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Annie Nouaille (1907 – 1959)


Directrice du Katorza de 1932 à 1959, Annie Nouaille a empêché ce mythique cinéma nantais de tomber aux mains des collaborateurs, avant d’en impulser la reconstruction après sa destruction lors des bombardements de 1943.

Annie Nouaille est née Gabrielle Eugénie Joséphine Geneviève Nouaille le 3 mars 1907 au domicile de ses parents situé boulevard Babin-Chevaye, sur l'actuelle île de Nantes. Ses premières années sont marquées par plusieurs drames. Sa mère meurt seulement neuf jours après sa naissance. Gabrielle a également un frère, qui décède alors qu'elle n'a que 9 ans.

Débuts au Katorza

Cependant, Gabrielle est très autonome et déterminée à vivre sa vie pleinement. En 1926, à seulement 19 ans, elle est embauchée par Salomon et Julia Katorza pour travailler au sein du cinéma qui porte leur nom à Nantes. Elle devient le bras droit de Marcel Heitzeberg, qui vient lui aussi de rejoindre le couple en tant qu'associé et directeur. Le Katorza a été inauguré quelques années auparavant, le 4 juin 1920, dans le centre-ville, au 3, rue Corneille, et s'est très vite construit une excellente réputation.

Gabrielle Nouaille

Gabrielle Nouaille

Date du document : 1926

Le 10 septembre 1928, Salomon Katorza décède à l'âge de 65 ans. Julia, veuve de Salomon, s'associe à Adrien Gouguenheim pour assurer la continuité financière du cinéma. Puis le 30 mai 1932, Marcel Heitzeberg est victime d'un accident de la route alors qu'il conduisait aux côtés de Gabrielle, devenue entre temps sa compagne et qui n'est que légèrement blessée. S'ils n'eurent pas le temps de se marier, Gabrielle avait déjà été désignée exécutrice testamentaire par Marcel, qui en avait fait sa seule héritière avec sa propre mère. Et pour le milieu du cinéma comme pour les fidèles clients du Katorza, Gabrielle restera longtemps Madame Heitzeberg.

Directrice à seulement 25 ans

C'est ainsi qu'à tout juste 25 ans, la jeune femme est nommée directrice du Katorza. Gabrielle Nouaille devient aussi propriétaire de l'Excelsior, un cinéma rennais que dirigeait également Marcel Heitzeberg. Face à son principal concurrent, l'Apollo, Gabrielle se rapproche de Ferdinand et Maria Pineau, un couple de passionnés du septième art qui a ouvert l'Olympia dans la rue Franklin, non loin du Katorza, en 1931.

Très rapidement, Gabrielle et Adrien Gouguenheim décident de lancer des travaux de modernisation afin de porter la capacité d'accueil de 800 à 1300 places et d'améliorer la sécurité en augmentant le nombre d'issues de secours. Ils obtiennent également une licence les autorisant à vendre des boissons alcoolisées au bar du cinéma. Le Katorza rouvre ses portes en février 1934.

Empêcher les collaborateurs de s’emparer du cinéma

En 1938, Julia Katorza prend sa retraite et vend ses parts à Adrien Gouguenheim. Mais la guerre a éclate et l'antisémitisme devient doctrine de l'État collaborationniste. L'armée allemande envahit Nantes le 19 juin 1940 et dès le 3 octobre suivant, il est interdit aux Juifs d'exercer de nombreux métiers, dont ceux liés au cinéma. Juif non-pratiquant, Adrien est contraint de changer de nom et de rejoindre la zone libre. Pour éviter que le Katorza ne tombe aux mains des collaborateurs, une seule solution s'impose : Gabrielle Nouaille, qui obtient un « certificat de non-appartenance à la race juive », doit racheter le cinéma à son ami. Si cette vente devait être provisoire, Gabrielle apprendra au sortir de la guerre qu'Adrien Gouguenheim a été arrêté à Limoges, puis déporté et gazé Auschwitz-Birkenau à l'automne 1943, après avoir sauvé ses enfants.

Pendant l'Occupation, malgré la censure et la propagande, le Katorza continue de projeter des films, surtout français, qui attirent un très large public. Mais le 16 septembre 1943, vers 16 heures, en pleine projection de Monsieur La Souris, une réalisation de Georges Lacombe, l'aviation américaine pilonne Nantes et deux bombes explosent à proximité du Katorza, causant d'innombrables dégâts à la salle de cinéma de la rue Corneille. Le 23 septembre, les Alliés lâchent de nouveau leurs bombes sur la ville. Le bilan de ces deux vagues de bombardements s'élève à 1463 morts, plus de 2500 blessés et environ 10 000 personnes se retrouvent sans-abri. L'appartement de Gabrielle Nouaille est d'ailleurs complètement détruit. Alors que la ville de Nantes est presque intégralement évacuée, Gabrielle Nouaille met à l'abri ce qui peut encore être sauvé, dont une partie du matériel de projection, et trouve refuge en Vendée, dans la demeure de son ami Georges Clémenceau, petit-fils du célèbre homme politique du même nom. En attendant la fin des hostilités, elle continue de gérer à distance le cinéma rennais l'Excelsior tout en rêvant de voir le Katorza de nouveau debout. Cela prendra huit longues années. 

