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Gilbert Declercq (1919 – 2004) Pollution de l'Erdre

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Fosse


Tout à la fois quai, promenade, grand axe urbain, façade de ville et quartier, la Fosse évoque la grande aventure maritime d’une ville s’identifiant à son port. Ce nom tirerait son origine d’une « fosse » naturelle créée sur la rive nord du fleuve par les affouillements des courants. L’histoire de ce quai s’inscrit dans celle d’un port qui n’a cessé de dériver d’amont en aval, sous les effets conjoints de l’ensablement du fleuve, de l’accroissement du trafic et de l’augmentation du tonnage des navires.

Création et extension du quai

À l’articulation entre le fluvial et le maritime, les ponts de Nantes marquent une rupture de charge. L’insuffisance des installations portuaires entraîne, en 1516, la construction d’un quai sur le domaine de la Fosse, en aval du Port-au-Vin (actuelle place du Commerce), ce qui stimule l’expansion urbaine vers l’ouest. 

En 1622, la croissance du trafic maritime génère la réalisation d’un nouveau quai d’environ 247 mètres de long, prolongé de 390 mètres en 1624. En 1643 une première Bourse de commerce est construite au Port- au-Vin, centre du négoce nantais. À la fin du 17e siècle le Sanitat, ancien hôpital pour pestiférés (1572) devenu Hôpital général, fait prolonger le quai depuis le couvent des capucins jusqu’à son propre porche d’accès. 

Le quai, axe commercial de Nantes

Au 18e siècle, derrière les façades à mascarons et ferronneries galbées qui affichent la réussite sociale des négociants enrichis par la traite des Noirs, s’organise une distribution verticale des fonctions pour des usages locatifs ou réservés aux propriétaires : entrepôts, boutiques et remises au rez-de-chaussée, bureaux à l’entresol et vastes appartements aux étages supérieurs, le dernier offrant des logements exigus au petit peuple du quartier. Sous l’impulsion du maire Gérard Mellier plusieurs chantiers sont engagés, tels la reconstruction de la Bourse, l’alignement des maisons de la Fosse en 1724, et la construction, en 1726, d’un quai au débouché de la Chézine, désormais busée jusqu’en Loire. Les espaces remblayés accueillent maisons et magasins dont ceux de la Compagnie des Indes. Les chantiers navals, situés à la Fosse depuis le 17e siècle après avoir occupé le Port-au-Vin et l’île Gloriette, y sont transférés en 1738. La progression se poursuit vers l’ouest : quai d’Aiguillon (1761-1763), nouvelles salorges (1778) et chantiers navals de Chantenay (vers 1780). À l’est, les communications entre la Fosse, la vieille ville et l’île Feydeau sont facilitées par une ligne de quais que l’arasement des remparts a rendue possible. La construction de la nouvelle Bourse, différée par la Révolution, n’est achevée qu’en 1815. 

La ville coupée de son port

Au 19e siècle, la Fosse devient le baromètre des périodes de marasme et de rebond que traverse une économie nantaise revenue à la traite avant de se convertir à l’industrie à partir des années 1830. La morphologie du site portuaire – faible profondeur du fleuve et manque d’espace disponible à l’arrière des quais – pèse sur l’activité maritime. Un avant-port est créé à Saint-Nazaire. En 1853, pour éviter une ligne directe Tours - Saint-Nazaire, la voie ferrée est installée sur les quais nantais : elle sépare le port de la ville, ajoute aux encombrements et met à mal la promenade admirée de tous les visiteurs. Les convois desservent la gare de voyageurs de la Bourse et la gare maritime des Salorges. Cales et quais inclinés étant périodiquement immergés, 700 mètres de quais verticaux sont réalisés, entre 1873 et 1881. De précieux espaces sont ainsi gagnés sur le fleuve.

Plume et aquarelle,  <i>Le quai de la Fosse</i> 

Plume et aquarelle,  Le quai de la Fosse 

Date du document : vers 1830

La dérive du port vers l'aval

Au début du 20e siècle, les travaux d’approfondissement de la Loire déstabilisent quais et ponts. En 1926 débutent les comblements. Dès 1936, la partie est du quai est séparée de la Loire par un immense terre-plein dont seul le nom de «Petite Hollande » évoque encore le passé portuaire. Ce traumatisme est le premier d’une longue série : bombardements de septembre 1943 ; démontage du pont transbordeur, emblème du port, en 1958 ; fermeture des chantiers navals de la Prairie-au-Duc en 1987. C’en est fini des lancements de navires auxquels assistaient les Nantais, massés sur le quai de la Fosse.

Panorama des quais de la Fosse

Panorama des quais de la Fosse

Date du document : 1902

Ce dernier n’accueille plus guère que le Belem faisant escale, non loin du Maillé-Brézé, navire de guerre devenu musée. Seule la présence, quai Ernest Renaud, du siège du Grand port maritime Nantes – Saint-Nazaire rappelle encore aujourd’hui l’existence d’une activité portuaire qui s’est déplacée vers l’aval, tandis que l’ancienne capitainerie de la Fosse est reconvertie en Maison de la mer. Depuis 1955, le train emprunte un tunnel. Le tramway – supprimé en 1958 – retrouve le quai en 1985 et renoue avec un itinéraire déjà emprunté par les omnibus hippomobiles en 1826, confirmant ainsi la permanence de ce grand axe urbain est-ouest. Depuis 2005, des navettes fluviales, héritières des roquios, relient la station « Gare maritime » à Trentemoult.

 <i>La Fosse</i> 

 La Fosse 

Date du document : 1923

Invitation au voyage et mémoire maritime

Le quai de la Fosse a nourri toute une mythologie. La trouble fascination exercée par les ruelles du quartier réservé et l’irrésistible invitation au voyage suscitée par la fébrile activité portuaire ont inspiré les œuvres de Marc Elder, Gilbert Dupé, Robert Le Ricolais… Aire de brassage des marchandises et des hommes où se côtoyaient négociants de toutes origines et équipages de tous horizons, gens de mer et gens de rivière, familiers des lieux et étrangers de passage, le quai de la Fosse a forgé l’image d’une ville ouverte sur le monde. 

Déserté par les navires, il conserve une forte charge identitaire pour une cité façonnée par son passé maritime. Un passé dont la mémoire a longtemps oscillé entre célébration de l’« âge d’or » nantais et retour du refoulé de la traite, nostalgie d’un port intégré à l’espace urbain et constat désenchanté des dommages paradoxalement infligés à la ville-port pour le conserver. D’où l’absence, sur le quai lui-même, de tout rappel de son passé négrier jusqu’à l’inauguration, en 2012, d’un Mémorial de l’abolition de l’esclavage. D’où l’état d’abandon qui est encore, en partie, le sien et qui a valeur de symptôme, face à une Île de Nantes en pleine mutation où s’affiche la volonté de « renouer avec le fleuve »…

André Péron
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2013
(droits d'auteur réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Archives de Nantes, Du quai de la Fosse vers Mellinet-Canclaux, Ville de Nantes, Nantes, 2016 (coll. Quartiers à vos mémoires)

Bodinier Jean-Louis, Le Quai de la Fosse : ombres et lumières, Musée du Château des ducs de Bretagne, Nantes, 2007

Dosseul Sandrine, « Le quartier de la Fosse à Nantes aux 16e et 17e siècles », Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, n°76, 1998, p. 215-230

Orceau Robert, « Création et transformation du quai de la Fosse », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire-Atlantique, n°105, 1966, p. 53-64

Le quai de la Fosse, Apogée, Rennes, 1977

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Rédaction d'article :

André Péron

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