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16 avril 1934 : manifestation antifascistes Ecole Marcel Callo

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Aménagement de l’île Feydeau


Île artificielle accrochée à un îlot rocheux de la Loire au prix de travaux titanesques menés au 18e siècle, l’île Feydeau est l’un des témoins des transformations de Nantes, ville rivulaire devenue ville fluviale.

Carte Iles Feydeau et de la Saulzaie au 18e siècle

Carte Iles Feydeau et de la Saulzaie au 18e siècle

Date du document : 02/2021

Une nouvelle île artificielle

En 1721, le maire de Nantes, Gérard Mellier, obtient du conseil du roi la concession des grèves naturelles de l’île de la Saulzaie (également orthographiée « Saulsaie »), un îlot rocheux habité situé aux portes sud de Nantes. Il a l’autorisation de les employer « aux usages qui seront les plus convenables au bien de la ville », moyennant une rente annuelle de 10 livres.

Gérard Mellier envisage tout d’abord la création d’une promenade, puis celle d’un quartier qui par son architecture unifiée participerait à l’embellissement de la ville. La réflexion technique du projet est confiée à Jacques Goubert, inspecteur du rétablissement des ponts de Nantes, qui fait office d’ingénieur de la ville.

Le rapport de Goubert remis le 14 décembre 1722 met en évidence la tâche titanesque que représente ce projet et le risque que constitue la création de ce nouveau quartier au milieu du fleuve, sur un sol sableux et meuble. Pour sortir de l’eau cette île, il faut tout d’abord construire des quais qui, en une seule opération, viendront encercler et mettre hors de portée du fleuve la zone à bâtir. Il faut également solidariser les constructions en fondant en une seule fois tous les murs de façade.

Projet pour l’aménagement de la grève de l’île de la Saulzaie

Projet pour l’aménagement de la grève de l’île de la Saulzaie

Date du document : 04-08-1723

Une opération immobilière menée par des investisseurs privés

La Ville n’ayant pas les moyens financiers pour réaliser ces travaux, il est nécessaire que l’entreprise soit lancée par des particuliers. Gérard Mellier convainc les plus riches familles de la ville de créer une société. Le 4 août 1723, 24 actionnaires font affaire pour construire 24 maisons et aménager les quais, les cales et les rues, tout en respectant les consignes de Goubert. Cette soumission est agréée par le conseil de la ville et le conseil du roi dès la fin du mois d’août 1723. Les sociétaires se sont engagés à mettre en commun les moyens financiers pour créer l’île et les futures maisons mais aucun n’est encore propriétaire d’un bien délimité.

Le projet de Goubert marque une nette séparation avec le hameau de la Saulzaie et son réseau de voirie médiéval. L’ingénieur dessine une île régulière, à angles droits, et organise orthogonalement le futur quartier dont les voies sont hiérarchisées : en termes de largeur, les quais mesurent 9,74 mètres, la rue principale 7,80 mètres, la rue transversale environ 6 mètres. Goubert s’assure que les 24 actionnaires disposent des mêmes avantages. Tous les immeubles sont donc traversant et chaque lot offre environ 530 mètres carrés de surface constructible. Ils doivent être construits dans les mêmes matériaux : granit en soubassement et tuffeau de la Mammonière (carrière du Saumurois) pour les murs de façade.

Plan de deux immeubles à construire sur la grève de la Saulzaie

Plan de deux immeubles à construire sur la grève de la Saulzaie

Date du document : 26-07-1723

Mettre hors d’eau le futur quartier Feydeau

Dès l’été 1723, la construction des murs de quais est lancée avec de grands moyens : 200 à 300 ouvriers peuvent être employés quotidiennement pour profiter de la période des basses-eaux (période de l’année où la Loire atteint son niveau le plus bas). Pour créer l’île, Goubert préconise une technique proche du polder.

Plan d'une cale double et d'une partie du quai sur la grève de la Saulzaie

Plan d'une cale double et d'une partie du quai sur la grève de la Saulzaie

Date du document : 04-08-1723

Neuf années sont nécessaires pour achever les murs de quais. Dans les périodes de crues, l’espace délimité emprisonne les eaux qui s’échappent doucement par les fondations : lorsque l’eau se retire, l’île Feydeau est un grand bassin au centre du fleuve. Aucune pompe ne semble avoir été utilisée pour drainer l’eau qui retrouve seule le chemin du fleuve. L’été, les périodes d’étiage (périodes où la Loire atteint son débit minimal) sont propices au remblai de la zone : petit à petit, les anciennes grèves sont recouvertes de 5 mètres de sable qui portent la hauteur de l’île au-delà des crues ordinaires.

Au milieu de ces monceaux de sable, les fondations des murs mitoyens et des façades des 24 futures maisons sont montées à une hauteur de 3,5 mètres. En 1732, l’île présente donc 24 fosses inondées – car arrêtées à la hauteur des plus basses-eaux – dont les soubassements sont creusés par l’eau qui cherche à s’évacuer.

Des immeubles construits par de nouveaux actionnaires

En 1732, l’attribution définitive des lots est réalisée. Pour acquérir un lot à l’est, à côté de la Saulzaie, les sociétaires doivent encore débourser environ 9000 livres. Au nord, de 10 500 à 11 000 livres, au sud de 14 000 à 15 000 livres, à l’ouest, face à l’estuaire, 17 à 18 000 livres.

