Gymnase de Bonne Garde
En 1942, la construction d’une salle de gymnastique pour l’Association sportive et culturelle Bonne Garde est un pari qui « logiquement » s’exposait à une déconvenue… Mais ce fut finalement tout le contraire, puisque l’ouverture de cette salle a permis un véritable essor de la gymnastique au sein de l’association.
La construction du bâtiment : combines et systèmes D
La construction de cette salle de gymnastique était un véritable défi en temps de guerre. Nantes était alors occupée par les Allemands depuis juin 1940. Ce n’était pas parce que l’Église et les autorités locales étaient en « bons termes » que les occupants allemands, pour autant, modifiaient, au profit d’un patronage catholique, leur priorité. Celle-ci restait la construction du mur de l’Atlantique. Main-d’œuvre et matériaux, tout particulièrement sable et ciment, étaient réservés pour réaliser ce projet militaire. Les maraîchers, fort soutien du patronage, grâce à leur activité de pourvoyeurs de nourritures, avaient quelques privilèges dont ils savaient user. Ils étaient fournis en sable pour les tenues, et en donnaient parfois à Bonne Garde pour aider à la construction du gymnase.
Jean Renaud, 16 ans à l’époque, témoigne des difficultés d’approvisionnement en matériaux : « Le maçon n’avait pas toujours du ciment, lui aussi était limité dans ses approvisionnements. Il y avait un gars bien sympathique, un maraîcher qui s’appelait Vinet. Il venait à Bonne Garde et il disait "Vous voulez du ciment, je vais me débrouiller." Il en a eu et en plus cela ne nous a rien coûté. Il a piqué cela aux Allemands par des intermédiaires… et on a monté les parpaings comme cela. »
Et puis, il y avait des « escapades » aux alentours de l’aéroport à Château-Bougon où se situait des entrepôts de tous types de matériaux. Ces « escapades » au nez et à la barbe des Allemands, probablement avec des arrangements, faisaient le reste.
Certes le gros œuvre a été réalisé par l’entreprise Batard installée à Saint-Jacques, mais il avait été convenu que de nombreux bénévoles devaient contribuer aux travaux, ce qui fut le cas. Jean Renaud se souvient de la construction des fondations : « Le démarrage a été bien difficile, car l’on a construit en partie sur une ancienne mare qu’il a fallu combler, mais l’eau était toujours là, ce qui ne fut pas sans conséquence avec les remontées d’humidité… ». Il a également participé à l’installation du parquet : « On l’a fait nous-même. Tous les soirs en revenant du boulot, on s’arrêtait à la salle et on bossait. On posait les lattes, sauf à l’extrémité de la salle qui allait recevoir la barre fixe et la fosse de réception remplie de sable. »
Salle de gymnastique de Bonne Garde, en construction en 1942
Date du document : 1942
Une fois terminée, la salle occupait une surface de 300 mètres carrés, sans chauffage, sans douches, sans isolation… brut de décoffrage en quelle que sorte. Elle était constituée de murs en parpaings, charpente métallique, toiture en tuiles, parquet de chêne au sol, et une série de baies vitrées en partie haute. Sommaire, spartiate, mais c’était alors le paradis.
Pourquoi avoir construit un gymnase pour Bonne Garde ?
La logique aurait voulu que la création d’une salle de gym soit la réponse à un besoin lui-même lié à l’existence d’une pratique préexistante. Rien de tel.
La première activité gymnique dont on a retrouvé des traces dans les archives de l’association apparaît en 1903, dans les locaux modestes de la rue Mauvoisin : une ancienne huilerie où le sol était gorgé de ce liquide nauséabond. La pratique de la gymnastique était rendue possible grâce à un don d’agrès (vraisemblablement des barres parallèles) et la volonté de quelques adhérents. Mais ces quelques pratiquants n’ont pas eu l’envie de se conformer aux orientations du moniteur qui étaient empruntes, comme c’était le genre à l’époque, de la culture gymnique « version militaire » c’est-à-dire de « l’éducation physique préparant l’homme au combat ». L’activité cessa faute de combattant, si l’on peut s’exprimer ainsi. En 1904, l’association déménage sur son site actuel rue Frère Louis, mais cela ne changera pas la donne. Après la guerre, le sport fut représenté par le football et le basket au sein du patronage.
Il y a eu une seconde tentative d’implantation de la gymnastique en 1939 avec un moniteur, M. Kervel. Mais comme en 1903, la pratique proposée avait conservé cet accent militaire qui ne convainquit pas plus les jeunes d’alors que les jeunes du début du siècle. Benjamin Haury, âgé de 9 ans à l’époque, témoigne : « Avant la construction de la salle, l’activité physique se faisait dans les champs et terrains aux alentours, et dans la cour du patro [patronage] où un sautoir avec du sable avait été installé. À l’époque, il n’y avait pas d’agrès, c’était du saut, de la course, du saut à l’élastique… des trucs de ce genre, tout simple, c’était de l’éducation physique… ça n’a même pas duré 3 ans. »
Pour expliquer la raison de la construction de cette salle de gymnastique, il faut donc plonger dans l’ADN des patronages dès le 19e siècle. Dans cet ADN, les cercles d’étude avaient une place majeure. Ils se matérialisent par des réunions à visée spirituelle, mais aussi à consonance « éducation populaire ». Toutes sortes de sujets y étaient abordés, parfois avec des intervenants extérieurs. De plus, tout patronage se devait d’avoir en son sein une section gymnique, alliant ainsi la vitalité de l’esprit et du corps. C’est donc dans l’idée de ce que doit être un patronage, dans la représentation d’une gym synonyme d’ordre et de rigueur, que la décision de cette construction a été prise.
