Nantes la bien chantée : War bont an Naoned
Une jeune femme perd un objet précieux tombé à l’eau. Un jeune homme passant par là propose d’aller lui chercher moyennant récompense amoureuse. Le galant plonge par trois fois et c’est au 3e plongeon qu’il se noie.
Nous avons là ce qu’il convient d’appeler un classique de la chanson traditionnelle, si classique pourrait-on dire, qu’il ne se limite pas au répertoire francophone. Capitale historique de la Bretagne – s’il faut le rappeler -, Nantes occupe bien évidemment une place de choix dans le répertoire bretonnant et, à l’instar du répertoire francophone, il n’est pas rare de la voir mentionnée par ses ponts. Mais ce que l’on sait peut-être moins, c’est qu’il existe un répertoire loin d’être négligeable sur le plan quantitatif que l’on trouve aussi bien en français qu’en breton. War bont an Naoned est l’exemple type de ces chansons que l’on pourrait qualifier de bilingue.
Nantes, dans le texte
Connue en français sous le titre Le plongeur noyé – nous en verrons une version francophone ultérieurement – la version bretonnante se distingue surtout par la longueur du texte, en général sensiblement supérieure. Héritage de la gwerz, le répertoire de langue bretonne aime en effet prendre le temps de raconter l’histoire, fournir de nombreux détails et anecdotes – quoique pas toujours utiles – et s’attarder sur des motifs qui ne sont pas forcément essentiel au récit. Ceci est particulièrement vrai pour les récits dramatiques or, précisément, cette chanson en est un, même si bien des versions sont interprétées sur des airs à danser.
Un bien précieux, quoique symbolique
Là encore, le pont est le théâtre d’un drame, comme dans La danseuse noyée mais il convient de préciser que, selon les versions, le drame ne se joue pas systématiquement sur un pont et pas plus systématiquement à Nantes. En fait, ce qui importe, c’est que la rencontre entre les deux personnages ait lieu au bord de l’eau, voire sur l’eau. D’autres versions du Plongeur noyé prennent pour cadre un lavoir, la rive d’une rivière ou le bord de la mer. Les versions au lavoir sont intéressantes car elles précisent les circonstances dans lesquelles la belle a perdu son bien, qu’il s’agisse de sa bague, ses clés ou toute autre chose jugée précieuse. D’ailleurs, il s’agit parfois ni plus ni moins que de son battoir.
Cela dit, quelque soit l’objet perdu, il convient de le considérer avant tout dans une dimension symbolique. Ce que la belle a perdu n’est pas en réalité un bien matériel, comme on peut s’en douter, mas bien une vertu que, pendant très longtemps, la société estimait comme étant la principale richesse des jeunes filles. Partant de là, la chanson prend un sens moralisateur plus limpide : ce qui est perdu ne peut être retrouvé et les tentatives de retrouver ce bien, aussi nombreuses et héroïques soient-elles, sont vaines et ne peuvent se solder que par un drame.
La quantité et la variété des formes
Le thème du plongeur noyé a beau s’inscrire dans le registre tragique, nombre de versions recueillies en pays bretonnant l’ont été sur des airs à danser, la plus connue étant probablement la forme à faire danser le rond dit « de Landéda ». Nous retrouvons donc cet apparent paradoxe dont le répertoire n’est pas avare et qui consiste, dit d’une manière un peu cavalière, à servir du drame sur des airs joyeux, voire festifs. La version d’André Drumel – écourtée par l’interprète – contredit toutefois l’observation qui précède !
Cette grande variété d’airs peut être l’occasion de faire d’amusantes comparaisons en s’appuyant sur la discographie ci-dessous pour observer le grand écart esthétique entre les versions des archives et les adaptations par des musiciens actuels venus d’horizons divers. Cette réalité est tout à fait représentative de la flexibilité du répertoire traditionnel qui offre de grands espaces de libertés créatrices aux musiciens d’aujourd’hui. Au reste, n’est-ce pas là l’une des caractéristiques du répertoire que l’on nomme traditionnel ?
En français ou en Breton (War bont An Naoned) on recense plus d’une cinquantaine d’occurrences dans les archives sonores de Dastum, auxquelles viennent s’ajouter les dizaines d’autres listées dans les catalogues Coirault, Laforte et Malrieu. A propos de cette version, on remarquera qu’elle affublée d’une formule de refrain en français, ce qui n’est pas un cas unique mais qui mérite d’être signalé.
