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Septembre 1815 : occupation militaire insolite de Nantes par l’armée de Prusse


En juin 1815, la défaite de la France à Waterloo entraîne la restauration des Bourbons sur le trône ainsi que l’occupation du pays par la coalition des pays vainqueurs. Le 12 septembre, ce sont 6000 soldats prussiens qui font leur entrée à Nantes.

L’annonce d’une occupation étrangère de la France vaincue

Le Premier Empire ne résiste pas à la défaite de Waterloo le 18 juin 1815. Napoléon Ier abdique quelques jours plus tard, laissant le pouvoir à Louis XVIII qui inaugure la Seconde Restauration. 

Conscients de la fragilité du trône des Bourbons, les armées européennes, désormais déclarées alliées, prennent des garanties en occupant une grande partie de la France, ramenée à ses frontières de 1792 par le premier traité de Paris. Dès l’été 1815, les armées russes, britanniques, autrichiennes et prussiennes se partagent le territoire à occuper. Les Prussiens s’attribuent à l’ouest une vaste zone comprise entre la Loire et la Seine qui comprend Nantes et la partie du département de la Loire-Inférieure située au nord du fleuve.

L’occupation de la France entre 1815 et 1818

L’occupation de la France entre 1815 et 1818

Date du document : 01/07/2014

L’attente anxieuse

Le 14 juillet 1815, une rumeur se répand à Nantes. Les Prussiens vont occuper la ville. La question du coût de l’occupation devient une priorité constante pour les autorités locales. Les informations ne leur sont distillées qu’au compte-gouttes par le commandement prussien. Une proclamation du général comte Tauentzien, commandant les forces prussiennes à l’ouest, annonce aux habitants de la Loire-Inférieure, de l’Ille-et-Vilaine, du Morbihan, des Côtes-du-Nord et de la Manche l’arrivée prochaine de 45 000 hommes. Le général tient à rassurer les Bretons et les Normands : « Ce n’est pas comme ennemis que nous entrons chez vous […] vos familles, vos biens seront respectés. »

Cette déclaration qui se veut amicale ne rassure pas vraiment les populations concernées. Aucune date d’arrivée des troupes n’est fixée, et le nombre d’hommes qu’il faudra nourrir et héberger dans chaque département, dans chaque ville reste une énigme. Au cours des mois de juillet et août, une intense activité épistolaire témoigne de l’inquiétude des maires des départements de l’ouest. Ils quêtent auprès de leurs collègues les informations les plus récentes, les plus fiables, qui pourraient les libérer de l’attente anxieuse qui les ronge.

Le 6 septembre, le courrier du maire de Rennes ne peut qu’accroître l’inquiétude de la municipalité nantaise. Il annonce qu’une colonne de 8500 hommes et 1300 chevaux a quitté Rennes en direction de Derval et qu’une deuxième colonne de 6000 hommes et 1100 chevaux doit gagner Bain-de-Bretagne. Le même jour, apprenant la date d’arrivée officielle des Prussiens, le baron du Fou, maire de Nantes, fait afficher la nouvelle sur les murs de la ville. L’entrée des troupes est prévue le dimanche 10 septembre. Elle doit être précédée par l’arrivée, la veille, d’une avant-garde.

La question de la date de l’arrivée des Prussiens étant résolue, il fallait s’attaquer à un autre problème, celui du coût de l’occupation.

Des exigences jugées exorbitantes par le maire de Nantes et le préfet de Loire-Inférieure

Dès le 8 août, la municipalité nantaise forme une commission chargée de gérer les problèmes d’intendance, notamment le logement et la nourriture. Le 8 août, Thielmann (aide de camp du général commandant le 6e corps) annonce dans une lettre son arrivée prochaine et celle un peu plus tardive, sans précision, de sa 23e brigade du 6e corps, soit 13 700 hommes et 800 chevaux. Elle se compose, selon la liste qu’il ajoute à sa lettre, de 10 200 hommes d’infanterie, de 900 artilleurs et de 2600 cavaliers. Les troupes d’occupation devront être nourries, habillées, pourvues d’équipements neufs. Les chevaux seront équipés de selles, traits, et harnais. Le 9 août, l’intendant des armées prussiennes Ribbentrop et le général Thielmann font leur entrée à Nantes pour préparer le séjour des troupes alliées en Loire-Inférieure.

