Cité d’urgence de la Géraudière / Cité de l’abbé Pierre
Suite à l’appel de l’abbé Pierre du 1er février 1954, le ministère de la Reconstruction et du Logement lance un plan national de construction de cités d’urgence afin de lutter contre le mal-logement. La cité de la Géraudière, achevée à la fin de l’année 1955, est reconstruite en 1994. Elle perdure encore aujourd’hui.
1er février 1954 : l’appel à la solidarité de l’abbé Pierre
1954, l’hiver est extrêmement froid. À Paris une femme vient de mourir, gelée. L’abbé Pierre lance son célèbre appel aux bonnes volontés, sur radio Luxembourg : « Au secours mes amis... ». Des dons affluent de toute la France, mais passé le temps de l’aide d’urgence, l’abbé Pierre ancien député, interpelle, harcèle le gouvernement et tous les responsables politiques pour qu’ils s’engagent dans un vaste plan de construction de logements accessibles aux plus démunis. Le gouvernement élabore alors un plan d’urgence pour la construction de 12 000 logements de première nécessité.
Le ministère de la Reconstruction et du Logement (MRL) fixe les principes de conception de ces logements : « Ces habitations seraient édifiées avec des matériaux durables. Les cellules type de 32 à 34 mètres carrés comprendraient 2 pièces principales et une salle d’eau et seraient pourvues des éléments de confort indispensables... ».
Des coûts de construction drastiquement réduits
Le conseil municipal est amené à discuter de ce projet à plusieurs reprises au cours de réunions, parfois houleuses.
Les 110 logements ont été construits en deux lieux différents : La Géraudière et Port Durand. Le terrain situé chemin de la Géraudière, d’une superficie de 10 277 mètres carrés, reçoit un avis favorable. Ce terrain est cédé, gracieusement, à l’Office HLM par M. Douillard. Mais une première objection est avancée par des élus : « Ces terrains, très bien placés compte tenu de l’étendue actuelle de la ville, pourraient parfaitement recevoir des immeubles à étages : c’est du gaspillage ! »
Le prix de 480 000 francs annoncé initialement par l’État, pour la construction, est l’objet de discussions. Très vite porté à 575 000 francs, il paraît encore insuffisant. Des élus s’insurgent : « Nous sommes convaincus qu’il est impossible avec la somme indiquée jusqu’ici de bâtir une maison digne de ce nom. Ces logements d’urgence qu’on veut nous faire construire ne tiendront pas debout. Vous savez qu’à l’heure actuelle, des malheureux couchent dans des tuyaux ; si on les met dans des logements d’urgence, on les fera coucher dans des cubes au lieu des cylindres. Ce sera la seule différence ! »
Des architectes sont imposés : « Y a-t-il vraiment besoin d’architectes pour construire ce qui, hélas, ressemblera fort à des cabanes à lapins, vu le crédit dont on disposera ! » En définitive, les plans sont réalisés par l’architecte de la ville, Charles Friésé. Pour ce programme, il renonce à ses honoraires.
Le montage financier fait polémique
De nouvelles polémiques concernent l’utilisation des 10 millions de la quête publique après que l’État eût décidé de participer au financement de ces logements d’urgence. « L’Équipe » qui a récolté les fonds auprès de la population a maintenant la perspective de construire des logements, pour son propre compte, le produit de la collecte servant à financer le complément des prêts obtenus du Crédit Foncier, à hauteur de 80 % du coût de la construction. Certains membres du conseil municipal s’indignent : « C’est moralement une escroquerie… les gens ne donneront plus, les donateurs méritent au moins de voir les fonds affectés au but qui était indiqué... ». Les membres du conseil municipal ayant assisté aux réunions de « l’Équipe » s’indignent des propos tenus : « Nous ne sommes tout de même pas des escrocs ! »
Un conseiller fait alors la proposition suivante : « Les plans du ministère montrent qu’il s’agit de constructions très simplifiées, leur isolation est très insuffisante, eh bien on peut l’améliorer. Avec les 10 millions dont on dispose, on doit pouvoir au moins construire des doubles cloisons et des plafonds. » La polémique reprend alors de plus belle !
En mai, un nouveau prix de revient des logements est fixé : 740 000 francs. Le financement est assuré par un prêt de l’État au taux d’intérêt de 1% amortissable en 45 ans couvrant 90% des dépenses (constructions, honoraires, voirie et réseaux).
On assiste alors à une attaque virulente contre le gouvernement de la part d’un conseiller : « Le gouvernement qui a lancé cette grande affaire au cours du mois de février, a voulu laisser croire qu’il allait entreprendre un effort supplémentaire en faveur des mal logés ; or, en définitive, le budget de la reconstruction n’a pas été modifié. L’emprunt émis par le Crédit Foncier a rapporté 2 milliards et les 10 à 12 milliards qui restent nécessaires pour les cités d’urgence sont pris sur le budget de la reconstruction. Nous aurions préféré que l’État accomplisse un effort supplémentaire en faveur du logement et que les collectivités locales, le cas échéant, lui apportent son aide. La ville de Nantes, par exemple, aurait pu emprunter (elle a emprunté pour la construction des églises). Nous n’y aurions vu aucun inconvénient. J’ajoute que les logements sont plus nécessaires et devraient être construits plus vite que les églises. On peut prier sans église, tandis qu’on peut difficilement vivre sans logement ! »
Un conseiller propose alors d’examiner sereinement, avec des membres de « l’Équipe », le problème de l’utilisation des fonds. Le problème des loyers est aussi évoqué : « Le chiffre avancé est de 30 000 francs par an. On dit que certaines familles bénéficieraient de l’allocation logement. » Un conseiller demande alors quel tour de passe-passe va faire l’État pour accorder l’allocation logement aux occupants de telles maisons qui ne répondent à aucune des règles fixées jusqu’ici !
