Jean-Jacques Renouard de Villayer (1607-1691)
Savez-vous ainsi que l’idée première du timbre-poste – bien longtemps avant l’apparition de ce mot – est apparue en France en 1653, à l’instigation d’un académicien nantais ?
Une famille de maîtres des comptes de Bretagne au 17e siècle
Jean-Jacques Renouard, comte de Villayer, né le 24 juin 1607 à Nantes, reste aujourd’hui encore le seul Nantais à avoir été élu à l’Académie française (en 1659, au fauteuil n°27). Jean Chapelain (1595-1674), un autre académicien de son époque, résume ainsi sa carrière littéraire : « On n’a rien vu de lui par écrit qui puisse faire juger de l’étendue de son esprit et de la force ou de la faiblesse de son style. » L’académicien a donc peu écrit, mais ses collègues en avaient une grande estime comme en témoignent les éloges faites par Chapelain, Fontenelle et Thomas Corneille.
Bien que nous n’ayons pas son portrait, sa signature est restée dans les archives de l’Académie.
La famille de Renouard ou de Regnouard était originaire de Gascogne et nous savons que Guy Renouard, le père de notre académicien, succédant à la charge de son propre père, fut nommé en 1580, conseiller secrétaire auditeur à la chambre des comptes de Bretagne, dont le siège était à Nantes. Si peu de Nantais se souviennent de la famille Renouard, le magnifique hôtel bâti par son frère César, dit Renouard de Drouges, depuis nommé Hôtel Rosmadec, reste visible au cœur de Nantes puisqu’il est un des bâtiments composant l’actuel Hôtel de Ville.
La Petite Poste de Paris
Sous Louis XIV, La Poste transportait les plis de ville en ville, mais pas au sein d’une même ville. Il était impossible d’envoyer des lettres d’un quartier de Paris à un autre.
En août 1653, Jean-Jacques Renouard de Villayer (qui était conseiller d’État) a essayé de combler cette lacune en instituant la Petite Poste de Paris pour « ceux qui voudront écrire d'un quartier de Paris à un autre et avoir réponse promptement deux et trois fois le jour sans y envoyer personne ... ». Des boîtes ont été placées au coin des principales rues pour recevoir la correspondance. La relevée de ces boîtes avait lieu trois fois par jour.
Jean Loret (1595-1665), parfois appelé le « père du journalisme », un gazetier (c’est à-dire, un éditeur de gazette, nom des journaux de cette époque) composa le poème suivant, qui parut dans le numéro du 16 août 1653 de sa gazette La Muze Historique.
« On va bientôt mettre en pratique,
Pour la commodité publique,
Un certain établissement,
Mais c’est pour Paris seulement.
Des boîtes nombreuses et drues,
Aux petites et grandes rues,
Où par soi-même ou son laquais,
On pourra porter les paquets,
En dedans, à toute heure, mettre
Avis, billet, missive ou lettre,
…
Ceux qui n’ont ni suivants, ni suivantes,
Ni de valets, ni de servantes,
Seront ainsi fort soulagés,
Ayant des amis loin logés.
Outre plus, je dis et j’annonce
Qu’en cas il faille avoir réponse,
On l’aura par le même moyen,
Et si l’on veut savoir combien
Coûtera le port d’une lettre,
Chose qu’il ne faut pas omettre,
Afin que nul n’y soit trompé,
Ce ne sera qu’un sou tapé. » (Loret)
Jean-Jacques Renouard de Villayer déploya ainsi le premier réseau de boîtes aux lettres au cœur de Paris, mais son innovation se cache derrière la dernière phrase du poème « Ce ne sera qu’un sou tapé ». Pour en comprendre la portée, une présentation rapide du mode de fonctionnement de La Poste est nécessaire.
L’idée première du timbre-poste
Dès son origine, La Poste est un service pour la collecte, le transport et la distribution des lettres contre le paiement d’une taxe. La question est de savoir qui paie cette taxe. Le règlement pour la fourniture d’une marchandise est simple, car il est aisé d’en constater la livraison (ai-je ou non en ma possession, la marchandise vendue ?), mais pour un service la question est délicate. Si je paie à la commande comment vérifier que le service sera effectué ?
Sauf exception, l’usage était ainsi de traiter la taxe postale en « port dû ». C’est-à-dire que le destinataire de la lettre devait payer la taxe dès qu’il avait la lettre en main et ceci en fonction de la distance parcourue.
Jean-Jacques Renouard de Villayer a fait preuve d’une innovation en complète rupture avec cet usage. « Ce ne sera qu’un sou tapé ». Ce vers signifie que l’on devait payer le service à la commande (d’où l’expression en « port payé ») et pour un seul sou donc ceci, quelle que soit la distance à parcourir.
Jean-Jacques Renouard de Villayer avait conçu un billet de port payé qui devait être attaché à la lettre (avec une ficelle, par exemple) de sorte que le commis puisse le voir et l’ôter aisément.
Bien sûr, ce billet ressemble peu à notre timbre-poste moderne (pas de dentelure, pas de colle), mais il en contient l’esprit : le port payé.