Portrait du Baron Johann Adolf von Thielmann

Portrait du Baron Johann Adolf von Thielmann

Date du document : 18e siècle

Stupéfaits, accablés par ces exigences, le préfet et le maire de Nantes accueillent Thielmann le 12 août au soir et sollicitent immédiatement une entrevue pour plaider la cause de la ville qui devrait à elle seule subvenir aux besoins de 6000 hommes et 2 régiments de cavalerie. Le maire se lamente sur « le déplorable état de la ville » et l’impossibilité qui en résulte « de supporter les énormes sacrifices » exigés. Le préfet dresse un tableau comparable du département. Peu sensible à ces lamentations, Thielmann regagne son quartier-général sans répondre au plaignant.

L’arrivée des Prussiens

Les Prussiens étaient attendus à Nantes le dimanche 10 septembre. En réalité, les 6000 hommes et 900 chevaux annoncés arrivent le 12 entre 12h et 14h, précédé d’une avant-garde. À l’évidence, les capacités d’accueil en caserne ne sont pas à la hauteur de cette arrivée massive. Le baron du Fou avait demandé à plusieurs reprises aux Nantais qui le pouvaient d’apporter des lits dans les casernes. Mais l’exode de nombreux habitants sur la rive gauche de la Loire à l’annonce de l’arrivée prochaine des Prussiens avait contribué à l’échec de cette entreprise. Le 28 août, le maire avait exigé que les habitants qui quittaient la ville devaient laisser leur logement ouvert. Il avait menacé les récalcitrants d’enfoncer les portes et de mettre les logements à la disposition des militaires prussiens ou de loger ces derniers dans des auberges aux frais des absents. En définitive, seuls 2149 lit sont disponibles en caserne à l’arrivée des soldats. Il faut alors se résoudre à en loger chez l’habitant, dans les auberges, les pensions et les hôtels réquisitionnés. Les officiers et leurs domestiques sont systématiquement hébergés chez l’habitant. Le commandant de la place de Nantes, le général Sommerfeld, est logé à l’hôtel de Belle-Isle situé entre le cours Saint-Pierre et le cours Saint-André. La majorité du corps prussien est dispersé dans plusieurs lieux de casernement : au couvent de la Visitation, au collège, aux Pénitents, à la maison des orphelins, à l’Entrepôt, à la Providence, à la Maison Brée, à la Maison Lorette, à la Maison Dubern et au Château des ducs de Bretagne.

Hôtel particulier de Pépin de Bellisle, place du Maréchal Foch

Hôtel particulier de Pépin de Bellisle, place du Maréchal Foch

Date du document : 12-10-2012

La question du logement résolue, il reste à nourrir les milliers de soldats prussiens. Sur la présentation d’un billet de logement délivré par la mairie, les militaires, ne connaissant ni la langue française ni la ville, sont accompagnés par les Nantais qui les accueillent pour s’approvisionner à différentes adresses. Enfin, pour faire face aux dépenses, la municipalité nantaise décide un prélèvement fiscal extraordinaire.

Une occupation mal acceptée

L’arrivée des Prussiens coïncide avec une situation économique et sociale difficile. La révolution et le blocus continental ont freiné l’essor du grand négoce nantais. La sécheresse de l’année 1815 se solde par de mauvaises récoltes. Depuis 1811, le prix du blé augmente et accroît la misère des classes populaires. Nantes n’est pas correctement approvisionnée, d’autant que le département doit subir les effets de la chouannerie au nord, et un soulèvement vendéen qui sévit au sud de la Loire au cours des mois de mai et juin 1815. Dans ce contexte difficile, une occupation militaire étrangère ne peut être acceptée de bon cœur, ni par la population locale, ni par les autorités nouvellement installées à la mairie et à la préfecture. À Nantes et dans de nombreuses localités occupées du département, les maires se plaignent de la charge excessive de l’entretien des troupes d’occupation. De plus, on déplore les mauvais traitements infligés parfois par les occupants.

