Aménagements portuaires au 20e siècle (7/7)
Si le premier quart du 20e siècle conserve la dynamique engagée au 19e siècle, le déclin du port s’amorce au milieu du siècle. Relancée pendant quelques années après la Seconde Guerre mondiale, l’activité portuaire ralentit à partir de 1960 et s’arrête définitivement en 1987.
Port industriel et port ouvrier
Dans le port des années 1900, l’industrie agro-alimentaire, chimique et métallurgique constitue un groupement puissant de 300 usines qui fait travailler 25 000 ouvriers. Dispersées sur les anciennes îles et le rivage de Chantenay, les « rues d’usines » ont métamorphosé le paysage portuaire. La prospérité économique que ces industries amène G. Suzor à proposer, vers 1907, « l’extension du port de Nantes jusqu’à Basse-Indre et Indret pour créer une zone industrielle d’1 kilomètre de profondeur sur 10 kilomètres de long sur la rive droite avec des quais, des voies ferrées et des habitations rejetées en troisième ligne ».
Comme au 19e siècle, la puissance industrielle est telle que les industries dictent l’aménagement du port. Pour répondre à l’augmentation des tonnages rendue possible par les progrès de la construction navale et nécessaires par les besoins de l’industrie, le port s’équipe de nouveaux quais et démultiplie sa force de levage par l’acquisition de machines.
En 1905, un nouveau quai en estacade est mis en œuvre au droit de la Prairie-au-Duc pour fournir de nouveaux espaces de travail dans le lieu où les profondeurs sont les plus grandes.
Avant-projet de gare maritime de la rive gauche
Date du document : 1894
Ce chantier se poursuit avec la construction du quai Wilson qui régularise la rive de l’ancienne île Sainte-Anne. La création de ces deux équipements nécessite une refonte profonde de l’espace portuaire : la boire de Toussaint est détournée, les îles de la Prairie-au-Duc et de Sainte-Anne sont soudées, l’île Lemaire est arasée.
Quai de l’aiguillon et île Lemaire
Date du document : 19e siècle
La reconfiguration géographique du fleuve va permettre d’étendre la gare de l’État jusqu’au nouveau quai des Antilles.
Plan des remblais réalisés sur la Prairie-au-Duc
Date du document : vers 1922
Les nouveaux équipements rendent caducs les docks de la Prairie-au-Duc qui, en outre, s’ensablent inexorablement : ils sont comblés en 1909 et l’espace gagné est en partie réinvesti par les chantiers de construction navale.
Une estacade de béton sur pieux de béton est agrafée au talus de pierre du quai de la Fosse en 1909. Avec ce nouvel ajout, la plateforme du quai est agrandie de 6 mètres tandis que sa hauteur est maintenue.
L’anse du port maritime trouve alors sa configuration définitive : 3,3 kilomètres de quais en lien direct avec les gares, les entrepôts ou les usines. La construction d’estacade en béton armé permet d’augmenter la puissance des engins de levage. D’une capacité de levage maximales de 5 tonnes avant la Première Guerre mondiale, les grues à vapeur vont être remplacées par des grues électriques dont le tonnage augmente jusqu’à 12 tonnes. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, le port est ainsi équipé de grues pouvant soulever de 1,5 à 30 tonnes. Le dernier mastodonte, l’actuelle grue grise, est érigée quai des Antilles en 1966. Elle peut soulever jusqu’à 60 tonnes.
Quai des Antilles depuis la Loire
Date du document : 23-05-2019
Le port est alors séparé en deux parties : les quais de la rive droite – quai d’Aiguillon et quai de la Fosse – ont des grues plus petites, ceux de la rive gauche – quai des Antilles et quai Wilson – sont érigés de colosses métalliques dont la forme a évolué pour permettre aux wagons qui acheminent les marchandises de passer sous les grues.
La déconnexion progressive des ports secondaires avec le fleuve
Au tournant des 19e et 20e siècles, la dynamique d’aménagement des petits ports en amont et surtout en aval de Nantes montre des signes d'essoufflement. Désormais, les communes riveraines du fleuve doivent assumer à leurs frais l’approfondissement et l’évacuation des vases qui obstruent les étiers et bras secondaires sur lesquels la plupart des petits ports sont établis.
Aussi, les premières décennies du 20e siècle sont marquées par de nombreuses sollicitations des communes auprès de l’administration afin d’obtenir un concours financier et matériel pour les travaux d’entretien des équipements portuaires et le curage des étiers. Le maintien de ces petits ports secondaires dans les échanges du réseau portuaire nantais devient rapidement critique par le colmatage alluvionnaire. Les amoncellements de vase et de sable au pied des cales et gares d’eau, situées principalement en aval de Nantes, empêchent l’accostage des bateaux dans de bonnes conditions. Peu à peu, ces sites entament une déconnexion avec le fleuve qui favorise un déclin des activités portuaires jusqu’au milieu du 20e siècle.
