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Place Royale


La place Royale est un lieu emblématique de la ville de Nantes. Aménagée à partir de 1790 par l’architecte Mathurin Crucy, il faudra plus de 75 ans pour qu’elle devienne la place que l’on connaît aujourd’hui. Dotée d’une fontaine en 1865, la place est d’abord vouée au commerce et elle abrite au fil des siècles des enseignes de renoms. En partie détruite par les bombardements de 1943, elle est restaurée à l’identique jusqu’en 1961. La place Royale est ensuite provisoirement restreinte à la circulation automobile avant de devenir entièrement piétonne.

Construction de la place « Royale »

Depuis le 17e siècle, il est courant de voir construire dans les grandes villes de France des places « royales ». À cette époque, la place royale possède deux caractéristiques principales : d’une part, une parfaite symétrique et une conception unitaire, d’autre part, la présence d’un monument représentant l’effigie du roi régnant. Au début des années 1680, la France connaît une vague de constructions : 1684 à Caen, 1685 à Lyon, 1687 pour Poitiers, etc. La création de la place Royale de Nantes intervient donc tardivement, à la toute fin du 18e siècle.

En réalité, dès le milieu du 18e siècle, des projets sont établis pour transformer le faubourg Saint-Nicolas. Axe commercial, il permet jusqu’à la seconde moitié du 18e siècle d’atteindre les remparts fortifiés de la vieille cité médiévale. Le bastion Saint-Nicolas devient à cette époque un réel obstacle entre l’expansion des habitations et l’augmentation de la circulation. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’architecte royale Vigné De Vigny est chargé en 1755 d’établir un plan général d’embellissement de la ville et de transformer entièrement la place Saint-Nicolas.

Contraint de s’adapter à la morphologie particulière du lieu qui est encore restreint par les fortifications, la place que De Vigny propose est peu régulière et il envisage alors d’y disposer tout autour une halle aux blés, une salle de spectacle ainsi que la nouvelle église Saint-Nicolas. Ce projet est un échec en raison du mauvais accueil qui lui est fait par la population nantaise. C’est l’architecte voyer Jean-Baptiste Ceineray qui prend le relais entre 1760 et 1780, et innove en proposant le percement d’une voie nouvelle et en élargissant l’esplanade. En 1773, Ceineray propose une seconde version du projet qu’il nomme désormais « place Royale » et en 1778, dans une troisième et dernière proposition, Ceineray décide de retirer l’église Saint-Nicolas de ses plans, marquant une étape importante dans la conception de la place. L’église une fois écartée, le projet n’est pourtant pas aboutit ; après 1780, Mathurin Crucy succède à Ceineray et reprend la création de la place.

Crucy ne s’y attaque pas immédiatement et enchaîne de nombreuses réalisations architecturales, dont la place Graslin qu’il finalise en 1787. C’est sur ce modèle dit « en miroir de toilette » qu’il conceptualise un nouveau plan pour la future place Royale. La place qu’il imagine est symétrique et comporte des façades identiques constituées chacune d’un rez-de-chaussée réservé aux boutiques, d’un entresol aux fonctions variées, et de trois étages de logements. Par ailleurs, il perce la façade ouest de la place pour y insérer la future rue Crébillon, qui permet de rejoindre la place Graslin.

Une fois le plan défini, il s’agit encore d’acquérir les terrains. En effet, l’ancienne place Saint-Nicolas est parsemée de petites maisons que la municipalité doit racheter. Les premières acquisitions avaient déjà débuté bien avant l’exécution du projet, en 1771 ;  toutefois, les négociations s’étalent sur plusieurs années. L’entreprise municipale se heurte notamment à la comtesse du Barry, maîtresse de Louis XV, qui possède plusieurs propriétés autour de la place Saint-Nicolas et qui ne cède ces dernières qu’en 1784. Dans un second temps, la municipalité entame l’attribution des terrains par adjudication aux plus offrants : ne pouvant financer la totalité de la construction, il est prévu de faire acquérir les terrains à de nouveaux propriétaires qui, désireux de participer à l’embellissement de la ville, accepteraient de faire construire leurs immeubles en suivant strictement les indications de Mathurin Crucy. Il faut près de quatre ans pour trouver l’ensemble des acheteurs, tous rentiers, riches négociants ou grands architectes, et les travaux débutent séparément à partir de 1790. Seule la maison située aux angles des rues de Gorges et de la Fosse (actuel Crédit Mutuel) demeure inachevée… jusqu’en 1845 !