La difficile réalisation du projet
Pour effectuer les travaux, l’Office Public d’HLM ne trouve aucun entrepreneur pour le prix fixé par le ministère : les premières adjudications sont infructueuses, les prix plafonds étant trop bas. Les entreprises hésitent à s’engager.
Les villes voisines consultées, telles Rennes et Angers, sont confrontées aux mêmes problèmes et s’acheminent vers un paiement d’une façon détournée d’une partie de la dépense.
Le projet définitif est soumis à l’approbation des commissions, le 10 décembre : la ville prend en charge les dépenses non couvertes par l’État.
Une dernière réaction d’un conseiller : « J’insiste pour mettre en lumière toute la démagogie du gouvernement, qui met en place des programmes très coûteux pour les communes, tandis que l’État ne débourse rien ; les prêts qu’il consent viennent de la Caisse des Dépôts et Consignations qui s’approvisionne elle-même dans les Caisses d’Épargne. C’est donc nous qui payons l’addition. Ces logements seront au-dessous du niveau normal des HLM qui était déjà considéré comme un niveau minimum. Nous payons très cher ce qui ne vaut pas grand-chose ! »
Il s’est écoulé 10 mois depuis l’appel de l’abbé Pierre. La construction de ces logements qui devait être terminée en décembre 1954, ne l’a été qu’à la fin de l’année 1955.
Parmi les premiers locataires, certains viennent de la proche cité du Pressoir dont les logements étaient devenus insalubres ou surchargés.
La reconstruction de la cité
À la fin des années 1980, l’état de la structure des bâtiments imposait des travaux. Les maisons étaient restées dans leur état d’origine : « Tout était à refaire (électricité, murs, sols…) c’était vraiment délabré. Ce n’était pas la peine de réhabiliter, il fallait démolir et reconstruire. Nous, nous avions caché la misère par du placo, du lambris, du carrelage… L’hiver il fallait chauffer des lessiveuses d’eau pour mettre dans la douche et l’été, les enfants se lavaient au jet d’eau dans le jardin. » (Mme L.)
Malgré la forte opposition de certains occupants qui souhaitent une rénovation de l’existant, c’est la démolition qui est choisie. Le plan de masse initial – le système des maisons en bandes – est conservé. Un décor est ajouté en façade : un petit fronton souligne chaque porte d’entrée. La surface de quelques logements est augmentée. Au final, 46 logements ont été reconstruits (au lieu des 53 à l’origine).
Le 25 janvier 1994, Mme Plassais, une des plus anciennes habitants de la cité, a l’honneur d’accueillir dans sa maisonnette, le président de la République François Mitterand. De passage à Nantes, il est venu constater la qualité de la rénovation.
Les logements construits à partir du budget très réduit existent encore de nos jours, contrairement à ce qui était prévu par le ministère de la Reconstruction et du Logement (MRL) en 1954 : « […] dans ces cités d’urgence l’occupation ne serait accordée qu’à titre provisoire, en attendant que les locataires aient trouvé un autre logement ». Beaucoup y sont restés définitivement.
Francis Peslerbe
Groupe Histoire des quartiers Nord de l’association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB)
2024
Album « La cité d’urgence de la Géraudière reconstruite »
En savoir plus
Bibliographie
Peslerbe Francis, Association d'action socio-culturelle et éducative de la Boissière (AASCEB), Histoire des quartiers nord de Nantes. Entre Cens et Erdre, un quartier « mosaïque » des années 50 à aujourd’hui, livre 4, AASCEB, Nantes, 2007
Ressources Archives de Nantes
Visite de François Mitterrand, président de la République, le 25 janvier 1994
Pages liées
Tags
Contributeurs
Rédaction d'article :
Francis Peslerbe
Vous aimerez aussi
Établissements Joseph Paris
Architecture et urbanismeLes Établissements Joseph Paris, spécialisés dans la construction métallique, s'installent en 1911 à Chantenay, où ils sont toujours en activité. On leur doit des milliers d'ouvrages...
Contributeur(s) :Frédérique Le Bec , Joël Grellet
Date de publication : 25/09/2019
5002
Magnolia
Géographie et biodiversitéAprès avoir reçu la mission de gérer la collection nationale de référence du magnolia, en 1992, Nantes célèbre en 2011 le tricentenaire de l’introduction de l’arbre. C’est l’aboutissement...
Contributeur(s) :Jean-Michel Gravouil
Date de publication : 31/12/2019
7579
Boulevard des Américains et square Washington
Architecture et urbanismeVous vous dites : « Pourquoi ici un ''Boulevard des Américains'' ? » Cette voie rectiligne de 22 mètres de large relie la route de Rennes à celle de Vannes, au pied de l’église...
Contributeur(s) :Alain Maffray , Bernard Millet , Johane Guerlais ...
Date de publication : 28/10/2020
5136