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Nantes la bien chantée : Le Prisonnier de Nantes Nantes la bien chantée : Chanson de la Jonelière

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Réfugiés


L’histoire a donné à Nantes une expérience sans doute exceptionnelle en matière d’accueil de réfugiés, sans que cette réalité marque réellement la mémoire et la culture de la ville. L’écart s’explique probablement par la très grande diversité des cas, qui mobilisent tantôt les institutions, tantôt des familles de pensée, religieuses ou politiques, à l’opposé les unes des autres.

Rejet et indifférence

La ville connaît comme toutes les autres, dès le 16e siècle au moins, les contraintes de l’accueil des réfugiés de la misère, fuyant les campagnes dévastées par la guerre ou par la famine. Elle y répond, selon les usages de l’époque, en fonction de la gravité de « l’afflux de pauvres » : en laissant les victimes à elles-mêmes et à la charité individuelle dans un premier temps et, si la situation devient réellement intenable ou si l’épidémie menace, en organisant des distributions de repas associées au tri des bénéficiaires, en tentant d’expulser les réfugiés pour réserver le bénéfice de l’assistance aux seuls originaires de Nantes. Le plus bel exemple de cette politique nous est laissé lors de la famine de 1532, au cours de laquelle les rues de la ville sont semées des cadavres des morts de faim…

L’accueil des réfugiés étrangers est ensuite très sélectif, en fonction de critères religieux, sociaux et nationaux. En 1603 ainsi, les Portugais fuyant l’occupation espagnole sont rejetés : ils sont suspects sur le plan religieux car soupçonnés d’être des juifs à peine convertis, et ne bénéficient pas de relais locaux, bien au contraire, en raison de la forte présence espagnole. Le cas est d’autant plus intéressant que s’opposent en l’occurrence les autorités locales, hostiles, et l’administration royale, favorable à l’accueil.

Le cas irlandais est plus parlant encore. Au début de 1692, une part notable des quelque 20 000 réfugiés irlandais débarqués à Brest et Morlaix entre le 3 décembre 1691 et le 6 janvier 1692 arrive à Nantes, un flux qui fait suite à de plus modestes vagues tout au long du 17e siècle. Si les plus notables, nobles et prêtres en particulier, bénéficient d’une réelle solidarité de la part de la petite communauté irlandaise constituée au fil des exils antérieurs et des relations marchandes entre les deux pays, la plupart sont livrés à eux-mêmes : l’Irlandais est le type même du mendiant dont il faut « purger la ville » en l’envoyant par mer « en quelque vaisseau ou navire aux frais de la ville » (1605), et ces pauvres hères, également abandonnés par les notables irlandais installés à Nantes, n’ont d’issue que dans la solidarité entre miséreux, qui conduit à une intégration dans un prolétariat en plein essor au 18e siècle, ou dans la mort misérable dont la trace demeure dans les registres de l’Hôtel-Dieu de Nantes : 60% des étrangers qui y meurent au 17e siècle sont des Irlandais. Même ceux qui se sont engagés dans l’armée sont, pour les trois quarts, licenciés et livrés à eux-mêmes après la paix de Ryswick en 1697.

La rare expérience de la fin du 18e siècle

À trois reprises entre 1775 et 1793, la ville doit assumer la charge de réfugiés bien différents, puisque français. Les Acadiens, déportés de leur pays par les Anglais en 1755, finissent par arriver à Nantes en 1775, plus d’un millier sans doute, dans l’espoir d’un embarquement pour la Louisiane qui se concrétise dix ans plus tard. Aucune disposition n’est prise en leur faveur et ils se retrouvent entre eux, pour la plupart entre Saint-Nicolas et Chantenay, exactement comme les Irlandais un siècle plus tôt. L’Assemblée constituante reprend à son compte le principe du maigre secours versé irrégulièrement, mais localement rien n’est fait en faveur de réfugiés installés en France depuis plusieurs décennies.

Très vite il est vrai, la ville a d’autres soucis. Celui des colons de Saint-Domingue, qui arrivent entre 1791 et 1804, réclament des secours, mais sont à l’évidence bien moins dans le besoin que les Acadiens. Celui même des réfugiés de Saint-Pierre-et-Miquelon, chassés par l’occupation anglaise de 1793 et logés – ils sont une cinquantaine – dans l’ancien couvent des carmélites, jusqu’à ce que le ministre de l’Intérieur découvre que bon nombre sont en fait des marins ayant simplement l’habitude de pêcher dans les parages des îles. Et, surtout, celui des réfugiés de la Vendée, près de 10 000 à partir de mars 1793. Pour ceux-là, et pour la première fois sans doute, la solidarité est efficace, fondée sur l’hostilité commune aux « brigands », « bourreaux » et « fanatiques » vendéens. Dès le début mai, la Ville crée une caisse de secours, réquisitionne casernes et même prisons. À partir de février 1794, une réinstallation leur est proposée dans un des départements côtiers, du Pas-de-Calais aux Pyrénées, et en octobre un système d’indemnisation est mis en place sous la forme d’allocations mensuelles versées par l’État.

Avec l’aide de l’administration centrale pour ce qui est des allocations, inaugurées avec les Acadiens, et sur la base de la plus ou moins grande proximité idéologique ou nationale, Nantes acquiert ainsi l’expérience de l’organisation d’une solidarité qui se manifeste ensuite, selon des modalités très proches, pendant deux siècles.