Une fontaine pour la place

Une fois la place terminée, encore faut-il décider du monument qui l’ornera. Le projet d’une fontaine publique sur la place Royale est ancien : dès 1791, Mathurin Crucy propose une imposante structure avec une statue inspirée de l’art antique. La Ville n’est malheureusement pas dotée d’un service d’eau permettant d’amener celle-ci jusqu’à la place. L’idée d’une fontaine est donc abandonnée jusqu’en 1852, alors que le sculpteur et artiste nantais Daniel Ducommun du Locle s’associe à l’architecte Driollet afin de concevoir un nouveau projet. Ensemble, ils réalisent une fontaine magistrale, faite de granit et de marbre, tandis que les sculptures de bronze sont coulées par le célèbre fondeur Voruz. La fontaine est inaugurée le 16 mars 1865 en présence du maire de Nantes, Ferdinand Favre. Par les matériaux utilisés, les symboliques mobilisées et les technologies dont elle est dotée, la fontaine inscrit Nantes dans une nouvelle modernité et marque la conquête de la Ville sur l’eau courante.

La figure principale située au sommet de la fontaine est une allégorie de la Ville de Nantes tenant à la main le trident de Neptune, dieu romain de la mer et des fleuves. Il est entouré de nymphes, symbolisant la Loire et quatre de ses affluents : l’Erdre, la Sèvre, le Cher et le Loiret. Tout autour, des génies chevauchant des dauphins représentent l’industrie et le commerce nantais.

Un carrefour économique

Au tout début du 19e siècle, la place abrite essentiellement des commerces à caractère artisanal (armuriers, cordonniers, marchands de papiers...) et quelques magasins alimentaires. Mais, au fil du siècle, en raison de charges locatives trop lourdes, les boutiquiers la délaissent au profit des rues voisines, aux loyers beaucoup plus modestes. Des magasins de nouveautés spécialisés en articles de toilette s’installent alors, bientôt remplacés par les Grands Magasins…

L’un des plus célèbres grands magasins, Au Petit Paris, s’installe au n° 9 de la place à la fin du 19e siècle. La boutique, qui propose une multitude d’objets de mode, est tenue par Gustave et Sarah Cahen. Le 17 janvier 1898, alors qu’Émile Zola vient à peine de publier sa célèbre tribune J’accuse, une manifestation antisémite est organisée dans les rues de Nantes. Des affiches « Mort aux juifs » sont placardées sur les vitrines du Petit Paris tandis que des pavés brisent les vitrines du magasin. Monsieur Cahen porte plainte mais l’antisémitisme régnant est plus fort. Sa compagnie d’assurance tout comme la Ville refusent de lui rembourser les glaces perdues, sous prétexte que son propriétaire aurait dû mieux les protéger…

Le n°1 de la place Royale accueille pendant plus de 50 ans le magasin Fraisse et Patasson. Ses propriétaires sont d’anciens négociants, ayant fait fortune au début du 19e siècle. Spécialisé dans les confections vestimentaires pour dames, il marque durablement le commerce nantais. Il est remplacé au tout début du 20e siècle par le magasin Au Grand Bon Marché. Ce commerce, qui se fait appeler le meilleur marché du monde (rien que cela !), se spécialise dans les vêtements masculins. C’est un grand magasin typique du début du 20e siècle, comme Au Petit Paris. Tous deux habillent la place Royale de leurs vitrines et de leurs enseignes démesurées.

