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Puits antique de l'église Saint-Similien Place de la Nation

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Champ de manoeuvres du Bèle


Le « champ de manœuvres », jusqu’au début du 20e siècle, c’est le Bois du Bèle. Ce seront bientôt 1 800 à 2 000 logements nouveaux dans le quartier de Saint-Joseph-de-Porterie.

Les casernes de Nantes

Depuis longtemps, Nantes est une « ville à soldats », ce qui est fort intéressant pour les finances communales : les militaires dépensent, font marcher le commerce. Il faut les nourrir ; les taxes perçues à l’octroi sont une des principales ressources de la commune ; toute marchandise doit acquitter une taxe lorsqu’elle entre en ville. Ils utilisent des chevaux, et le crottin est un engrais recherché par les jardiniers qui alimentent les marchés nantais. La Ville, en échange, doit leur fournir champ de tir et champ de manœuvre. La place Viarme, ancien bastion des fortifications de la ville, a été jadis un de ces champs de manœuvres, remplacé pour cause d’exiguïté par les prairies du bas Chantenay, puis par la Prairie de Mauves, à l’emplacement de nos cités Malakoff ; mais ces prairies sont utilisées aussi par les paysans, et la cohabitation est fort difficile ; de plus, elles sont fréquemment inondées. Le champ de manœuvres déménage au Petit-Port.

Un champ de manœuvres pour les artilleurs

Au début du 20e siècle, Nantes se voit proposer l’installation du 51e Régiment d’Artillerie de campagne ; on lui construit une caserne, le Quartier Mellinet. Le champ de manœuvres du Petit-Port commence à s’urbaniser, sa superficie est insuffisante pour des artilleurs, il faut chercher ailleurs. Du côté de Saint-Joseph-de-Porterie, existent encore de grands domaines dont certains propriétaires ne seraient pas fâchés de se débarrasser. C’est le cas de madame la marquise de Dion, maman du célèbre marquis automobiliste carquefolien. Le 15 septembre 1909, elle promet de vendre à la ville les 83 hectares de sa propriété du Housseau, à Carquefou. Mais on a trouvé mieux : le Bèle, un terrain un peu moins éloigné des casernes, et voisin du « champ de tir de la Porterie » déjà en service.

Champ de manœuvres pour la caserne Mellinet

Champ de manœuvres pour la caserne Mellinet

Date du document : début du 20e siècle

Ce terrain, nommé le Bois du Bèle, fait partie, depuis des siècles, du domaine de Porterie. En 1767, ce domaine est acheté par René-François Lelasseur (l’homme du boulevard Lelasseur). En 1910, il appartient à un de ses héritiers, François Lelasseur de Ranzay. L’acquisition par la Ville, en 1910-1911, n’a pas dû être facile, peut-être pour une question de prix ; il a fallu exproprier. Les terres de ce secteur nord de Nantes appartiennent encore à quelques grands propriétaires qui en tirent de substantiels revenus.

Les paysans du Bèle

À cette époque, le Bèle n’est plus un bois. Les Lelasseur y possèdent deux petites fermes, des borderies, louées à des habitants du quartier. En 1838, Louis et Françoise Pinaud payaient 420,80 F par an de loyer, et Jacques Terrien et son épouse Thérèse Mussetière 169 F. En 1866, onze personnes habitaient les deux maisons. En 1886, l’une des fermes est exploitée par François Mazureau. L’autre héberge Jacques Terrien, et son neveu Donatien Guillot qu’il emploie comme domestique jardinier. Donatien-Joseph Guillot est né en 1867 à la Conardière, la Cognardière comme on disait alors, un village à la sortie nord du bourg de Saint-Joseph ; en 1886, il habite au Bèle chez son oncle.

Champ de tir et champ de manœuvres

Le 21 octobre 1887, il a alors 19 ans, il travaille dans un champ. À quelques centaines de mètres, des militaires s’exercent au tir dans le « champ de tir de la Porterie ». Une munition s’égare, Donatien Guillot est gravement blessé à la tête. L’installation d’un champ de tir entre deux routes nationales, la route de Paris et celle de Carquefou-Châteaubriant, à proximité de la voie de chemin de fer Nantes-Segré, avait provoqué de vives protestations. On y tirait à ciel ouvert, en direction d’une simple butte de terre. Les balles sortaient fréquemment de l’espace autorisé, provoquant de nombreux accidents. Pendant plusieurs jours, L’Espérance du Peuple va exploiter le drame. Les rédacteurs de ce journal, qu’on classerait aujourd’hui à l’extrême-droite, y trouvent de bonnes raisons pour attaquer le nouveau pouvoir : la jeune Troisième République.

Jusqu’en 1911, disent les recensements, les deux maisons du Bèle sont habitées. En 1921, c’est terminé. La poudrière militaire de la rue des Agenêts a été déplacée chemin du Bèle, entre le « champ de tir » et le « champ de manœuvres » ; seule, la maison du gardien est habitée par un militaire de carrière, et sa famille. Lorsque la Ville de Nantes les achète, en 1910-1911, les 62 hectares du Bèle, loués à plusieurs fermiers, sont constitués alors de terres labourables, de prairies et d’une pépinière. Les locataires y exploitent des cultures maraîchères, des prairies, de la vigne, beaucoup d’arbres fruitiers. Au total, le propriétaire perçoit 5 075 F par an de locations, sans compter celle du pépiniériste Maurice Clétras, le principal locataire.