Toutefois, le soutien de l'administration des Ponts et Chaussées reste manifeste pour des aménagements portuaires (estacades, postes d’embarquements, quais) destinés aux besoins de l’industrie, notamment pour les usines installées à Saint-Herblain, Indre et Couëron. Comme pour Nantes, c’est la fonction industrielle qui détermine alors le maintien du trafic maritime sur ces sites portuaires durant la première moitié du 20e siècle.
Du port industriel à la disparition du port
Depuis le 18e siècle, le port fluvial a peu à peu perdu ses usages économiques et commerciaux pour devenir un lieu dédié aux activités quotidiennes des Nantais. Mais au début du 20e siècle, la décision que prend unilatéralement l’État de combler les bras nord de la Loire pour éviter un effondrement des quais de la ville entérine la disparition définitive du port fluvial de Nantes au profit du port maritime.
Pour permettre les échanges avec l’Erdre détournée de son cours, le canal Saint-Félix est aménagé en 1926. L’ancien bras de Loire est rétréci et son hydrologie est bouleversée : la Loire fait place à l’Erdre. Le quai Malakoff est agrandi et une écluse est bâtie. Mais ce nouvel espace, même s’il conserve des quais, ne remplit plus le même office que l’ancien port fluvial car l’écluse qui le ferme empêche des échanges réguliers. Avec l’installation de pontons flottants et la transformation d’anciens navires en lieux de restauration et de divertissement, le canal Saint-Félix devient un port de plaisance dépendant du régime hydraulique de l’Erdre.
Ecluse Saint-Félix
Date du document : 29-05-2017
L’installation d’un vrai port de plaisance à la place de l’actuel parking de la Petite Hollande est discuté lors des comblements mais la Chambre de commerce refuse cet aménagement qui pourrait nuire à la gestion du port maritime.
Signe d’un déclin en cours, durant la Seconde Guerre mondiale, le port de Nantes et son réseau sont contre toute attente peu fortifiés par l’armée allemande : seul un blockhaus est installé sur la Prairie-au-Duc. La faiblesse de l’intérêt stratégique du lieu est également sensible dans les bombardements alliés qui font plus de dégâts sur les quartiers d’habitation que sur les équipements du port.
À partir des années 1960, le déclin du port intra-muros de Nantes s’amorce au profit du port de Saint-Nazaire. En 1966, les ports de l’estuaire sont réunis au sein d’un seul établissement public : le port autonome de Nantes Saint-Nazaire. Le gros du trafic portuaire s’effectue déjà à l’embouchure de l’estuaire et le phénomène s’accentue encore lorsqu’en 1970, l’État prend la décision de créer un nouveau port à Montoir-de-Bretagne où sont aménagés un terminal agro-alimentaire (1971-1990), un terminal méthanier (1976-1980), un terminal roulier (1977) et un terminal charbonnier (1983).
Dans le même temps, la dernière activité fluviale nantaise disparaît lorsque les chantiers de construction navale ferment leurs portes en 1987. Au fond de l’estuaire, seuls les terminaux de Cheviré conservent une activité. À Nantes, ce qui avait été le premier port de France pendant 300 ans n’est plus un port au sens strict de la définition du mot : malgré ses quais, Nantes n’est plus une interface d’échanges de marchandises provenant du fleuve, de la mer ou de la terre. Ainsi, l’exemple nantais permet de consolider la définition du port : une rive aménagée, voire régularisée par un quai, ne fait pas un port ; celui-ci n’existe que par les échanges qui y sont pratiqués. 60 ans plus tard, le refus de mettre en place un port de plaisance sur la Loire nantaise pèse lourd dans la reconversion : sans activité secondaire, l’ensemble des équipements du port deviennent inutiles et sont peu à peu détruits. Signe de ce changement d’époque et d’activités, en 1988, le Maillé-Brézé vient s’amarrer définitivement au quai de la Fosse et devient un musée naval.
Maillé Brézé
Date du document : 08-06-2018
Réappropriation et valorisation des ports de Nantes Métropole
En 1987, la fermeture des chantiers de construction navale sonne le glas pour les infrastructures portuaires de Nantes intra-muros et de la majorité des ports environnants. Toutes les activités sont définitivement déportées vers Saint-Nazaire à l’exception des parcs à sable et à bois de Cheviré. L’aire métropolitaine doit donc réinventer son rapport au fleuve et créer de nouvelles activités.