Annie Nouaille

Annie Nouaille

Date du document : années 1940-1950

La reconstruction du Katorza

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Gabrielle Nouaille, qui se fait désormais prénommer Annie, entame rapidement les démarches pour reconstruire le Katorza. Une loi votée en 1946 ouvre le droit à la réparation intégrale pour tous les dommages de guerre. Grâce à cette nouvelle disposition législative, le Katorza va pouvoir se relever de cette période noire. Débutés en août 1949, les travaux de réhabilitation sont dirigés par l'architecte parisien Édouard Lardillier, déjà réputé pour son savoir-faire en matière de salles de cinéma. Il devient l'associé d'Annie Nouaille. Près de deux ans après, le 30 avril 1951, la salle de cinéma, dont la capacité atteint désormais les 1400 places, est enfin inaugurée lors d'une soirée de gala dont les bénéfices sont reversés à la Maison de l'enfance du Grand Blottereau, qui vient en aide aux enfants que la guerre a laissé orphelins. De nombreux invités, dont Henry Orrion, maire de Nantes, et les médias se pressent à la réouverture et se montrent très enthousiastes : l'architecture, le décor et le confort de la salle sont unanimement salués.

Annie Nouaille lors de la réouverture du Katorza

Annie Nouaille lors de la réouverture du Katorza

Date du document : 30-04-1951

Annie Nouaille a donc réussi le pari de faire renaître de ses cendres le Katorza, notamment en mettant en place une programmation de qualité et en obtenant des avant-premières, parfois mondiales comme pour le film Victor de Claude Heymann, pour lequel elle reçoit Jean Gabin. Financièrement, les recettes sont également au beau fixe, grâce aux films français, mais aussi, peu à peu, aux productions américaines dont les quotas de diffusion sont en augmentation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1952, Annie Nouaille a notamment une idée originale pour promouvoir Un tramway nommé désir, adaptation par Elia Kazan de la pièce de théâtre du même nom de Tennessee Williams. Elle en fait la publicité sur les tramways de la ville, logo du Katorza inclus.

Les contrats d’exclusivité avec les grands producteurs

En 1953, le Katorza devient la première salle de cinéma de province à utiliser la technologie CinemaScope. Annie Nouaille en profite pour faire le choix ambitieux de signer des contrats d'exclusivité pour la sortie de films en format CinemaScope avec Warner Bros et MGM, deux des principaux studios hollywoodiens. Elle fait même casser la salle qu'elle vient à peine d'inaugurer pour y installer cette technologie. Dans un premier temps, les risques pris par Annie Nouaille continuent d'être payants, mais peu à peu, d'autres salles de cinéma ouvrent et toutes se convertissent aux dernières technologies. De surcroît, la télévision conquiert de plus en plus de foyers et les cinémas connaissent une baisse de fréquentation. Pour faire face à ce climat de moins en moins favorable, Annie Nouaille signe un contrat de dix ans avec Paramount-Océanic, une société de production, de distribution et de programmation de films, afin de parvenir plus facilement et plus rapidement à diffuser les films les plus en vue. Mais sa santé la rattrape et Annie Nouaille décède le 6 décembre 1959 d'un cancer du sein, dans le 16e arrondissement de Paris, peu de temps après avoir programmé un dernier film, La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock.

Annie Nouaille

Annie Nouaille

Date du document : avant 1959

Elle lègue le Katorza à Robert, Jean-Serge et Claude, les trois fils de ses amis Ferdinand et Maria Pineau, ainsi qu'à sa filleule Martine, la fille de Robert. Le 11 décembre, lors de son inhumation au cimetière de Vertou, le milieu du cinéma, français comme étranger, lui rend un dernier hommage en déposant de nombreuses gerbes de fleurs.

Cécile Gommelet
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes/Nantes Métropole
2021

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En savoir plus

Bibliographie

Grimault, Caroline, Maesen, Marc, Pajot, Stéphane, La folle histoire du Katorza – 100 ans de cinéma à Nantes, Éditions d'Orbestier, mars 2020

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Rédaction d'article :

Cécile Gommelet

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