29 septembre 1941 : autorisation par l'Évêché de construire le gymnase de Bonne Garde
Date du document : 29 septembre 1941
De plus, à l’époque de la construction de la salle de gymnastique, l’association était alors sans le sou, sans épargne. Seule l’Église, la paroisse ou le diocèse plus probablement, dont le patronage dépendait, a pu avancer l’investissement. Il faut rappeler le contexte de l’époque. D’un point de vue financier, les frontières étaient très floues entre la paroisse, elle-même reliée au diocèse, le patronage et les écoles confessionnelles (maternelle et primaire).
Un pari risqué mais gagnant pour le développement sportif de l’association
Construire une salle de sport pendant la guerre, c’était déjà un pari risqué. Mais destiner celle-ci à une discipline sans base, sans antériorité au sein du patronage, c’était prendre le risque d’un échec. C’était sans compter sur l’impact de la guerre sur les équipements gymniques aux alentours. C’est en effet grâce au contexte politique et militaire de l’époque que cette initiative fut une réussite.
Une fois construite, cette salle permit de fixer un embryon de pratiquants, sur la base de ceux qui en 1939 avaient participé à la tentative de démarrage de la discipline. L’effectif, quelques jeunes et adultes, est fort modeste, mais existant. Il est attesté dans le compte-rendu de l’assemblée générale de 1943. Mais on était alors encore très loin de pouvoir dire qu’un club était né, et encore moins qu’une équipe était constituée. D’autant que ce démarrage fut interrompu en septembre 1943 par l’ordre d’évacuation des enfants suite aux bombardements.
C’est fin 1944 que les circonstances interviennent. Deux clubs déjà constitués de gymnastes aguerris, l’Avant-Garde de la Madeleine (Île de Nantes) et la Cambronnaise de Saint-Sébastien-sur-Loire, avaient suspendu la pratique de cette discipline à cause de la guerre. Faute de pouvoir pratiquer leur sport favori, et attirés par cette salle flambant neuve qui leur tendait les bras, de nombreux gymnastes de ces deux clubs migrèrent alors vers Bonne Garde. Parmi eux figuraient des entraîneurs compétents, emblématiques : Maurice Doussin, Paul Bureau, Louis Hardy, Alphonse Joubert. Jean Renaud se souvient de cette période : « Il n’y avait plus rien à la Cambronnaise, ils sont venus chez nous. C’était des gars qui étaient déjà dans le coup, certains étaient même diplômés (en gym). À la Madeleine, il y avait Auguste Levèque (dit Gugu), mais surtout Alphonse Joubert (dit p’ti Phonse) qui nous a amené dès le départ quatre ou cinq gars… sans compter qu’ils sont venus accompagnés d’agrès. »
Six mois après la fin de la guerre, grâce cette offre disponible de salle, la section de gymnastique de Bonne Garde fut constituée grâce à l’addition de l’embryon de Bonne Garde et les gymnastes de ces deux clubs limitrophes. En 2025, Bonne Garde fêtera les 80 ans de cette section.
L’usage actuel de la salle de gymnastique
Devenue trop petite, notamment avec la création de la gymnastique féminine en 1966, puis la création de disciplines associées (gym loisirs, gym forme, gym santé, initiation, gym pour les petits dès 2 ans, parkour street-workout, etc.), la salle n’est plus destinée à la pratique de la gym. Depuis 2005, date de l’inauguration d’un nouveau gymnase rue Goudy, elle est devenue polyvalente.
Intérieur du gymnase de Bonne Garde lors d’une compétition, au moment de la remise des récompenses
Date du document :
Configuration actuelle de la salle de 1942
Date du document : 1er quart 21e siècle
Équipée d’une scène et d’éclairages, elle permet d’accueillir des spectacles. Insonorisée, elle sert de salle d’entraînement et de répétition à l’orchestre de l’association, Flor carioca. Manifestations conviviales et assemblées de toutes natures complètent son usage.
Que reste-t-il du gymnase de 1942 aujourd’hui ? Étonnamment tout, y compris le parquet. Rien n’a été démoli, chacune de ces composantes ayant fait l’objet d’agrandissements, d’aménagements, de réparations. Les agrandissements successifs ont permis de multiplier le nombre d’agrès en accolant au gymnase de 1942 une seconde salle de 400 mètres carrés en 1976, et d’installer des douches en 1993. Un chauffage digne de ce nom a remplacé des brûleurs suspendus au plafond aussi inefficaces que dangereux : ils étaient reliés à des bonbonnes de gaz qui effraieraient aujourd’hui n’importe quelle commission de sécurité.
Salle de gymnastique actuelle de l’association Bonne Garde
Date du document : 2005
De quelques dizaines en 1942, ce sont aujourd’hui 1000 pratiquants qui chaque semaine fréquentent rue Gabriel Goudy un bâtiment de 3000 mètres carrés de surface développée (comprenant l’espace gymnique, les vestiaires, les locaux administratifs et l’étage avec tribunes de 481 places) contre 300 mètres carrés en 1942.
Michel Crétin
Association Bonne Garde
2023
En savoir plus
Bibliographie
Crétin Michel, Laigle Yves, Rousseau Éric, À Nantes, mutation d’un patronage en association de quartier : Bonne Garde, éd. Association Sportive et Culturelle Bonne Garde, mars 2021
Webographie
Site internet de l'association sportive et culturelle Bonne Garde
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Rédaction d'article :
Michel Crétin
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