À partir de la seconde moitié du 19e siècle, la place Royale accueille deux cafés d’importance : le café d’Orléans (n°11) et le café Le Continental (n°1). Le café d’Orléans est inauguré le 24 septembre 1862. Six ans plus tard, une salle de billard est mise à disposition et l’entresol accueille à la fin du 19e siècle toutes sortes de sociétés plus ou moins académiques, comme le cercle du Lézard en 1889, qui se réunit autour de questions de magnétisme et de spiritualité… À l’époque, les cafés sont au cœur de la vie nantaise : organisation de tombolas (les tickets et les lots sont conservés au café d’Orléans), de réunions politiques, etc... Malheureusement, le café d’Orléans fait partie des victimes des bombardements de 1943 et contrairement à son voisin Le Continental, il ne s’en relèvera pas. Ce dernier se repère de loin grâce aux lettres géantes qu’il arbore sur sa toiture. Inauguré le 15 avril 1885, on peut y consommer des sodas ou bien des glaces, et profiter des nombreux concerts donnés par le propriétaire Charles Viriot. Le café est détruit en 1943 puis reconstruit après-guerre. Il est alors autorisé à bâtir une véranda sur le trottoir.

Une place Royale en guerre

La place Royale traverse le temps, les diverses manifestations mais aussi les temps de guerre. Depuis l’armistice du 25 juin 1940, la Loire-Atlantique est placée sous l’autorité de l’armée allemande. L’ancien magasin Au Petit Paris, (actuel Crédit Mutuel) est occupé par la Soldatenheim, un foyer pour soldats, lieu officiel de détente des troupes de l’Occupation. Le 26 décembre 1940, Paul Bocq, Henri Adam et Marin Poirier lancent un engin explosif sur le bâtiment. Traqués, les trois résistants tentent de rejoindre l’Angleterre. Paul et Henri parviennent à s’échapper tandis que Marin Poirier est arrêté. Exécuté le 30 août 1941, il est le premier résistant Nantais à être fusillé.

En septembre 1943, la place Royale est touchée par les bombardements alliés, à l’instar d’une grande partie du centre historique. Tandis que plus de la moitié des immeubles de la place est rasée, les journées des 16 et 23 septembre font des milliers de victimes, marquant les esprits des Nantais durant plusieurs décennies. Le 16 septembre, de nombreux Nantais et Nantaises flânent dans les magasins en vue de la rentrée scolaire qui se prépare. Habitués à entendre chaque jour les alertes à la bombe, les habitants tardent à se mettre à l’abri quand les premiers obus s’écrasent sur le centre-ville et notamment sur la place Royale. Le 23 septembre, deux nouvelles attaques, à 8h55 et 18h45, détruisent une partie du port. Le bilan des deux journées est terrible : 1463 morts, 2500 blessés, 10 000 familles sans logis et 513 hectares de ville ravagés. La place Royale est à moitié détruite... Jusqu’au 2 août 1944, la ville subit encore seize attaques aériennes responsables de 206 décès supplémentaires. Nantes est à reconstruire, 2000 immeubles sont détruits et 6000 autres sont désormais inhabitables.

Le 4 novembre 1943, la ville de Nantes est déclarée sinistrée. Il faut reloger ces milliers de Nantais qui, en plus d’être endeuillés, ont perdu foyer et commerce, et envisager la reconstruction. Très rapidement, des choix sont faits : la place Royale est rebâtie quasiment à l’identique. En décembre 1944, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme est créé. À Nantes, c’est l’architecte Michel Roux-Spitz qui est chargé d’établir le plan de Reconstruction. Les rues sont élargies pour devenir de larges artères, adaptées notamment à l’utilisation croissante de la voiture, à l’exemple de la rue du Calvaire. Place Royale, on reconstruit à l’identique en suivant l’esthétique du 18e siècle. Pour améliorer la circulation aux alentours de la place, les rues de l’Arche-Sèche et La Pérouse sont élargies. La partie est de la place Royale est entièrement rebâtie. Les cours intérieures sont supprimées et les accès aux appartements sont transférés rue du Couëdic, laissant la façade du rez-de-chaussée entièrement libérée pour son utilisation commerciale.

Lors des bombardements, la moitié des commerçants de la place ont vu leur boutique brûler. Dès le 25 septembre 1943, le préfet exige que ces derniers rouvrent leurs portes sous peine de voir leurs marchandises réquisitionnées. Des baraquements sont installés un peu partout dans Nantes, notamment cours Saint-Pierre et Saint-André. Conçus en bois et en taule, ces magasins de fortune sont souvent insalubres. Si en 1947 la plupart des commerçants a retrouvé ses locaux, les tous derniers baraquements ne sont démontés qu’au début des années 1970.