Pour réaliser les premiers travaux, les sociétaires ont englouti des sommes gigantesques et leur enthousiasme s’essouffle. Beaucoup revendent leurs terrains au sol précaire sans avoir bâti, sapant ainsi leur investissement : ils revendent leurs lots à moitié prix.

Le renouvellement des sociétaires donne une nouvelle dynamique au projet. Les négociants, marchands, architectes, notaires qui s’engagent dans le projet sont moins connus que les oligarques du début du projet mais sont suffisamment aisés pour mener l’entreprise à bien. Parmi eux, le jeune architecte Pierre Rousseau rachète une série de lots qu’il fait bâtir.

En 1740, les deux premiers immeubles sont construits sur un terrain mal stabilisé et s’écroulent. Les pilotis plantés depuis plusieurs années s’enfoncent et ne permettent pas aux actionnaires d’élever les immeubles. En 1741, ceux-ci profitent de cette situation pour se défaire de leur obligation de suivre le plan Goubert, arguant auprès du conseil du roi de la difficulté technique de la construction.

Libérés de la contrainte, les nouveaux sociétaires lancent la construction de leurs immeubles. De 1752 à 1785, le nouveau quartier sort du sable. Les immeubles pensés à l’origine pour les négociants-armateurs, prennent des formes diverses adaptées aux intérêts des nouveaux propriétaires. Pour édifier leurs murs de refend, les architectes utilisent des radiers de bois qui offrent aux constructions une plus grande stabilité. Néanmoins, les murs travaillent sur leur base dès leur mise en œuvre et les immeubles se penchent.

La disparition progressive de l’habitat médiéval de la Saulzaie

Sur son île artificielle, le nouveau lotissement est séparé du faubourg de la Saulzaie par l’ancien mur d’enceinte de l’îlot et par une rue d’environ 7 mètres. Le rapprochement des deux entités est difficile à cause de la topographie : le talus du rocher originel est bien plus bas que la nouvelle île. Autour de la Saulzaie, de nouveaux atterrissements attisent la convoitise des actionnaires de l’île Feydeau qui demandent, en 1739, à en bénéficier pour pouvoir prolonger en ligne droite le quai Turenne jusqu’au débouché du pont de la Belle-Croix. Les habitants de la Saulzaie s’opposent à ce projet car la création du quai obligerait à remblayer ses abords et à reconstruire une partie des immeubles. De plus, cet espace libre est très utile pour décharger les marchandises arrivant sur l’îlot, mais aussi pour mettre en sécurité les bateaux lors des crues et les biens des habitants en cas d’incendie.

En 1748, le prolongement de la rue traversant l’île Feydeau d’est en ouest à travers la Saulzaie ne peut être mis en œuvre car il nécessite la destruction d’une partie des immeubles et un remblaiement qui bouchera tous les magasins, boutiques et autres ouvertures de l’îlot.

Plan illustrant le prolongement envisagé de l’actuelle rue Kervégan à travers l’Île de la Saulzaie

Plan illustrant le prolongement envisagé de l’actuelle rue Kervégan à travers l’Île de la Saulzaie

Date du document : 30-01-1777

Au sud de l’île, la partie orientale du quai Turenne est mis en construction dans les années 1760. Les immeubles de la Saulzaie à reconstruire sont alignés sur ceux de Feydeau, rapprochant sur cette face méridionale les deux îlots.

En 1776, la paroisse Saint-Nicolas demande l’autorisation de reconstruire la chapelle de Bonsecours : le terrain est surélevé pour atteindre la même hauteur que celui de l’Île Feydeau et offrir au débouché du pont de la Belle-Croix un bâtiment digne d’une entrée de ville.

Au nord, le prolongement du quai Duguay-Trouin est évoqué dès 1742 et discuté à partir de 1764. En 1772, la Ville de Nantes procède à un échange de terrains et des devis sont effectués.

Vers 1780, sur cette extension, un nouveau front urbain dessiné par Berranger, architecte-voyer, réunit plusieurs immeubles. Mais l’urbanisme médiéval de la Saulzaie est trop bas et ne peut donc pas être régularisé.

Plan du nouveau front urbain construit au nord-est de l’Île Feydeau

Plan du nouveau front urbain construit au nord-est de l’Île Feydeau

Date du document : 29-05-1777

En 1825, la rue centrale, dénommée Kervégan, est enfin prolongée. Les portes de plusieurs rez-de-chaussée sont enterrées d’un demi-mètre. À la fin de l’opération, le toponyme de la Saulzaie disparaît au profit de celui de l’Île Feydeau, signe de l’impact urbain et psychologique de la construction de cette île artificielle à Nantes.

Dix ans plus tard, l’épidémie de choléra fait de très nombreuses victimes dans les rues de Basse et Haute-Saulzaie. Les habitants accusent des eaux stagnantes de leurs rues et réclament le remblaiement de celles-ci. Mais l’opération se révèle impossible : les rues sont 3,5 mètres plus basses que celle de Bon-Secours. Avec le remblaiement, tous les immeubles perdraient un étage ainsi que leurs caves, leurs écuries, etc. Dernier témoin de l’existence d’un faubourg médiéval au milieu d’un fleuve, les rues de Basse et Haute-Saulzaie forment encore aujourd’hui un îlot enclavé, en contrebas des rues adjacentes.

Julie Aycard
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021 (mis à jour par Noémie Boulay en 2023)



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