Chalutiers-usines soviétiques
En avril 1963, après une vive compétition internationale, la centrale d’achats soviétique SUDOIMPORT passe commande aux Ateliers et Chantiers de Nantes pour l’étude et l’exécution de trois chalutiers-conserveurs d’un type inédit dans le monde entier. Les chantiers navals nantais sont alors à la pointe de la construction navale mondiale !
Un contexte délicat pour la construction navale
Si les années 1950 sont présentées comme une période florissante pour la construction navale du fait du renouvellement de la flotte après la guerre, dès la fin de cette décennie, les nuages s’accumulent sur cette industrie cruciale de Nantes. En effet, les chantiers japonais viennent concurrencer les chantiers européens. De plus, la période est à l’agrandissement des gabarits moyens de la flotte mondiale, phénomène sur lequel les chantiers nantais ne peuvent pas suivre du fait de la contrainte de la largeur de la Loire. En 1959, avec le livre blanc de la Navale, le gouvernement joue sur l’aide allouée aux différents chantiers afin de bloquer la capacité de production. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement rédige une liste des chantiers pouvant y prétendre où ne figure que les plus grands chantiers. Les chantiers ne figurant plus sur cette liste doivent se cantonner à la construction de petits et moyens navires pour bénéficier de l’aide. C’est le cas des trois chantiers navals nantais. La fusion des ACB et des Ateliers et Chantiers de la Loire est alors inévitable et est réalisé en 1961 pour devenir les Ateliers et Chantiers de Nantes. Dubigeon, filiale des ACL, ne rejoindra la Prairie-au-duc qu’en 1969. Durant cette période, le nombre de chantiers navals en France est divisé par deux.
En mutualisant leurs points forts, les deux chantiers peuvent se positionner sur des appels d’offre à la pointe de la technologie. En effet, les cales des ex ACL sont plus grandes et mieux situées que les anciennes cales des ACB. Les ACB, quant à elles, apportent leur expertise et leurs brevets notamment dans le domaine de la propulsion.
Photographie aérienne de la Prairie-au-duc
Date du document : 1966
Des navires hors du commun
En 1963, l’URSS via sa centrale d’achats SUDOIMPORT lance un appel d’offre pour la réalisation de trois chalutiers-usines. Ces navires extrêmement complexes sont destinés à accomplir des missions de pêche de plusieurs mois tout en conditionnant le poisson. Les tout nouveaux Ateliers et Chantiers de Nantes remportent le marché. Les navires sont nommés en hommage à des militaires soviétiques tombés lors de la Seconde Guerre mondiale, deux femmes et un homme : Natalia Kovshova, Maria Polivanova et Anatolii Khaline.
À l’époque, ces navires d’une longueur totale de 128 mètres pour une largueur maximale de 19 mètres sont les plus grands chalutiers-usines du monde.
Ces navires hybrides restent à ce jour les plus grands chalutiers mis en service en URSS et en Russie post-soviétique.
Chalutier-usine soviétique   Maria Polivanova   lors de sa construction
Date du document : 1965
De la pêche…
Le navire est équipé d’un hélicoptère qui est chargé de repérer les bancs de poisson. Une fois les bancs repérés, ces chalutiers, que l’on qualifierait aujourd’hui de catastrophes écologiques, pêchent par l’arrière au moyen de chaluts de fond (filet « raclant » les fonds marins) et de chaluts pélagiques (filet en forme d’entonnoir et prenant au piège les poissons se déplaçant en bancs à une profondeur intermédiaire). Le relevage du chalut s’effectue selon une technique particulière mise au point et brevetée par les Ateliers et les Chantiers de Bretagne.
Il a fallu prévoir la possibilité de captures importantes de poissons et la possibilité de les conserver même sous climat tropical. Pour cela, les sardines, harengs ou maquereaux étaient dirigés vers des stockeurs d’eau réfrigérée en attendant d’être traités en conserverie. Le navire possédait un décongélateur capable de traiter 900 kg de poissons par heure.
