1832 : épidémie de choléra à Nantes
Au printemps 1832, la France est touchée par une épidémie de choléra et Nantes compte ses premiers morts à partir du 9 avril.
La maladie sème l’effroi dans les populations parce qu’elle fauche ceux qu’elle atteint en deux ou trois jours, voire moins. De plus, les médecins sont désarmés et très vite dépassés par une maladie dont ils ignorent la cause et le mode de transmission. Face à sa progression, comment la municipalité se mobilise-t-elle pour lutter contre la marche du choléra dans sa ville ? Quels traitements et remèdes les médecins appliquent-ils à cette maladie dont ils ignorent presque tout ? Quel bilan humain peut-on établir à l’issue de plus de six mois d’épidémie ? Telles sont les questions posées par cette pandémie inédite en Europe, en France et donc à Nantes.
1831 : l’observation inquiète de la progression de l’épidémie en Europe de l’Est
La première épidémie de choléra en Europe atteint la Russie en 1828. Partant de Calcutta et du delta du Gange en 1817, la vague précédente était arrivée en Asie Mineure en 1823 et s’était arrêtée aux portes de l’Europe. Quelques années plus tard elle fait un retour en force. De la Russie, elle gagne les rivages de la Baltique puis submerge le continent européen en 1831 et 1832. En décembre 1831, venant de Grande-Bretagne, l’épidémie touche les côtes françaises de la Manche. De la Prusse, le fléau gagne aussi le Nord-Est du pays avant d’atteindre Paris au mois de mars 1832. Il faut attendre la mi-avril pour officialiser la présence du choléra à Nantes.
Dès 1831, la progression de l’épidémie est suivie avec inquiétude à Nantes dont le port accueille régulièrement les navires chargés de bois et de chanvre en provenance des rives de la Baltique. Tout au long de l’année des rapports et des courriers les informent sur la marche de l’épidémie en Russie et en Prusse. Pour faire face à la menace, la loi du 3 mars 1822 complétée par l’ordonnance du 7 août 1822 dont la vocation était de préserver la France de « l’invasion des maladies pestilentielles », est rigoureusement appliquée. Elle bloque toute communication avec les navires venant des ports infectés. Des patentes sanitaires strictes sont exigées au départ des navires. À l’arrivée à Nantes, le maire, qui préside l’intendance sanitaire de sa ville, peut exiger d’un navire suspect une quarantaine et la séquestration de l’équipage dans un lazaret.
À Nantes, la municipalité prend des dispositions pour affronter le fléau
Dès la fin du mois de mars, la presse nantaise multiplie les articles sur la progression de l’épidémie à Paris. Le choléra, inconnu jusqu’alors en Europe, suscite l’effroi parce que la mort survient rapidement. Devant l’inquiétude de la population, le nouveau maire de Nantes, Ferdinand Favre, intervient et prend les premières mesures de lutte contre l’épidémie dans sa ville le 31 mars 1832. Par voie de presse, il tente de rassurer ses concitoyens. Les comités de salubrité de la ville, annonce-t-il, ont enquêté et ont conclu que le choléra n’est pas en cause. Néanmoins, les habitants qui soupçonnent la présence de la maladie sont invités à avertir le juge de paix ou le président du comité de salubrité publique de leur arrondissement.
Le 4 avril, suivant l’avis du Conseil central de salubrité, inquiet de l’ampleur de l’épidémie à Paris et de sa progression en province, la municipalité prend les premières mesures de prévention à l’égard de ce qu’elle nomme « la classe indigente ». Cette frange pauvre de la population nantaise est invitée à appliquer quelques règles d’hygiène de base telles que le balayage et le nettoyage de leur logement ainsi que l’enlèvement des immondices restées dans la rue après le passage des voitures de répurgation.