Un paysage portuaire
Après plus de 500 ans d’histoire constructive, le réseau portuaire ligérien de la métropole nantaise offre aujourd’hui un paysage original et inattendu en ce fond d’estuaire. Ce paysage construit se constitue d’éléments disparates tels que des ouvrages portuaires (chaussée, quai, perré, môle), des espaces de transit (embarcadère, ponton, passerelle d’accès, estacade, chenal privé), des installations de mise à l’eau (cales publiques et privées, slipway, rampe de mise à l’eau), des équipements de manutention (grue portuaire, portique de manutention, bande transporteuse), des espaces de stockage (aire de délestage/dépôt de lest, hangar), etc.
Ces éléments anthropiques s’insèrent dans un paysage naturel dont les mutations rapides sont liées à la géomorphologie du fleuve, à l’arrêt ou à la diminution des activités humaines liées au fleuve et au changement climatique. Ces mutations fragilisent les vestiges de l’histoire humaine qui, sans usage ou nouvelle destination, ne sont plus entretenus. Pourtant, ce paysage portuaire perpétue et mythifie aujourd’hui une identité locale liée au port. Celle-ci s’exprime dans la volonté de protéger au titre des Monuments historiques la grue jaune, la grue grise et très récemment la grue noire.
Grue jaune
Date du document : 18-05-2011
Espaces en reconversion et usages nouveaux
Si l’intérêt historique, voire identitaire, des éléments du paysage portuaire sont aujourd’hui reconnus, plusieurs communes de l’aire métropolitaine se sont engagées depuis une quinzaine d’années dans un processus de reconversion des espaces et des bâtiments portuaires. Ce processus ne va pourtant pas de soi : après avoir été coupées des espaces liés au port qui étaient gérés indépendamment, les communes doivent repenser ces espaces comme partie intégrante de leur tissu urbain afin de reconquérir leur rives.
À Nantes, en parallèle d’une réflexion lancée en 2004 sur la requalification des anciens chantiers de construction navale, la priorité est donnée au transport de passagers. Une jonction Nantes-Trentemoult par Navibus est ouverte en 2005. Si cet événement peut sembler être un épiphénomène, il n’en reste pas moins fondateur : grâce à lui Nantes redevient un port. Les liaisons quotidiennes entre le quai de la Fosse et Trentemoult rencontrent un tel succès que Nantes Métropole imagine aujourd’hui de créer de nouveaux pontons d’accostage au quai des Antilles (gare maritime), sur le bas-Chantenay, sur le quai Wilson, sur Saint-Sébastien et Pirmil, etc.
Ce projet s’inscrit dans les engagements pris par la collectivité à la suite du grand débat citoyen sur la Loire : « Dans l’ambition de poursuivre et amplifier l’usage de la Loire pour compléter le maillage du réseau de transport, connecter par voie d’eau les pôles générateurs de trafic au sein des projets urbains et les lignes structurantes de transport, nous proposons d’élaborer d’ici 2017 un plan pluriannuel de développement des navettes fluviales ».
En plus, du transport de passagers, la plaisance est peu à peu remise à l’honneur avec les manifestations comme « Débord de Loire » ou la mise en activité de bateaux comme le Loire Princesse qui, depuis 2014, propose des croisières fluviales de six ou huit jours sur la Loire à partir du quai de la Fosse à Nantes. Ces nouvelles activités permettent de qualifier à nouveau Nantes de port fluvial. En parallèle, le bureau du port est réaffecté pour devenir la maison de la mer, le quai des Antilles devient une promenade commerçante tandis que les terrains des anciens chantiers navals sont reconvertis en lieu culturel protéiforme.
Suite Aménagements portuaires antiques (1/7)
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
En savoir plus
Webographie
Nantes, la Métamorphose d'une ville - Auran/Ina : Nantes, le port et la Ville
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Julie Aycard, Julien Huon
Vous aimerez aussi
Groupe scolaire Louise Michel
Architecture et urbanismeDans un contexte de renouvellement pédagogique et avec l’adoption de la mixité scolaire, le ministère de l’Éducation nationale promeut de nouvelles formes constructives pour les écoles....
Contributeur(s) :Salomé Pavy , Irène Gillardot
Date de publication : 19/01/2023
1174
René et Pierre Waldeck-Rousseau
Personnalité nantaiseWaldeck-Rousseau, pour la grande majorité des Nantais, c’est avant tout un vieux commissariat, hébergé dans une ancienne caserne, qui a été remplacé en 2008 par un nouveau bâtiment...
Contributeur(s) :Jean Guiffan
Date de publication : 04/02/2020
3083
Rue Urvoy-de-Saint-Bedan
Architecture et urbanismeLa rue Urvoy-de-Saint-Bedan a été créée au 19e siècle en même temps que le développement du quartier Dobrée-Gigant. Par son tracé rectiligne, la rue rappelle la présence passée...
Contributeur(s) :Amélie Decaux
Date de publication : 20/04/2021
1956