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Folies


« Folie », de folia – feuille en latin – renvoie à l’idée de maisons entourées de verdure. Le terme signifie aussi, dès le 18e siècle, la propension des gens riches à séjourner alternativement en ville et à la campagne, dans de belles demeures.

L’agronome anglais Arthur Young y voit « l’un des meilleurs emprunts […] aux coutumes anglaises », grâce à « l’influence magique des écrits de Rousseau ». Il s’agit, nous dit-il, dans la France de la fin du siècle, d’une «mode » relativement nouvelle. Si ce type de maison n’est pas alors « inventé », la vogue de la nature ainsi que la volonté de bien vivre et de paraître rassemblent de plus en plus les personnes fortunées. L’essor commercial en favorise l’éclosion à la périphérie des grandes cités marchandes. Tel est le cas à Nantes où une vingtaine de propriétés de ce type sont réparties dans les campagnes, notamment au sud de la Loire, comme la Placelière à Château-Thébaud, propriété des Grou, ou Launay à Vertou, possession des Mosneron.

Ces folies nantaises suivent l’évolution des modes architecturales du 18e siècle : bâtisses assez richement décorées selon le style rocaille jusque vers 1770 puis de façon plus classique, avant que n’apparaisse le style néoclassique à la fin du siècle sur des constructions plus économes. Les matériaux employés viennent des régions voisines : granit pour les soubassements, schiste pour le gros oeuvre, tuffeau en façade et pour la décoration, ardoise pour les toitures – la tuile étant réservée aux toits des communs. Compris entre 1 200 mètres carrés et deux hectares, les jardins des « folies » traduisent les mêmes préoccupations et la même ouverture : ils accueillent les essences exotiques et notamment les magnolias, les camélias, les orangers et les chênes d’Amérique. Les intérieurs se rapprochent de ceux des hôtels particuliers urbains : on y utilise les « bois des isles » tels l’acajou, l’ébène, le santal rouge, le campêche de Martinique, le palissandre et le citrin aussi bien pour des meubles que pour les boiseries. Le mobilier courant est assez étoffé, car ces habitations servent aussi à recevoir. C’est, avec l’eau et les fontaines, l’un des signes de la sociabilité des propriétaires de folies. Porcelaines de la Compagnie des Indes, faïences nantaises, orfèvrerie, indiennes, tapisseries et même plats à barbe témoignent d’un goût à la fois éclectique et unitaire, et notamment de l’attrait pour les courbes et les volutes.

Ces folies illustrent la puissance et les goûts d’une caste marchande enrichie par le négoce colonial et négrier, à l’origine des transformations affectant la cité ligérienne : lotissement de l’île Feydeau et essor de la « Fosse », véritables forteresses d’un négoce qui s’intéresse au nouveau quartier de la place Graslin tout en profitant de la démolition des murs de la cité, depuis la porte Saint-Pierre, pour commencer à s’installer dans cet autre quartier « neuf ».

Le négoce n’est pas le seul à disposer d’une maison de campagne où passer l’été : c’est le cas de 96% des familles nobles disposant d’une fortune supérieure à 10 000 livres tournois. Mais désormais, c’est bien lui qui donne le ton. L’examen des patrimoines souligne l’ampleur d’un phénomène rayonnant au-delà du Pays nantais. Plus qu’une simple demeure de campagne (définition un peu restrictive), la folie devient parfois une immense propriété foncière. Les Stapleton, seigneurs des Dervallières, châtelains de Milly, de Pocé, de Villeneuve, de Maillard, de Sourches, de Marson et d’autres lieux en Anjou achètent ainsi, en 1747, pour 510 000 livres, le domaine de Trèves, près de Saumur. Au sein de chaque famille, le processus s’accélère au fur et à mesure de sa réussite sociale. Selon l’importance de sa fortune, de sa surface sociale et de ses ambitions, le négociant achète quelques arpents ou bien des seigneuries entières, signe d’un paraître à plusieurs vitesses. Et chaque rameau souhaite disposer de ses propres terres et maisons. Les Mosneron du Pin se distinguent ainsi des Mosneron de Launay, les Bourgault du Coudray de ceux de la Balinière.

Cela n’empêche pas le négoce de demeurer fidèle à ses valeurs. L’achat de terres, la rénovation ou la construction de demeures ne lui permettent pas seulement de sacrifier à un rite de reconnaissance sociale mais aussi de réaliser des investissements sûrs, susceptibles de préserver le capital acquis et d’assurer sa transmission. Mobilisables et mobilisées en cas de besoin, ces acquisitions constituent un refuge, une réponse à l’irrégularité des profits coloniaux et à la volonté de pérennité des familles. Il n’y a donc pas « détournement » de capitaux vers les folies et, en cas de concurrence avec l’armement, c’est ce dernier qui l’emporte. Ainsi, à la veille de la Révolution, alors que l’activité portuaire est en plein essor, l’évolution de la propriété foncière dans le comté montre que la terre retourne aux ruraux. Ajoutons que les folies disposent de fermes et que les négociants souhaitent que leurs terres soient rentables. La pratique du métayage à moitié fruits et la commercialisation du vin apportent des revenus. Ce qui n’exclut pas le sens des affaires : achetée pour 20 000 livres par Jean-Baptiste Grou en 1748, la terre de la Placelière en vaut 160 000 à sa mort. Jean Stapleton, l’acquéreur du domaine de Trèves aux princes de Condé, y fait quant à lui abattre trois ans après un château féodal ayant appartenu à Richelieu. Il nécessite en effet trop de réparations et d’entretien. Stapleton n’en conserve que le donjon, symbole de puissance. Notre homme aime se faire appeler Monseigneur, mais il n’entend pas dilapider sa fortune. C’est ainsi que les folies nantaises témoignent, aussi, du solide bon sens du négoce.

Olivier Grenouilleau
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droit d’auteurs réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Charriot-Guillet Marie-José, Les Folies nantaises, Coiffard, Nantes, 1995

Delaval Alain, « Quitter Nantes et vivre à la campagne, de l’introuvable promenade urbaine à la villa de rêve, 1755-1830 », Annales du Centre Ledoux, n°5, 2005

Gernoux Alfred, « Les Folies des planteurs et des négriers au pays nantais : les styles Louis XV et Louis XVI », Les annales de Nantes et du pays nantais, n°111, 1er trimestre 1959, p. 6-10

Guillet Noël, Guillet, Reine, Le Grand Blottereau : son château son écrin de verdure, Association Doulon-Histoire, Nantes, 2014

Ravilly Étienne, « Une "folie" du pays nantais : la Placelière, en Château-Thébaud », Les annales de Nantes et du pays nantais, n°149, 2e trimestre 1968, p. 17-18

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Olivier Grenouilleau

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