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Île de Versailles Christiane Moreau (1906 – 2000)

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Nantes la bien chantée : Les trois moulins


Une chanson bien étrange que celle des « Trois moulins ». Plus qu’étrange car, si l’on n’y prend garde, on peut n’y rien comprendre tant son propos paraît sibyllin. Quelques clés de décryptage ne semblent pas superflues pour faire quelque lumière sur cette apparente anomalie.

Nantes, dans le texte

Et revoici donc le pont de Nantes, sur lequel il se passe décidément bien des choses !
Si la géographie locale plaide en faveur d’une abondante utilisation de cet élément architectural, on ne saurait se satisfaire de cette seule entame d’explication, fût-elle menée à terme, pour justifier cette singulière récurrence. La portée symbolique et l’usage inconscient que la tradition peut faire de ce type d’élément ne sont certes pas à négliger pour enrichir positivement les débats. Ceci ayant déjà fait l’objet de précédents commentaires, je n’y reviendrai pas ici.
Toutefois, si l’on fait un bilan intermédiaire des 38 chansons commentées dans ces chroniques, nous recensons déjà 5 pièces évoquant ou localisant l’action sur le désormais fameux pont de Nantes :

    • La parricide trompée (NBC-002)
    • La danseuse noyée (NBC-009)
    • War bont An Naoned (NBC-011)
    • Le pont de Pirmil (NBC-031)
    • Les regrets des parents qui marient leur fille (NBC-036)

Et nous en avons encore un nombre non négligeable en réserve…
Il y aurait donc à faire - avis aux amateurs - une véritable étude sur le motif du pont en général, mais on peut déjà constater un indice intrigant c’est que, même lorsqu’il est traité sur un ton léger, ces six chansons décrivent un drame, plus ou  moins tragique.

Alouette, gentille alouette

L’alouette est l’une des incontestables vedettes de l’ornithologie traditionnelle. Elle a tantôt un rôle disons « positif », lorsqu’il s’agit de lui confier un message par exemple mais parfois, elle va à l’encontre des projets amoureux, notamment lorsqu’elle chante le lever du soleil alors qu’il n’est pas encore jour, interrompant ainsi les ébats amoureux qui font tourner le monde depuis que celui-ci est ce qu’il est. Cela dit, on pourrait rétorquer aux amants ainsi surpris – ou feignant de l’être - que l’alouette est réputée pour chanter avant le lever du soleil et qu’il ne faut donc pas l’entendre au pied de la lettre, si l’on peut dire. D’ailleurs, le chant de l’alouette est devenu, dans un langage populaire hélas oublié, une expression désignant non pas le chant du volatile mais cet instant si particulier et d’une grande poésie qui précède le lever du soleil et qui précède l’aube elle-même. Juliette elle-même, excusez du peu, ne soutient-elle pas auprès de son Roméo (Acte III, scène 5) qu’il a entendu le rossignol et non l’alouette ?

Il y a donc beaucoup à dire sur l’alouette, même en se limitant au domaine de la chanson traditionnelle (d’un point de vue strictement ornithologique, ce sympathique volatile revêt également de nombreux attraits), mais que ce soit à Nantes ou ailleurs, il ne parait pas évident qu’on puisse en dire qu’elle a pour habitude de bâtir son nid sur les ponts. Pas plus que dessous, qui pourrait pourtant plus facilement se concevoir. Aussi, posons-nous la question - certes ce n’est pas la plus passionnante de la décennie : que fait ici cette alouette ?

La question reste posée mais, en guise d’élément de réponse, on peut sans risque affirmer que l’alouette joue ici ce rôle ingrat de gêneuse qui empêche l’héroïne narratrice de dormir. Si l’on considère le sommeil dans une dimension plus allégorique en lui prêtant, ainsi que le permet l’observation de nombreuses chansons où ce genre de scène est présente, une portée érotique, on est alors en phase avec le travers qu’on lui prête souvent et que j’ai précisé ci-dessus.