De son côté, la municipalité se charge de l’arrosage plus fréquent de la voie publique et des marchés. Dans chaque quartier, en lien avec la préfecture, elle crée une commission de secours composée de médecins, d’officiers de santé et de pharmaciens disposant d’un local pour accueillir plus rapidement les habitants malades. Ils sont ensuite transportés dans des tombereaux marqués d’une croix blanche vers l’Hôtel-Dieu ou le Sanitat, où des salles isolées leur sont réservées.
L’arrêté municipal du 4 avril annonce également des mesures supplémentaires d’assainissement. Il oblige les propriétaires dont les logements ne possèdent pas de latrines à s’en doter dans un délai d’un mois dans le but d’éviter le rejet des matières fécales sur la voie publique. En outre, l’arrêté interdit l’écoulement libre du contenu des éviers et oblige les propriétaires à évacuer les eaux usées à l’aide de canalisations reliées aux égouts. Ces décisions donnent la mesure de l’insalubrité des rues de Nantes.
La marche de l’épidémie à Nantes
Les Nantais attendent le 19 avril pour être officiellement informés de la présence du fléau dans leur ville. Cependant, la rumeur circulait depuis plusieurs jours. On faisait état de douze cholériques en traitement dans les hôpitaux. L’inquiétude se propageant la municipalité devait réagir. Elle explique son silence par les doutes, les interrogations sur une maladie qu’il était difficile de reconnaître parce qu’on ne l’avait jamais vue. En réalité, le premier cholérique a été admis à l’Hôtel-Dieu le 9 avril et il est décédé quelques heures plus tard.
L’épidémie se propage ensuite dans les quartiers populaires et pauvres qui bordent la Loire : la Fosse, l’Hermitage, le Sanitat, la Madeleine. La municipalité s’empresse de minimiser la situation le 19 avril en précisant qu’on n’a relevé, le 14 avril, que quatre cas isolés dont deux résultent « d’excès d’intempérance ». On ajoute aussi que le choléra n’est pas contagieux et qu’il n’y a donc pas de quoi s’alarmer. Ces réactions illustrent les mentalités de cette époque. D’une part, on considère systématiquement au 19e siècle que les alcooliques sont les proies désignées des épidémies. Par ailleurs, la contagion par contact physique est niée. On pense que l'épidémie est propagée par des miasmes, des émanations nocives qui empoisonnent l'air.
Pour autant, la situation inquiète l’autorité municipale. Le 18 avril, des médecins, des chirurgiens, des étudiants en médecine sont conviés à l’hôtel de ville pour être répartis entre les bureaux de secours des six sections de la ville. Les médecins soignent les malades, les pharmaciens préparent les traitements et les élèves sont chargés de constater à l’extérieur les cas de choléra, de donner les premiers soins et de faire transporter les cholériques au Sanitat. La municipalité continue aussi d’encourager les habitants à balayer soigneusement les rues et ruelles après les pluies et si possible à se procurer des tonneaux remplis d’eau dans lesquels on a dilué du chlorure de chaux pour être répandus dans les rues.
À partir de la mi-avril, le journal L’Ami de la Charte publie le bilan quotidien des décès dus au choléra. Le décompte est arrêté au début du mois de juin au moment du soulèvement de la duchesse de Berry. Désormais, le choléra passe au second plan. Il est malgré tout suivi de près par le ministre du commerce habituellement en charge des épidémies. Un tableau de recensement, réalisé le 31 août 1832, comptabilise 366 décès à Nantes à la fin du mois de mai et 759 décès à la fin du mois d’août (365 hommes et 394 femmes). L’épidémie sévit fortement jusqu’au mois de juillet et s’atténue au cours des mois suivants. Elle s’éteint à Nantes en novembre, mais continue jusqu’en décembre sur le littoral au Nord de la Loire. Au total, le choléra a tué environ 800 personnes, et peut-être davantage, dans une ville qui ne compte qu’un peu moins de 80 000 habitants en 1832.