Ouvriers du chalutier-conserveur   Maria Polivanova  
Date du document : 1966
…à la boite de conserve !
L’usine de fabrication de conserves s’étend sur 1 200 m² et permet de produire 100 000 boîtes par jour. Le navire est pourvu d’installations nécessaires à la production de poisson congelé, de farine et d’huile de poisson. C’est la première fois que se trouvent réunis à cette échelle des outils de production aussi multitâches. La mise en conserve est effectuée manuellement par des ouvrières.
La production sur douze heures est de 50 000 boîtes de conserve de sardines ou maquereaux à l’huile ou 100 000 boîtes de harengs ou maquereaux au naturel. En 24 heures, le navire peut aussi fabriquer en parallèle des conserves, quatre tonnes de farine de poisson et deux tonnes d’huile de poisson.
Un laboratoire d’analyse est construit à bord afin de contrôler la production au fur et à mesure de la pêche.
Boîte de conserve fabriquée sur un chalutier soviétique
Date du document : 20e siècle
Une ville flottante
Deux cent trente-deux personnes naviguent à bord du Natalia Kovshova dont 166 ouvriers et ouvrières affectés au travail du poisson.
Le capitaine et les officiers disposent de suites puis il faut se satisfaire des quatre-vingt-trois cabines qui vont de la cabine individuelle pour l’équipage, aux cabines à quatre personnes pour les ouvrières.
Le navire est équipé d’un salon du capitaine, un fumoir pour les officiers, une salle de 110 places assises pouvant servir de cinéma, un coiffeur, une bibliothèque, un dispensaire. Il faut dire aussi que les périodes en mer peuvent durer jusqu’à 6 mois sans revenir à terre.
Selon des anciens des chantiers, ces navires étaient très équipés en moyens électroniques et radio, de quoi entretenir l’idée selon laquelle le navire pouvait aussi faire office de navire-espion au gré de ses navigations.
Ouvrières du chalutier-conserveur   Maria Polivanova   préparant le poisson
Date du document : 1966
Les ACN, une entreprise innovante dans différents domaines
Face à la concurrence internationale, les chantiers nantais se distinguent pour plusieurs raisons.
Suite à la commande de quatre cargos frigorifiques par un armateur israélien en 1962, la maîtrise du froid, essentielle pour la conservation du poisson, est effective.
Au début des années 1960, une division de l’entreprise est chargée du développement et de la commercialisation d’usines automatisées clé en main. Argument de poids lors de l’appel d’offre !
Un mode de propulsion diesel-éléctrique présente de nombreux avantages du fait du très grand besoin en électricité nécessaire au fonctionnement de l’usine de conserves et aux frigos. À cela s’ajoute une hélice à pas variable inventée au ACB proposant un très bon rendement et rendant le navire très maniable.
Signe de la satisfaction du client, suite à la fabrication des chalutiers-usines, SUDOIMPORT commandera 3 cargos frigorifiques destinés à ravitailler les chalutiers-usines au ACN et commandera des éléments mécaniques dont les hélices et les moteurs pour 9 cargos frigorifiques construits dans d’autres chantiers français.
Ces chalutiers-usines ont laissé un grand souvenir aux ouvriers des chantiers ayant travaillé dessus du fait de leur complexité mais aussi de la portée symbolique qu’ils représentent. En 1964, les ACN rayonne sur la construction navale mondiale !
Elise Nicolle
Maison des Hommes et des Techniques
2020
Album « Chalutiers-usines : ouvriers et ouvrières au travail »
En savoir-plus
Bibliographie
Archives AHCNN (Fonds ACB)
Esperandieu Matthias, L’histoire des chalutiers usines géants soviétiques, site internet Mer et Marine, 20 mars 2017.
Rochcongar Yves, Des navires et des hommes : de Nantes à Saint-Nazaire, deux mille ans d’histoire de la navale, Maison des hommes et des techniques, Nantes, 1999
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Rédaction d'article :
Elise Nicolle
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