
29 avril 1945 : les Nantaises votent pour la première fois
Pour la première fois lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945, les femmes peuvent exercer leurs droits civiques. Cet événement qui marque l’aboutissement d’un long combat des premières féministes est plutôt accueilli avec indifférence voire méfiance par les éditorialistes des journaux de l’époque. On sait assez peu de choses sur le profil des nouvelles élues ainsi que sur l’état d’esprit des électrices.
C’est l’Assemblée consultative provisoire d’Alger représentant les partis de la Résistance qui vote l’ordonnance du 21 avril 1944 précisant que « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Cette ordonnance qui met fin à l’inégalité politique des femmes et des hommes est l’aboutissement d’un combat datant de l’octroi du suffrage aux hommes (1792, 1848). Les femmes peuvent officiellement exercer leurs nouveaux droits civiques lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945.
À Nantes, le premier tour confirme la poussée de la gauche : la liste communiste menée par Jean Philippot arrive en tête, devant la liste de la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière) et la liste radicale d’André Morice. Au second tour, le 13 mai 1945, ces trois listes fusionnent dans une liste d'Union patriotique républicaine et antifasciste sous la direction de Jean Philippot.
À la Une des journaux, des conseils et des craintes
Dans la presse locale, l’événement ne laisse pas indifférent, mais il est loin d’être traité comme un fait historique. Il faut rappeler que les journaux de l’époque sont plutôt écrits et lus par les hommes et que de façon diffuse, ils se font le relais de la crainte exprimée par la majorité masculine de l’époque. D’abord une crainte comptable de voir le corps électoral féminin rivaliser numériquement le corps électoral masculin fragilisé par l’absence des prisonniers et déportés. Une crainte politique et morale ensuite : c’est surtout l’argument de la prétendue frivolité des femmes qui, faute d’avoir une conscience politique affirmée, n’écouteraient que leur entourage pour faire leur choix, qui a longtemps dominé les débats. À chaque camp son inquiétude, la peur de l’influence de l’Église catholique et du vote conservateur à gauche et la peur des conseils du « mari communiste » à droite.
C’est d’ailleurs la principale préoccupation des journaux de la presse locale : expliquer aux toutes nouvelles électrices, traitées comme ignorantes du processus électoral, la manière de procéder, du choix du bulletin jusqu’au passage dans l’isoloir. Ainsi, L’avenir de l’ouest précise, dans son édition du 28 avril 1945, que « 55 754 femmes et 56 118 hommes – l’élément masculin n’emporte là qu’une faible victoire – pourront voter dans l’un des 91 bureaux de vote installés à cet effet », avant de rappeler les règles d’éligibilité et du « panachage des listes », c’est-à-dire la possibilité de voter pour des candidats figurant sur des listes différentes.
La voix de l’Ouest, qui se présente quant à lui comme « chrétien, social et français » tout en précisant n’être « l’organe d’aucun parti », publie dans son édition du 28-29 avril 1945, un article en réponse aux nombreux courriers reçus au journal s’interrogeant sur les « règles pratiques du vote ». Organisé en trois parties (préparation du bulletin de vote ; le jour du vote ; quelques remarques utiles), il s’adresse directement aux électrices dans son titre, même si les conseils détaillant l’ensemble des étapes du vote sont conjugués au genre neutre masculin. Le ton, très technique, tend à dépolitiser le sens de l’événement et la victoire symbolique que représentent cette « première fois » dans l’isoloir pour les femmes.

« L’école des électrices », La voix de l’ouest, 28-29 avril 1945
Date du document : 29/04/1945
Dans l’éditorial du Populaire de l’ouest du 28-29 avril 1945, écrit par Gaston Veil, figure locale du parti radical, le ton est plus ambivalent. S’il souligne l’avancée en termes d’égalité pour les femmes, il appuie aussi sur les risques associés à un manque de pratique du vote : « La difficulté pour elles qui vont voter pour la première fois, sans avoir été pour la plupart initiées à la vie et aux affaires publiques, comme les hommes depuis 1789, c'est d'être exposées à aller au scrutin à l'aveuglette et de déposer au hasard leurs bulletins dans l'urne. Je comprends leur embarras devant toutes ces listes (...) Je terminerai en conseillant aux électrices qui ont des maris de demander à ceux-ci de plus amples renseignements car on ne saurait prendre trop de précautions afin de ne pas se tromper avant d'accomplir un acte aussi sérieux que celui que nous allons accomplir dimanche prochain pour la première fois depuis la guerre ».

