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Fontaine de la place Royale


La place Royale serait-elle la place Royale sans sa fontaine monumentale ? Cela semble impensable, et pourtant, il a fallu près de 80 ans après la construction de l’esplanade pour qu’une fontaine y soit enfin installée. Assaillie par les critiques lors de sa construction, échappant de peu aux bombardements, sauvée après la guerre, l’histoire de la fontaine est également celle de la place Royale.

Lors de la construction de la place Royale en 1788 par l’architecte Mathurin Crucy, il est rapidement question de doter la place d’un ornement central. Celui-ci fait l’objet de nombreux débats et en 1791, le conseil général de la commune vote la construction d’un corps de garde nationaux sur la place que l’on appelle alors place Louis XVI, toujours encombrée par les travaux. Malgré la communication au directoire du département des plans dressés par Crucy, aucune suite n’est donnée à ce projet et près de 75 années s’écoulent avant qu’un nouveau projet ne soit proposé.

1849 - 1852, les projets de Driollet : la conquête de l’eau et de la lumière

Le désir de voir s’écouler de l’eau depuis la place Royale est ancien puisqu’au corps de garde prévu par Crucy, devait s’accoler une fontaine publique à l’architecture inspirée de l’art antique. Celle-ci visait à remplacer le puits de l’ancienne place Saint-Nicolas, utile aux habitants et aux marchands. La Ville n’étant malheureusement pas dotée d’un système d’irrigation permettant un tel projet, l’idée d’une fontaine est pendant longtemps abandonnée.

C’est seulement en 1849 que l’architecte en chef de la ville, Henri-Théodore Driollet, propose un avant projet de fontaine monumentale. La fontaine, prévue en fonte et en fer, est surélevée d’un nivellement pavé. Entourée de larges trottoirs agrémentés de bancs de pierre, elle possède déjà un éclairage « comme point central de la place avec la réflexion des masses d’eaux transparentes ». Mais le coût d’un tel projet excède le budget municipal. Le Conseil conserve pourtant l’idée d’une fontaine, et Driollet présente quelques mois plus tard une nouvelle version du monument : le centre de la place est désormais occupé par un aménagement végétal et une série de candélabres éclaire les arbustes fleuris. Il s’agit de créer une promenade à l’intérieur de ce parterre. Le 29 novembre 1849, le projet est rejeté, malgré le fait qu’on reconnaisse son intérêt certain notamment « sous le rapport d’embellissement mais encore comme moyen de vivifier les magasins qui sont établis dans ce quartier et qui, indubitablement, viendront s’y établir ».

En 1850, le projet d’une fontaine devient secondaire : en effet, le conseil municipal ne pouvant donner son assentiment à l’exécution d’une fontaine publique faute d’un service d’eau et en raison de l’exiguïté de son budget, trouve l’idée d’un candélabre beaucoup plus utile à la ville : « La commission pense que si la fontaine monumentale est à jamais abandonnée, le projet de candélabre doit avoir notre assentiment puisqu’il réunit tous les buts proposés, pouvant dans l’avenir servir de fontaine ». On préfère à la fontaine la construction d’un « grand candélabre monumental réunissant toutes les lanternes en un faisceau lumineux ».

La lumière est un enjeu important dans cette construction ; synonyme de modernité et de sécurité, l’éclairage répond parfaitement aux attentes de la Ville et à la domestication de l’électricité qui survient à partir des années 1860. Depuis 1838, le Théâtre Graslin est éclairé au gaz tandis qu’une grande partie de l’éclairage public fonctionne encore à l’huile. En 1841, 87 lanternes du centre-ville sont alimentées au gaz. C’est donc tout naturellement que Driollet propose à son tour des candélabres alimentés au gaz et non plus à l’huile. En 1851, la forme du candélabre se précise : cette fois, c’est un seul et même candélabre monumental réunissant au centre les 24 lanternes en forme de lustre pyramidal qui est soumis au Conseil municipal.

En février 1851, le Conseil doit choisir entre trois projets pour orner la place Royale :

« 1° fontaine monumentale dont le devis montait à cent mille francs
2° trottoir circulaire entouré de candélabres, et réservant l’avenir, le devis monte à six mille francs
3° candélabre monumental, constituant un éclairage concentré au centre de la place et formant une décoration définitive qui, à la rigueur, peut servir par suite de fontaine publique; le devis s’élève à la somme de 15 459 francs ».

Immédiatement après, c’est le projet n°2 qui est retenu et Driollet s’attelle à la construction de cette esplanade lumineuse.

