’est toute la rivière qui est polluée, alors même qu’elle est utilisée pour laver le linge des Nantais. En 1900, le Conseil central d’hygiène et de salubrité de la Loire-Inférieure s’inquiète, et le docteur Bertin, médecin des Hôpitaux, rédige un rapport expliquant que des analyses bactériologiques ont expliqué « l’origine de nombreux cas d’érysipèle, de furoncles, de fièvre puerpérale déterminés par le port de linges lavés dans une eau aussi insalubre et riche en staphylocoques et en streptocoques. »

Place de la Bonde, les pouvoirs publics exigent que le produit des fosses ne soit plus déversé dans les ruisseaux qui descendent de Saint-André et de Saint-Donatien, mais dans l’Erdre au moyen de toucs.

Détail de l’îlot Sully sur plan de la ville de Nantes

Détail de l’îlot Sully sur plan de la ville de Nantes

Date du document : 1900

Vers le détournement de l’Erdre

En 1900, la belle rivière sert toujours d’égout à une grande partie de la ville. En 1898, les riverains se sont plaints de l’usine Ruff (rive droite) qui rendait l’Erdre insalubre : elle n’est pas seule en cause, loin de là ! Des usines, tanneries, teinturerie, filatures de coton, usine à gaz, abattoirs, rejettent directement leurs eaux résiduaires dans l’Erdre. Les ruisseaux du Gué-Moreau et de la Bonde « qui sont véritablement des égouts à ciel ouvert, recevant les déjections des riverains, viennent également y déverser une quantité considérable de matières fécales. »

Il faudrait interdire le lavage du linge en aval du pont de La Motte-Rouge, juge le Conseil d’Hygiène ; si l’Erdre est un égout, « pourquoi ne se servirait-on pas de cet égout presque naturel, en le recouvrant simplement et en permettant d’établir ainsi sur cette voûte un boulevard qui viendrait embellir tout le quartier de l’Erdre ? »  

Le Conseil écarte cette solution : de toute façon, les eaux polluées seraient arrêtées par l’écluse, alors qu’il faut qu’elles soient entraînées vite et loin. Le recouvrement n’empêcherait pas la prolifération des moustiques, vecteurs de plusieurs maladies infectieuses. Il faut déplacer les fondoirs, les triperies, l’abattoir, loin du centre-ville, et établir, depuis La Motte-Rouge jusqu’à la Loire, deux  égouts parallèles à l’Erdre. C’est alors la Loire qui sera contaminée, mais cela a moins d’importance depuis que la prise d’eau ne se trouve plus quai de Richebourg.

Ces égouts seront installés dans les premières années du 20e siècle. Il faudra attendre les années 1930 pour qu’une solution radicale soit mise en œuvre : l’Erdre sera non seulement recouverte dans sa traversée urbaine, mais détournée sous les Cours.

Louis Le Bail
2018

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Louis Le Bail

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