
Confluence de l’Erdre et de la Loire (2/2)
Il semble que jusqu’au premier tiers du 18e siècle, la gestion de la confluence ait été limitée à la surveillance des denrées transportées par les gabarres et au prélèvement des taxes. Au 19e siècle, la construction du canal de Nantes à Brest facilitera la navigation fluviale tout en protégeant les riverains des crues. Au 20e siècle, le comblement de la Loire et le détournement de l’Erdre entraîneront le déplacement de la confluence.
Le rateau de l’embouchure de l’Erdre
En 1492, deux petites tours sont construites à l’embouchure de l’Erdre, la tour Sainte-Catherine et la tour du Rateau. Entre ces tours, une structure voûtée est lancée. Elle soutient un « rateau ». Ce « rateau » est un ouvrage composé de « bois de cherpentes et de grillons de fer » qui « ferme l'ouverture de la voulte qui est entre les deux tours ». Au milieu de cet ouvrage, une grande grille de fer et de bois, mesurant environ vingt pieds (6 mètres) de large et de haut est installée. Elle est actionnée au moyen de trois câbles enroulés « à force d'hommes » sur le « tour qui est sur la muraille de la ville » pour laisser entrer et sortir les bateaux. Il contrôle le passage entre le fleuve et la rivière : les gabarres de Loire pouvaient passer le rateau pour déposer leurs denrées sur les cales installées à proximité comme le « quai de l’Erdre », proche de Sainte-Catherine.

Profil ou nouvelle description de la ville épiscopale et port de mer de Nantes en Bretagne
Date du document :
Ce rateau est fréquemment endommagé par les crues et les réparations sont régulières. Ainsi, en 1496, Jamet Bérault, « sa gabare et seix hommes » sont rémunérés par la ville « pour deffandre le rateau d'Erdre que lesdites eaux le rompoint et amarer les estapes du port Brient-Maillart ».
En 1744, la transformation du front de Loire et la construction des quais Brancas et Tremperie fait disparaître les tours et le rateau, remplacés par un pont à une seule arche batelière. Ce pont accroît la perméabilité entre les deux cours d’eau et faciliter l’entrée des gabarres de Loire.

Profil sur la largeur du pont à construire sur la rivière de l'Erdre
Date du document : sans date
L’aménagement de l’Erdre, un enjeu pour la navigation et la sécurité
Ces changements renforcent le trafic entre l’Erdre et la Loire. En 1791, Mathurin Crucy, architecte-voyer, projette l’aménagement de quais continus et de nouvelles cales parallèles à la rivière pour remplacer les petites cales perpendiculaires qui y existaient depuis le Moyen Age.

Plan de la rivière de l'Erdre et des quais projetés
Date du document :
Celles situées à l’embouchure seront bâtie au début du 19e siècle.

Plan des environs de l'embouchure de l'Erdre
Date du document :
Pour autant, l’Erdre n’est toujours pas navigable malgré des études lancées en 1730 pour créer le canal de Nantes à Brest : ce n’est qu’en 1753 qu’un projet de prolongation de la navigation sur l’Erdre est lancé, sans doute inspiré par le projet d’aménagement de la Loire. Pour transformer la rivière, la Ville rachète, en 1753, les moulins de Barbin, avec leurs logements et leurs pêcheries à l’évêque de Nantes ; puis, en 1757, elle achète aux Chartreux les droits de passage et de pêche que ceux-ci possèdent dans la rivière entre la chaussée de Barbin et les moulins des halles ; droits qui leur avaient été donnés par la duchesse de Bretagne le 26 décembre 1498.
Malgré les travaux, le passage entre la chaussée Barbin et la Loire est toujours empêché par la topographie qui oblige à installer une écluse au niveau de la chaussée de Barbin. En 1769, Gobert de « l’académie royale de Toulouse » propose un projet d’écluse avec une passe à bateaux adaptable selon la longueur de la barge.

Projet d’écluse à construire sur la rivière de l'Erdre
Date du document : 1769
Mais ce n’est qu’en 1823 que l’ouverture du canal de Nantes à Brest va permettre d’installer une écluse au niveau des halles. Celle-ci se compose d’un déversoir fixe de 8 mètres de large et d’une passe à bateau. Sa chute d’eau atteint 2,30 mètres. En 1912, un barrage mobile remplace le déversoir fixe pour permettre à l’eau de s’écouler plus rapidement en période de crue et protéger ainsi les riverains.

Première écluse du canal de Nantes à Brest
Date du document : vers 1912
Le déplacement de la confluence
En 1926, des dragages intempestifs dans le bras de Pirmil ont déséquilibré la Loire. Dans le bras de la Bourse et celui de l’Hôpital, l’étiage connaît une baisse drastique qui met en péril les constructions riveraines. L’État, seul gestionnaire du fleuve et de ses berges, décide unilatéralement de combler les bras nord de la Loire afin de sauver les constructions et ce comblement des bras nord de la Loire va modifier radicalement la jonction entre l’Erdre et le fleuve puisque l’État ne peut engager ses travaux que si l’Erdre ne se jette plus dans le bras de la Bourse.