Un assemblage devenu chanson-type

L’étrange version présentée ici fut publiée « en l’état » par François Simon en 1929 et force est d’admettre qu’à lire le texte sans s’accompagner de quelques indices et autres ressources documentaires, on peut facilement en tirer la conclusion un rien brutale selon laquelle tout cela ne veut absolument rien dire. Pour ne relever qu’une anomalie, signalons le brusque changement de scène entre les deuxième et troisième couplets, qui ne peut que laisser perplexe le lecteur dans sa glorieuse et légitime quête de sens.

Pour bien comprendre ce qui suit, j’invite le lecteur à (re)prendre connaissance avec la chanson-type Le prisonnier des Hollandais, NBC-033 des présentes chroniques. Pour ceux qui n’en ont ni le courage, ni le temps, ni l’envie, rappelons que Le prisonnier des Hollandais est ce tube du répertoire francophone, très connu nanti du refrain un peu pompier Auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon, fait bon et dans laquelle une belle se lamente de l’éloignement de son bien-aimé, éloignement bien fortuit puisqu’il est, précisément, prisonnier des Pays-basiens (à moins que ce ne soit des Néerlandois).
Maintenant, si on compare la version présentée aujourd’hui avec les autres versions présentes dans la bibliographie idéale du chroniqueur free-lance, on s’aperçoit que, ô surprise, ô tradition orale facétieuse, toutes ou presque commencent par le type Le prisonnier des Hollandais avant d’évoluer, à partir de l’épisode où la belle prétend qu’elle donnerait Touraine, Paris et Saint-Denis (pour revoir son chéri, donc), vers une étrange réponse, formulée par un narrateur non identifiable, quelque chose comme :

Paris n’est pas à toi, pas plus que Saint-Denis
Tu n’as que la fontaine au bas de ton courtil [ou jardin]
Quand la fontaine est pleine, fait tourner trois moulins
Y’en a un qui moud l’orge, l’autre le sucre fin [ou poivre fin]
Et l’autre endort les filles au tic tac du moulin
[…]

De là à se convaincre que la chanson-type La fontaine aux trois moulins est une émanation, un développement du Prisonnier des Hollandais, il n’y a qu’un pas que, mon ma part, j’ai franchi depuis bien longtemps.

Quant au refrain, je laisse le lecteur apprécier cette suite d’onomatopées pour le moins inhabituelle, qui là encore, sous réserve de l’avis de linguistes distingués et compétents, n’a pour autre intention que celle inhérente à la musique vocale, de produire du son lorsque les mots ne sont plus nécessaires et que l’on trouve d’ordinaire dans le répertoire de chant à danser, voire de chant à la marche. Les falaridaine et autres Dadouronron en sont d’autres manifestations tout à fait comparables.

Hugo Aribart
Dastum 44
2021

[forme]
C’est sur le pont de Nantes
L’alouette fait son nid
Et nuit et jour elle chante
Elle m’empêche de dormir

REFRAIN
De clin, de mordi clin
De clin, bartaclin, mordi clin bartaclin

Et nuit et jour elle chante
Elle m’empêche de dormir
Je voudrais bien avoir
Toulouse ou bien Paris

Etc

[texte]
C’est sur le pont de Nantes l’alouette fait son nid
Et nuit et jour elle chante, elle m’empêche de dormir
Je voudrais bien avoir Toulouse ou bien Paris
Tu n’auras pas Toulouse, encore bien moins Paris
Derrière chez mon père il y a trois moulins
Un qui moud la farine et l’autre le poivre fin
L’troisième réveille les filles au tic tac du moulin.

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En savoir plus

Bibliographie

Coirault, Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé et complété par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2006, 3 volumes
La fontaine aux trois moulins (Fantaisistes - N° 00208) : 16 versions référencées

Laforte, Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université de Laval, 1977-1987, 6 volumes
Les trois moulins (I, I-14) : 18 versions référencées:

Simon, François : Chansons populaires de l’Anjou, Angers, A. Bruel, 1929

Enregistrement

Janig Juteau, à Nantes le 2 février 2019 d’après la version publiée par François Simon (cf. bibliographie)

Pages liées

La Parricide trompée

War bont an Naoned

Le pont de Pirmil

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Nantes dans la chanson

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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