La piétonisation de la place

Après la guerre, les commerces ont peu à peu disparu de la place, laissant davantage d’espace aux voitures, toujours plus nombreuses. La fontaine sur les bords de laquelle des foules de gens s’asseyaient encore au 19e siècle, est réduite à l’état de rond-point, malgré un tapis végétal qui réjouit les riverains. Les dégâts causés par la Seconde Guerre mondiale ont fragilisé la structure de la fontaine. Le coût de la réparation étant dix fois supérieur à celui de la démolition, sa destruction est envisagée. Finalement, la Commission régionale des dommages de guerre acceptant le financement du bassin de granit, la restauration est actée en 1961 accompagnée d’un nouvel aménagement. Le responsable des espaces verts de la Ville, Monsieur Plantiveau, dessine un parterre de gazon et de buis fleuris. Les travaux, engagés au printemps 1962, sont terminés à l’été, au plus grand bonheur des Nantais. Pour le journal La Résistance, ces « motifs végétaux soigneusement agencés » profitent surtout aux habitants des immeubles ceinturant la fontaine. Ouest France, plus critique, regrette qu’il soit désormais impossible d’accéder à la fontaine.

Un an plus tard, la Ville de Nantes poursuit sa politique de végétalisation du centre urbain, en installant des vasques fleuries, retirées l’hiver, ressorties au printemps. Malgré un engouement général, ces aménagements sont l’objet de dégradations régulières : la pelouse est sans cesse piétinée, les vasques sont souvent renversées, et surtout, les voitures n’ont de cesse de se garer sur le parterre. Riverains et commerçants multiplient les plaintes au cours des deux décennies suivantes à l’encontre des voitures débordant des trottoirs. Dans les années 1990, la Ville de Nantes est à l’initiative de plusieurs projets visant à végétaliser l’environnement urbain. En 1992, est lancé le projet « Nantes en fleurs ». Trois ans plus tard, c’est l’opération « Fleurissement des balcons » qui a lieu, dans le cadre du projet « Nantes cœur fleuri ». Le 15 juin 1995, 120 balcons de la place Royale sont agrémentés de jardinières blanches avec des géraniums rouges. En 1991, un nouveau projet de fleurissement est établi autour du parterre d’origine afin de limiter la circulation. Les débats sur la semi-piétonisation de la place sont entamés mais supprimer totalement la circulation paraît alors impensable…

Au début des années 2000, la Ville de Nantes s’engage dans un processus de piétonisation. L’écrin de verdure, qui entourait la fontaine et servait de rond-point, disparaît afin de faciliter la circulation des vélos et des piétons. La piétonisation de la place Royale intervient dans le cadre d’un projet plus vaste, touchant une grande partie du centre-ville, mais aussi plus ancien puisque les premières rues piétonnes à Nantes apparaissent dès 1973. Dans les années 1990, le sujet de la piétonisation alimente les débats entre les habitants de la place. Si les commerçants sont lassés de voir les voitures garées sur les trottoirs et cacher ainsi leur devanture, ils imaginent difficilement un lieu réservé exclusivement aux piétons.

En 2006, les commerçants des rues Rameau, Suffren et Grétry demandent à ce que leur secteur devienne semi-piéton. Dans le même temps, des travaux similaires sont organisés pour la place Royale et en avril 2007, après un an de travaux, la semi-piétonisation de la place Royale est finalisée. Il est alors encore possible de rejoindre la rue Crébillon par la rue Contrescarpe. C’est en 2011 que la place Royale devient entièrement piétonne, tandis que la place Graslin est fermée à la circulation en 2013. Aujourd’hui, la place Royale est devenue le rendez-vous incontournable des Nantais : la fontaine a retrouvé sa fonction première, un espace où chacun peut s’asseoir et profiter des rayons du soleil, le Voyage à Nantes a trouvé un point d'ancrage permanent, et depuis 2002, le marché de Noël investit les rues pour le bonheur des petits comme des grands.

Gillian Tilly
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2022



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Gillian Tilly

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