Mesures de prévention et remèdes à foison pour une maladie très mal connue
En 1832, on ignore que le choléra est dû au « Vibrio cholerae », le virus virgule. Il n’est observé qu’en 1854 par l’anatomiste italien Pacini et isolé et identifié par Robert Koch en 1883-1884. Mais curieusement, l’ignorance nourrit une abondante prose consacrée à la prévention et aux remèdes. Des conseils et recommandations encombrent les colonnes de L’Ami de la Charte et s’invitent dans les rapports de médecins adressés aux autorités politiques. Ainsi, il est recommandé d’éviter la peur parce que « la peur peut engendrer le choléra », de purifier l’air en allumant de grands feux dans les rues, de blanchir les murs à la chaux, de se préserver du froid et de l’humidité, etc.
La médecine qui découvre une maladie jusque-là inconnue en Europe révèle son impuissance. Ignorant l’existence des virus et privilégiant la théorie des miasmes, les médecins pratiquent encore les méthodes traditionnelles. La saignée et la pose de sangsues ont toujours leurs faveurs et ont sans doute précipité l’issue fatale des malades. Mais tous les médecins ne se livrent pas à ces vaines et cruelles pratiques. Certains d’entre eux, plus inspirés, comprennent qu’il faut réhydrater le malade et prescrivent l’absorption de grandes quantités d’eau ou d’infusions de plantes. C’est le cas d’un médecin de l’Hôtel-Dieu de Nantes qui recommande de faire boire en abondance une infusion très chaude de tilleul, de mauve ou de camomille, mais qui a le défaut d’accroître la transpiration du malade.
Enfin, des mesures sont également prises sur le plan financier. Les familles des victimes et les médecins en charge des cholériques bénéficient d’indemnités. Les souscriptions, les secours, les indemnités permettent d’ailleurs de prolonger le combat des médecins. Des fonds importants, environ 25 000 francs, sont aussi mis à la disposition du préfet par le ministre du Commerce et par le roi.
La charité, sans doute davantage que la solidarité, prend ainsi en charge des familles dont une ou plusieurs personnes ont succombé.
Yves Jaouen
2025
En savoir plus
Bibliographie
Jaouen Yves, « L’épidémie de choléra à Nantes en 1832 »
Bourdelais Patrice, Raulot Jean-Yves, Une peur bleue. Histoire du choléra en France, 1832- 1854, Paris, Payot, 1987
Archives de Nantes
BGin4°26 : Thèse pour le doctorat en médecine : Maryvonne Cosseté-Malenfant : « Le choléra à Nantes en 1832 », Université de Rennes, Faculté de médecine de Nantes, 1961
I5 C23 D6 : État des cholériques décédés du 15 avril au 2 novembre 1832
I5 C23 D1 : Émotion à Nantes provoquée par l’épidémie de 1832
Archives départementales de la Loire-Atlantique
5M 156 : Le choléra de 1832
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Yves Jaouen
Vous aimerez aussi
Tour à tour poète, essayiste, traductrice, nouvelliste, photographe et plasticienne, Claude Cahun partage sa vie et ses activités avec une dessinatrice et décoratrice, Suzanne Malherbe....
Contributeur(s) :Chloé Voirin , François Leperlier
Date de publication : 05/08/2019
6097
Nantes la bien chantée : Dix filles à Nantes : joli bateau
Société et cultureDans le vaste monde des chansons énumératives, si vaste qu’il semble tout bonnement sans limite, la moindre de ses déclinaisons n’est pas celle de forme « à décompter ». Voici...
Contributeur(s) :Hugo Aribart
Date de publication : 03/11/2020
1396
Michelle Palas (1942 – 2015)
Personnalité nantaiseInfatigable militante pour son quartier de Bellevue, Michelle Palas a fait de l’entraide et de la solidarité les principes fondamentaux de son engagement.
Contributeur(s) :Cécile Gommelet
Date de publication : 09/07/2021
1716