Hugo Aribart
Dastum 44
2018
[forme]
Un deiz oan o pourmen, ô vive l’amour (bis)
War bont bras an Naoned, malura lonlire
War bont bras an Naoned, malura lonla
Me rañkontras ma dous, ô vive l’amour (bis)
War an hent o tonet, malura lonlire
War an hent o tonet, malura lonla
Etc.
[texte complet]
Un deiz oan o pourmen war bont bras an Naoned
Me rañkontras ma dous war an hent o tonet
Mouched geti ‘n hé dorn ha hi oe chagrinet
Me c'houlennas ganti, na perak e ouele
Ma gwalenn aour emezi, er mor bras 'zo kouezhet
Petra 'roit c’hwi plac’hig, me yelo d'hezapout
Hanter kant skoued emezi, 'roin deoc'h a galon vat
Hanter kant skoued plac’hig, na vo ket traoù aset
Bout m’eus daou gant ganin, ma kerzit de c’hlazdin
Kentañ ploñjon n’doa graet, ar sabl 'n doa touchet
[An eilvet ploñjon n’ doa graet, ar walenn 'n doa manket]
An drivet ploñjon n’doa graet, ar martolod beuzet.
[traduction]
Un jour que je me promenais sur le grand pont de Nantes
Je rencontrai ma douce venant sur le chemin
Son mouchoir à la main et chagrinée
Je lui demandai : pourquoi pleurez-vous ?
J’ai perdu mon anneau d’or, il est tombé dans la grande mer
Que donneriez-vous, jeune fille, si j’ai j’allai le chercher
Cinquante écus je vous donnerai de bon cœur
Cinquante écus, jeune fille, ce n’est pas assez
J’en ai deux cents avec moi / Allez me les chercher
Au premier plongeon qu’il a fait, il a touché le sable
[Au second plongeon qu’il a fait, il a manqué l’anneau
Au troisième plongeon qu’il a fait, le marin s’est noyé
En savoir plus
Bibliographie
Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1996-2006
Le plongeur noyé (Petites aventures au bord de l’eau - N° 01723) : 82 versions référencées
Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Presses de l’université de Laval, Québec, 1977-1987
Le plongeur noyé (I, B-12) : 94 versions référencées
Malrieu Patrick, La chanson populaire de tradition orale en langue Bretonne – Contribution à l’établissement d’un catalogue, Thèse, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1997, 3 volumes
War bont An Naoned (N° 0906) 45 versions (en Breton) référencées
Troadeg, Ifig, Carnets de route, Dastum Bro Dreger, Guingamp, 2005, page 207
Discographie
An Namnediz : Tonioù pobl Breizh, 1970
Tri Yann : Dix ans dix filles, Kelenn, 1973, plage N° 11
Ar Korrigan : Folk Celtique, 1974, plage N° 10
Gwalarn : Gwalarn, Velia, 1976, plage N° 6
Cabestan : Femmes de marins, Keltia Musique, 1997, plage N°5
Diwall : Dañsal ha Nijal, Sergent major company, 1997 plage N° 15
Int : Kentañ, Le ciré jaune, 1998, plage N° 4
E V : Nantes en chansons, Dastum, Dastum 44, 1998, plage 10
Anjel I.K. : Diank, Al.4.As, 2001, plage 1
Joëlle Planchon et Marie-Anne Labasque: Danses et mélodies du Léon, Dastum, 2000, plage N° 3
Tri Bleiz Die : Dalc’homp Mat, autoproduction, 2001, plage N° 12
Jacal : Voici venu…, Kerig productions, 2004, plage N° 1
André Drumel : A veg de veg, vol. 3, A Bouez-Penn, 2005, plage N° 10
Stéphane Trebaol : Pays Pagan, chants et dañs round, Dastum / Dastum Bro Leon, 2006, plage N° 18
André Drumel : André Drumel, chanteur du pays de Pontivy, Dastum / L’Epille, 2014, plage N° 1
Version sonore
Oona Hengoat le 24 août 2018, à Besné, d’après la version recueillie auprès d’André Drumel, de Guer (56)
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Rédaction d'article :
Hugo Aribart
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