Le choc des guerres mondiales

La question de l’accueil des réfugiés se pose à Nantes tout au long du 19e siècle, mais ne connaît d’acuité qu’en 1876, lorsque 500 carlistes espagnols sont hébergés sur de la paille dans des bâtiments loués aux Raffineries nantaises. Le plus souvent, il s’agit de cas isolés, ou de petits groupes, dont l’accueil dépend beaucoup de l’état de l’opinion, extrêmement favorable aux réfugiés polonais et nettement hostile aux carlistes en dehors des milieux légitimistes. La condition matérielle de ces réfugiés, cependant, varie peu : pour survivre, ils doivent exercer les métiers les plus divers, presque toujours très modestes, voire accepter d’œuvrer à l’achèvement du canal de Nantes à Brest dans le cas de libéraux espagnols arrivés en 1829. Le seul fait nouveau tient à l’intérêt dont la police fait preuve à l’égard de réfugiés désormais identifiables sur le plan idéologique.

Le choc est donc énorme en 1914, et cela d’autant plus que Nantes n’a presque pas été concernée par l’accueil des réfugiés d’Alsace-Lorraine en 1871. On retrouve ces derniers en 1914, après l’invasion de la Lorraine française, mais les 216 personnes recensées (en 1918) comptent peu à côté des quelque 3 000 Belges arrivés en août 1914. Jamais sans doute – à l’exception de 1793 – ne s’est mise en place à Nantes une telle organisation de l’accueil et de la solidarité, ce qui s’explique par l’atmosphère de patriotisme et de « fraternité d’armes » de l’été 1914. Reprenant – probablement sans le savoir – les méthodes de 1793, le maire Paul Bellamy organise très vite un comité de secours « aux réfugiés belges et français » présidé avec beaucoup d’efficacité par Émile Gabory, archiviste départemental, qui parvient à fédérer toutes les initiatives, publiques et privées, et à mobiliser très largement, en particulier les épouses de notables et leurs réseaux sociaux. La Ville fournit au total 60 000 repas gratuits, et le Comité 6 500 emplois pendant la durée de la guerre, sans compter l’accueil dans les écoles pour les enfants, et un soutien moral aussi développé que possible.

Il n’empêche que les Lorrains sont parfois traités comme des étrangers, et les Belges flamands comme des « boches » : le temps émousse les solidarités. Les conditions matérielles deviennent de plus en plus difficiles aussi, en matière de logement en particulier : pour limiter les abus de certains logeurs privés, la ville doit installer en 1915 300 paillasses dans un bâtiment de planches abritant jusque-là, cours Saint-Pierre, des spectacles de music-hall, et 80 lits dans une maison en instance de démolition rue du Marchix…

Le sort du réfugié dépend donc bien, avant tout, du contexte nantais, ou national bien sûr. La poussée xénophobe de l’entre-deux-guerres et la peur de contagions révolutionnaires se traduisent, ainsi, par le renforcement des mesures de police individuelles et les expulsions ciblées de militants. La réelle sympathie – certes pas unanime – à l’égard des victimes de la guerre civile en Espagne conduit militants et municipalité du Front populaire à des gestes parfois forts de solidarité. Mais tout cela est emporté par la débâcle de 1940 : alors que le département compte déjà plus de 200 000 réfugiés le 17 juin 1940, dont 65 000 Belges, Hollandais et Luxembourgeois, à peu près rien n’est organisé : le contraste est criant avec la situation de 1914, et le souci exclusif est d’encourager les réfugiés à rentrer le plus tôt possible chez eux, ce que permet la fin des combats, si bien que les réfugiés de la guerre resteront bien plus, dans les mémoires, les Nantais qui ont fui la ville après les bombardements de 1943…

Une situation banalisée

Le cas nantais semble se banaliser après 1945, et cela d’autant que plus aucun réfugié n’arrive par mer, ce qui réduit le nombre de nouveaux venus dans la ville. En 30 ans ainsi, Nantes n’accueille que 41 réfugiés des « pays de l’Est », et les quelques Chiliens arrivés après le coup d’État du général Pinochet se retrouvent à Nantes le plus souvent par hasard : pour quelques-uns par exemple, en raison de liens avec le curé de la paroisse Saint-Michel de la Croix-Bonneau, qui a exercé auparavant son ministère au Chili.

À certains égards, le cas des rapatriés d’Algérie, en 1962, peut sembler aussi banal, dans la mesure où le nombre de personnes concernées est relativement modeste, et la solidarité largement organisée à l’échelle nationale. Le contexte national l’emporte d’ailleurs incontestablement à partir de cette époque. Ainsi l’élément idéologique, et médiatique, joue-t-il beaucoup en faveur des réfugiés d’Asie du Sud-Est, arrivés à partir de 1975 : les offres d’emploi qui leur sont faites dépassent même les demandes.

Ce cas est sans doute le dernier exemple « classique » de réfugiés. Depuis 1993 prime en effet une volonté politique nouvelle, qui fait – mais plutôt moins à Nantes qu’ailleurs, semble-t-il – du demandeur d’asile un suspect au sort souvent assimilé à celui du délinquant passible d’expulsion. Et une réalité nouvelle aussi : plus que jamais sans doute, les réfugiés fuient la misère autant que la violence, dans une mesure qu’il est bien impossible d’apprécier. Le résultat de cette double mutation est la raréfaction du nombre des réfugiés reconnus, et la multiplication de celui des « sans papiers » : nous entrons dans un autre univers.

Alain Croix
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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