Sans attendre l’arrivée des troupes d’occupation, la présence de quelques officiers supérieurs à Nantes au cours du mois d’août avait suffi à attiser la haine qui opposait les bonapartistes et les nostalgiques de la révolution aux royalistes. Le 12 août, 300 à 400 personnes se rassemblent place Graslin au moment où Thielmann sort de l’hôtel de France pour se rendre au spectacle. Il est accueilli aux cris de : « Vive la nation, vive l’indépendance, à bas les royalistes, à bas les Prussiens » par des manifestants sortant du café « Grandseau ». À ces cris répondent des « Vive le roi ! ».

Le court séjour des Prussiens est émaillé d’incidents qui, dans l’ensemble, compte tenu des milliers de soldats présents, restent mineurs. Néanmoins, cette occupation est marquée par des heurts le 17 septembre durant lesquels des patrouilles et des corps de garde sont attaqués et insultés. Le général Sommerfeld menace alors les futurs perturbateurs de sanctions sévères pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Pour éviter les actes de répression de l’occupant, les autorités locales décident de sévir rapidement en arrêtant les fauteurs de trouble et en organisant des patrouilles dans la ville.

Les Prussiens quittent Nantes satisfaits de leur séjour

Le 24 septembre, les troupes « alliées » quittent Nantes et la Loire-Inférieure pour rejoindre les départements de la Manche et du Calvados. Le 14 novembre 1815, le général Horn adresse un courrier au maire de Nantes louant ses mérites et remerciant les dames de la Charité de la ville qui ont soigné les soldats malades. Le 27 janvier 1816, une remise des médailles est organisée à Nantes en présence du représentant du roi de Prusse Frédéric-Guillaume, le consul Ulrich-Auguste Pelloutier. Au sommet des honneurs, le baron du Fou et la ville sont distingués « en témoignage de satisfaction, d’estime et de reconnaissance envers cette ville, pour les bons soins, le bon accueil et la bienveillance qu’ont éprouvé les troupes du 6e corps de l’armée prussienne de la part des habitants ». La distinction de la Sœur Sainte-Théodose, sœur supérieure de l’Hôtel-Dieu, n’offre toutefois pas la même solennité. Elle reçoit une simple médaille en reconnaissance « des services que vous avez rendus aux malades et blessés du 6e corps ». La relative modestie du compliment n’a d’égal que celui du roi de Prusse. Il s’adresse à la religieuse par un laconique : « Je vous prie madame d’accepter un léger témoignage ».

Le départ des Prussiens autorise la municipalité nantaise à dresser un bilan chiffré d’une occupation qui ne s’est pas éternisée, au grand soulagement de la municipalité et des habitants restés sur place. 5340 soldats ont séjourné à Nantes pour une population d’un peu plus de 77 000 habitants en 1815, sans doute beaucoup moins au cours du mois de septembre à la suite de l’exode du mois d’août. La charge, notamment fiscale, se révèle moins lourde qu’on ne l’avait craint. Elle avait été évaluée pour une période d’un mois à 450 606 francs. Les comptes, arrêtés le 21 mai 1816, montrent que les dépenses dépassant de peu 287 000 francs sont totalement couvertes par les recettes.

Yves Jaouen
2023



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En savoir plus

Bibliographie

Bois Paul (dir.), Histoire de Nantes, Privat, Toulouse, 1977

Croix Alain (dir.), Nantais venus d’ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Association Nantes-Histoire, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2007, 416 pages

Ressources Archives de Nantes

H4/2 – H4/3 – H4/8
1 D 36
2 D 5

Ressources Archives départementales de la Loire-Atlantique

1 M 83 
154 J 71

Tags

Guerre Empire

Contributeurs

Rédaction d'article :

Yves Jaouen

Anecdote :

Yves Jaouen

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