Plan du champ de tir et du champ de manœuvres du Bêle

Plan du champ de tir et du champ de manœuvres du Bêle

Date du document : 1924

La pépinière Clétras

Maurice Clétras a acquis en 1906 la maison d’horticulture fondée en 1813 par les frères Lefièvre. Son activité est devenue ainsi une des plus importantes de ce genre à Nantes. Son magasin est situé 79 rue des Hauts-Pavés, et ses pépinières occupent approximativement le site actuel de la maison d’arrêt. Il a largement étendu les pépinières Lefièvre, établies en 1901 au Bèle. De 4 hectares, la superficie de la pépinière est passée à 10,5 hectares. Maurice Clétras a des arbres fruitiers, des arbres forestiers, des arbustes d’ornement… Il déplacera, à partir du 1er novembre 1910, une partie de ses plantations à la Garde, ce qui nous vaut aujourd’hui dans ce secteur de la route de Paris une rue Maurice-Clétras. Il sera bien indemnisé et remettra le terrain à la Ville le 1er avril 1912.

Papier en-tête de la Pépinière Clétras

Papier en-tête de la Pépinière Clétras

Date du document : 1910

Le premier terrain d’aviation nantais

En 1912, le maire Paul Bellamy a obtenu qu’un terrain d’aviation militaire soit installé à Nantes. Le terrain du Bèle pourra recevoir aéroplanes et dirigeables. Ce terrain, ouvert aussi au public, a été utilisé pendant plusieurs années. Il était équipé d’un hangar Bessonneau, fabriqué par l’entreprise d’Angers qui livrera quelques années plus tard les 450 maisonnettes en bois des Batignolles. Mais ce n’était qu’un terrain de secours. Le Guide Michelin aérien de 1930 signale qu’on y disposait d’une aire d’atterrissage de 400 mètres sur 350 mètres, gazonnée mais, dit-il, la région est « cultivée, coupée d’arbres et de haies, peu propice aux atterrissages. » En 1932, un nouvel aérodrome est inauguré à Château-Bougon.

Plan de l’aérodrome du Bèle

Plan de l’aérodrome du Bèle

Date du document : 1924

La fin des casernes nantaises et la nouvelle prison

Au début du 21e siècle, les casernes quittent la ville ; « le samedi 29 mai 2010, une cérémonie marque la fin d’une présence militaire à Nantes ». La prison Lafayette, comme la nomment les Nantais, bâtisse vétuste du centre-ville, surpeuplée, est devenue une honte : en 2004, 420 détenus s’entassent dans un établissement prévu pour 290 ! Il faut la remplacer. Le champ de manœuvres du Bèle, qui appartient au ministère de la Défense, n’est plus utilisé. En 2006, le ministère de la Justice annonce enfin la construction d’une nouvelle maison d’arrêt, et achète 20 hectares du terrain.

Les travaux commencent en août 2007, pour s’arrêter dès le 17 septembre : le sous-sol est criblé de vieilles munitions non éclatées, oubliées là par on ne sait quelles armées. Plusieurs mois sont consacrés à cette « dépollution pyrotechnique ». D’où venaient ces munitions ? Le 10 octobre 1945, le maire de Nantes avait informé le préfet que le seul terrain permettant de stocker des engins de guerre, à Nantes, était le champ de manœuvres du Bèle. La guerre était finie, il aurait fallu nettoyer. Mais le 10 juillet 1946, un rapport faisait état d’un manque de personnel pour le « désobuage » et l’évacuation des munitions ; on ne disposait que de sept manœuvres civils, pas toujours disponibles, employés au dépôt de Saint-Joseph ; ils travaillaient à l’expédition, à la réception, au triage, au stockage, au désherbage, aux enlèvements urgents et même à la destruction des munitions en mauvais état. Un autre rapport du 16 octobre 1946 signalait l’existence d’un dépôt non gardé de 28 tonnes de munitions, sur ce terrain. À la hauteur du stand de tir, des parcelles avaient été minées ; elles étaient mal signalées. En 2012, la maison d’arrêt est enfin livrée. Le 3 juin, dans la nuit, les 323 détenus de « Lafayette » sont transférés au Bèle, encadrés par un millier de policiers et de gardiens.

Route de Carquefou

Route de Carquefou

Date du document : 04-07-2018

En 2007, la ville de Nantes a racheté au ministère de la Défense Nationale le reste du champ de manœuvres, une cinquantaine d’hectares, pour réaliser un vaste projet urbain. On conservera le maximum possible d’espaces naturels. Le nouveau quartier sera équipé de logements, commerces de proximité, d’un groupe scolaire, centre de loisirs, d’une crèche… À la rentrée 2022, la nouvelle école Germaine Tillon a ouvert ses portes.

Louis Le Bail
2018 (mis à jour en décembre 2023 par Noémie Boulay)

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En savoir plus

Bibliographie

ARDEPA, Ville de  Nantes, La Caserne Mellinet, ARDEPA, Collection Expédition urbaine, n°5, 2015

Ressources Archives de Nantes

Pages liées

Sabotage aux Batignolles

Résistance à Nantes

Tags

Guerre Nantes Erdre

Contributeurs

Rédaction d'article :

Louis Le Bail

Enrichissement d'article :

Noémie Boulay

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