Dans son Histoire du Timbre-Poste français, parue en 1891, Louis Leroy rend à Jean-Jacques Renouard de Villayer la paternité de l’idée première du timbre-poste : « À l’Angleterre revient l’honneur de l’initiative dans la réforme postale. Sans lui en contester le mérite, nous avons à cœur de rappeler que c’est en France – et cela remonte à près de deux siècles et demi – que nous trouvons la première application d’un système de perception de port d’affranchissement, évitant au public l’obligation de se rendre dans un bureau de poste pour acquitter la taxe en numéraire. En 1653, M. de Villayer, maître des requêtes, inaugurait à Paris la petite poste et les boîtes aux lettres. Il établissait, en même temps, un mode de correspondance avec réponse payée d’avance. »
Malgré cette innovation, le système de Jean-Jacques Renouard de Villayer n’a pas été compris par le public, ni même pris au sérieux, ce qui a conduit à son échec au 17e siècle. Des facétieux prenaient, par exemple, plaisir à remplir d’immondices les boîtes aux lettres, si bien que des souris y pénétraient et rongeaient le courrier : l’heure n’était clairement pas venue !
La Journée du Timbre 1944
La Journée du timbre (devenue Fête du timbre en 2000) est le rendez-vous philatélique annuel depuis 1938. À partir de 1944, La Poste a décidé d’émettre un timbre-poste pour cette fête.
La Poste a honoré la mémoire de Jean-Jacques Renouard de Villayer en lui consacrant le tout premier timbre-poste de la longue série des Journées du timbre.
À défaut d’un timbre à son effigie, le blason de la famille a été utilisé. Sur la carte postale émise, le commentaire suivant « C’était, sauf la gomme, un véritable timbre-poste… » rappelle qu’il convient d’attribuer à Jean-Jacques Renouard de Villayer l’idée première du timbre-poste.
Les autres inventions de Jean-Jacques Renouard de Villayer
Les autres idées de Jean-Jacques Renouard de Villayer sont certainement moins connues des philatélistes. Le duc de Saint-Simon, Louis de Rouvroy, auteur des Mémoires, brosse le portrait d’un académicien original. « Ce bonhomme Villayer, dit Saint-Simon, étoit plein d’inventions singulières et avoit beaucoup d’esprit. C’est peut-être à lui qu’on doit celles des pendules et des montres à répétition pour en avoir excité le désir. Il avoit disposé à sa portée, dans son lit, une horloge avec un fort grand cadran, dont les chiffres des heures étoient creux et remplis d’épices différentes, en sorte que, conduisant son doigt le long de l’aiguille sur l’heure qu’elle marquoit ou au plus près de la division de l’heure, il goûtoit ensuite et par le goût et la mémoire connaissoit, la nuit, l’heure qu’il étoit. C’est lui aussi qui a inventé ces chaises volantes qui par des contrepoids montent et descendent seules entre deux murs à l’étage qu’on veut, en s’asseyant dedans par le seul poids du corps, et s’arrêtant où l’on veut. M. le Prince s’en est fort servy à Paris et à Chantilly. Mme la duchesse, sa belle-fille et fille du roi, en voulut avoir une de même pour son entresol à Versailles et voulant y monter un soir la machine manqua, et s’arrêta à mi-chemin, en sorte qu’avant qu’on pût entendre et la secourir en rompant le mur, elle y demeura bien trois bonnes heures engagée. Cette aventure la corrigea de la voiture et en a fait passer la mode. »
La description de Saint-Simon rappelle celle d’Hermippe par La Bruyère, l’un de ses caractères, « esclave de ses petites commodités » qui a souvent servi pour moquer Jean-Jacques Renouard de Villayer. Difficile de reconnaître l’utilité d’une pendule à épices, mais pour ce qui concerne la chaise volante, Jean-Jacques Renouard de Villayer semble avoir imaginé un système précurseur de l’ascenseur.
Didier Galagain
Amicale Philatélique de "L'Ancre"
2022
En savoir plus
Bibliographie
Blanc Emmanuel, Les anciens timbres français, Édition Payot, Paris, 1946
Brunel Georges, Extrait du timbre-poste français. Étude historique et anecdotique de la poste et du timbre en France et dans les colonies françaises, Ch. Delagrave, Paris, 1896
Champion H., D’après la Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, Paris, 1924
Kerviler René, eLa Bretagne à l’Académie française au XVIIe siècle – Études sur les Académiciens bretons, Société Générale de Librairie Catholique, Paris, 1879
Leroy Louis, Histoire du timbre-poste français, Édition Ch. Roussin, Paris, 1891
Maigne M., Dictionnaire classique des origines, inventions et découvertes dans les arts,
les sciences et les lettres : présentant une exposition sommaire des grandes conquêtes
du génie de l’homme... (2e éd., rev. et augmentée d’un complément), Éditions Larousse et
Boyer, Paris, 1878
Tournier Gaston, « Le 275e Anniversaire de la poste en France », Le messager Philatélique, n°6, Paris, 25 juillet 1928
Valuet Roger, Paris et sa poste, Les presses de la cité, Paris, 1957
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Rédaction d'article :
Didier Galagain
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