« Éditorial aux électrices », Le populaire de l'ouest, Gaston Veil, 28-29 avril 1945
Date du document : 29/04/1945
D’une manière générale, la grande peur des éditorialistes de gauche de cette époque, c’est que le vote des femmes soit plus conservateur que celui des hommes. Au lendemain des résultats du premier tour, dans l’édito du 2 juin 1945 de La Tribune socialiste (hebdomadaire de la fédération socialiste (SFIO) de la Loire-inférieure), Alexandre Gosselin, figure locale de la SFIO, fait son mea culpa, sur un ton résolument paternaliste : « Femmes, mes camarades, le 29 avril 1945, vous êtes entrées dans la vie publique de votre pays. Votre éducation politique ayant été fort négligée, je n'étais pas sans inquiétude. Vous avez voté. Mes craintes étaient vaines. Je vous avais mal jugées, je m'en accuse et je m'en excuse. (...) J'ai confiance. La femme française qu'une fausse littérature a longtemps représentée comme vaine et légère est éminemment raisonnable. (...) Comprenez-vous maintenant combien est immense votre responsabilité ? En mesurez-vous bien toute l'étendue ? » Cette adresse renvoie au registre de la minorité politique souvent associée aux femmes à la Libération : inexpérimentées, elles sont comme dans l’incapacité de penser par elles-mêmes.

« Appel aux femmes », La Tribune socialiste, 2 juin 1945
Date du document : 02/06/1945
Au sein de la presse locale disponible aux services des Archives de Nantes, un seul article écrit par des femmes pour des femmes : « Les femmes radicales-socialistes aux Françaises » (édition du 29-29 avril du journal Le Populaire de l'ouest). Elles exposent des mesures spécifiquement à destination des femmes dans le programme des radicaux et détaillent « un programme social concernant la famille, la mère et l’enfant ». L’article poursuit : « Par le droit de vote que nous avons acquis, par notre position au foyer, nous sommes mieux placées que les hommes pour surveiller l’application et l’adoption des lois et en suggérer de nouvelles. »

« Les femmes radicales -socialistes aux Françaises », Le populaire de l’ouest, 28-29 avril 1945
Date du document : 29/04/1945
Des femmes élues… pour défendre la cause des femmes ?
Les femmes ont obtenu non seulement le droit de vote mais aussi le droit de se présenter. Des femmes sont aussi élues pour la première fois. Parmi elles, on compte une adjointe : Anne-Marie Le Pallier, « 9e Adjoint (sic.) Bureau d'hygiène et services annexes, Office de l'enfance ; Inspection sanitaire des écoles ; Surveillance dos enfants du premier âge ; État Civil », aux côtés de ses 11 homologues masculins.

Liste des représentants du conseil municipal sous Jean Philippot, maire de Nantes
Date du document : 1945
L’histoire a retenu que le jour de la photo officielle sur le perron de la mairie, elle n’était pas là et on ne dispose que d’une seule photo – appartenant au fonds privé de sa fille versée aux services des Archives de Nantes – la montrant avec son écharpe tricolore. Sur l’ensemble des 23 conseillers municipaux, on compte 5 conseillères municipales.

Portrait d’Anne-Marie Turbaux-Le Pallier
Date du document : 20e siècle
De ces premières élues nantaises, nous connaissons peu de choses, à l’exception de leur métier, et l’information est d’importance. En effet, nous venons de rappeler à quel point la presse souligne avec inquiétude l’inexpérience des femmes. Or si celles-ci n’ont jamais encore été appelées aux responsabilités politiques, elles sont investies dans des associations, des partis, ou des carrières professionnelles qui les ont socialisées aux prises de décision et aux responsabilités :
• Anne-Marie Le Pallier-Turbaux est institutrice publique,
• Odette Aubineau est pharmacienne,
• Louise Gravaud est institutrice retraitée,
• Émilie Le Jallé est présidente des garderies scolaires.
On ignore si Marie-Louise Laporte et Yvette Rollet avaient une activité professionnelle, mais elles font partie avec Odette Aubineau de l’Union des Femmes françaises, un mouvement de femmes lié au Parti communiste, qui occupe une place centrale à la Libération.
D’une manière générale, durant la mandature Jean Philippot (1945-1947), les femmes élues sont assignées à des problématiques du prendre soin et de la maternité. Leurs prises de parole au cours des séances du conseil municipal sont assez rares. Si le statut de doyenne donne à Louise Gravaud le privilège de présider l’assemblée ou d’en assurer le rôle de secrétariat, c’est Anne-Marie Le Pallier-Turbaux qui prend le plus souvent la parole pour défendre ses dossiers : l’installation de la pouponnière du don Suisse ; les demandes d’assistance médicale gratuite aux aliénés, à la famille, aux femmes en couche, aux veuves de guerre….
Cet article a été rédigé sur la base de la recherche socio-historique sur la construction d’une politique municipale d’égalité femmes-hommes (1945-2020) pilotée par la Ville de Nantes et réalisée par Plan 9.
Frédérique Letourneux, Elvire Bornand
2025
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Bibliographie
Chaperon Sylvie, Les années Beauvoir 1945-1970, Fayard, Paris, 2000
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Rédaction d'article :
Frédérique Letourneux, Elvire Bornand
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