Carte des comblements de la Loire et de l'Erdre
Date du document : 2013
Dans un premier temps, les ingénieurs du service maritime des Ponts-et Chaussées envisagent de faire déboucher l’Erdre dans le bras de l’Hôpital en traversant l’île Feydeau ou en créant un chenal dans le bras de la Bourse mais la décision de combler également le bras de l’Hôpital les obligent à trouver une autre solution. Ils reprennent donc à leur compte une idée proposée par deux fois au conseil municipal durant le 19e siècle pour créer un grand bassin sur la place « Duchesse Anne » et pour répondre à « l’infection des eaux de l’Erdre et les exhalaisons méphytiques en plein centre de Nantes » : dévier l’Erdre en tunnel sous les cours Saint-Pierre et Saint-André jusqu’au pont de la Rotonde et créer un nouveau point de confluence entre l’Erdre et La Loire, régulé par un barrage.

Entrée du canal de l'Erdre sous les cours, quai Ceineray
Date du document : 01-10-1935
Pour la ville, ce projet a l’avantage de supprimer un obstacle à la circulation dans le centre-ville, de libérer 4 hectares pour la création d’une artère centrale (actuelle boulevard des 50 Otages), et de créer un aqueduc collecteur d’égouts enterré sur environ 2 kilomètres entre le quai Ceineray et la Loire. Pour autant, l’architecte de la ville Etienne Coutan demande aux Ponts et Chaussées d’améliorer le projet en supprimant l’écluse du quai Ceineray, en établissant d’un barrage éclusé au lieu d’un barrage simple au canal Saint-Félix, en créant une chaussée 21 mètres de large (15 mètres de chaussée + 6 mètres de trottoirs) au pied du monument aux morts et d’une largeur totale, en remaniant les murs de quai et les cales du quai Ceineray de manière à créer un bassin en amont du souterrain. Etienne Coutan souhaitait également que le nouveau canal puisse circuler à ciel ouvert dans le cours Saint-Pierre mais le tracé, trop proche de la cathédrale, mettait en péril la structure de l’édifice.
Le détournement de l’Erdre
En 1926, le bras nord commence à être comblé depuis la Bourse jusqu’à l’embouchure de l’Erdre dont le flot s’écoule alors à rebours, remontant derrière l’île Feydeau pour rejoindre le bras de l’hôpital.

Comblements de la Loire
Date du document : 1926
Déclaré d’utilité publique le 5 mai 1927, le détournement de l’Erdre porté par l’ingénieur Mabillaud est définitivement validé en 1930 et les travaux sont lancés, dans la foulée, en avril 1930. Estimé à 25 millions de francs, le détournement de l’Erdre est inclus de justesse dans le plan Dawes, plan de compensation en nature par les entreprises allemandes des dégâts subis par la France pendant la Grande Guerre. L’entreprise Carl Brandt de Dusseldorf va donc réaliser « gratuitement » la percée depuis l’Erdre jusqu’à l’extrémité du cours Saint-Pierre. Le reste du chantier, financé par l’État, est confié aux entreprises nantaises Etienne Duclos – qui réalise la percée depuis la place de la Duchesse Anne jusqu’à la tête aval – et François Bernard qui effectue les travaux des quais et du barrage du bassin Saint-Félix. La ville finance l’aménagement et la réfection des nouveaux espaces de circulation.
Le canal souterrain réalisé mesure de 740 mètres de long et 7,70 mètres de largeur. Il est équipé d’une banquette de halage de 2,30 mètres et d’un tracteur de halage. Son fond est abaissé de 0,50 centimètres par rapport à l’étiage avait d’autoriser la navigation toute l’année.
Cette réalisation a nécessité l’extraction de 123 000m3 de rocher ainsi que le déplacement des tuyaux d’aspiration de la Compagnie des eaux qui étaient alors situés à Richebourg. Elle a rencontré de nombreux points de difficultés comme le passage sous le monument aux morts ou sous la chaussée du quai de Richebourg avec ses lignes de tramway et sa voie ferrée. Elle a nécessité d’appliquer un revêtement à peu près continu sur la cuvette du canal Saint-Félix après la découverte de failles argileuses dans le rocher, l’emploi de caissons à air comprimé pour barrer les venues d’eau importantes lors du percement sous le quai de Richebourg et la construction d’un barrage éclusé en plein fleuve.

Coupe schématique du tunnel de dérivation de l'Erdre à la tête amont
Date du document :

Coupe schématique du tunnel de dérivation de l'Erdre sous la place de la Duchesse Anne
Date du document :
Ouvert en 1933, le détournement de l’Erdre comme l’intégralité des opérations de comblement sont mal vécus par les Nantais.

Lettre adressée au directeur des ports maritimes
Date du document :
Au terme de ces travaux, les eaux qui circulaient dans les bras nord et qui constituaient le onzième du débit de la Loire sont réinjectées dans le bras sud et l’embouchure de l’Erdre se substitue à un des bras ligériens amenant à son paroxysme la transformation du fleuve : un régime hydrographique pensé et créé par l’homme, une nature indélébilement bouleversée.
Julie Aycard, Julien Huon
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Julie Aycard, Julien Huon
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