1852 – 1865 : une fontaine en l’honneur de Nantes

En 1852, Driollet n’a pourtant pas renoncé à sa fontaine, et il s’associe à Daniel Ducommun Du Locle, « artiste nantais » et tous deux collaborent afin de réaliser le projet conçu déjà plusieurs années auparavant : une fontaine présentant en son centre une allégorie de la ville de Nantes tenant à la main le trident de Neptune, entourée de nymphes symbolisant la Loire et ses quatre affluents (l’Erdre, la Sèvre, le Cher et le Loiret), et de génies représentant l’industrie et le commerce nantais.

Deux ans plus tard, Driollet est chargé de réaliser un simulacre de fontaine afin que le Conseil municipal et la commission des Bâtiments civils jugent par eux-mêmes de l’effet escompté. Le résultat est particulièrement mitigé : les critiques, virulentes, auraient préféré que l’eau soit le seul objet central du projet. Driollet et Ducommun insistent fortement pour que leur œuvre soit réalisée, au point que Ducommun se propose d’offrir gratuitement ses services. De longues négociations sont entamées et en 1855, le projet est définitivement approuvé lors de l’Exposition Universelle.

En 1858, un traité définitif est passé avec Ducommun, chargé alors de réaliser les statues de Nantes et des cours d’eau, tandis qu’est confiée au sculpteur Guillaume Grootaërs la réalisation des génies. Celles-ci sont fondues par le célèbre Jean-Simon Voruz, créateur de l’escalier du passage Pommeraye.

Les travaux de la fontaine durent encore plusieurs années, soulevant de nombreuses critiques et oppositions. L’évêque de Nantes, Monseigneur Jaquemet, trouve la statue centrale bien trop dénudée, tandis que les commerçants de la place Royale s’impatientent de voir s’étendre indéfiniment la durée des travaux. En 1861, les habitants du lieu écrivent au maire afin que soit achevé cet « entourage de planches si disgracieux ». En 1863, l’architecte originel, Henri Driollet, décède et n’assistera pas à l’achèvement de la fontaine, inaugurée le 16 mars 1865 en présence du maire de Nantes, Ferdinand Favre.

L’inauguration attire de nombreux curieux. À deux heures de l’après-midi, le maire arrive en voiture accompagné de plusieurs personnalités politiques nantaises. Après un long discours, Ducommun remercie en peu de mots le maire de la ville. Puis, au son des pompiers, l’eau jaillit des 40 jets dont la fontaine est équipée, sous le regard animé du public, ravi. Il aura fallu près de 17 ans pour voir la place enfin achevée telle qu’on la connaît aujourd’hui.

La fontaine pendant et après-guerre

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la fontaine ne subit aucun changement notoire. Sous l’Occupation allemande, une partie de la fontaine faillit disparaître, victime de la réquisition des métaux par l’armée allemande. Lors des attaques aériennes des 16 et 23 septembre 1943, la place Royale est lourdement touchée. La moitié des immeubles est détruite et seule la fontaine se tient encore debout au milieu des décombres.

En réalité, si les dégâts ne sont pas aussi considérables que pour les immeubles entourant la place Royale, plusieurs génies sont sérieusement abîmés tandis que le parement de granit est criblé par les projections de bombes. En décembre 1944, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme est créé. À Nantes, c’est l’architecte Michel Roux-Spitz qui est chargé d’établir le plan de Reconstruction. La fontaine est exclue du bénéfice des dommages de guerre, considérée comme un élément somptuaire. Dans un premier temps, il est envisagé de raser la fontaine, dont le coût de réparation est dix fois supérieur à celui de sa démolition. Finalement, après une interminable procédure engagée par la Ville, la Commission régionale des dommages de guerre accepte le financement de la réfection du bassin de granit. Commencée en 1961, la restauration permet à la place Royale de conserver une partie de son identité. C’est en mars 1962 que la fontaine est inaugurée pour la deuxième fois de son histoire : le soubassement a été refait tandis que le système hydraulique a été changé.

Depuis les années 1990, la fontaine subit de multiples restaurations tant au niveau de sa tuyauterie que de son mécanisme. Longtemps cantonnée au rôle de rond-point, la fontaine est rénovée de février à mars 2007, alors que la place Royale est devenue piétonne.

Paradoxalement, si la construction de cette fontaine symbolise en partie la victoire de la modernité sur l’eau courante, c’est également au nom de cette modernité que la Loire sera quelques décennies plus tard comblée.

Gillian Tilly
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2022



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Gillian Tilly

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