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Thétis Maillé-Brézé

Ancienne tenue de Bellevue (Saint-Clément)


Le nom Bellevue évoque surtout aux Nantais le quartier de l’ouest de Nantes, ou bien le lieu-dit de la commune de Sainte-Luce-sur-Loire où aboutit le pont du même nom. Cependant, une propriété du faubourg de Richebourg portait ce nom désormais tombé dans l’oubli.

Ce lieu, dont la présence humaine est attestée dès l’âge du bronze, bornée au sud par une chaussée romaine, a traversé les siècles et les événements de l’histoire de Nantes tout en conservant son aspect bucolique grâce à l’implantation d’un jardin botanique au 19e siècle : le Jardin des Plantes.

Un dépôt de fondeur

Au cours du mois de décembre 1867, Louis Ménard, un ouvrier qui creusait une tranchée au Jardin des Plantes, fit une découverte archéologique en mettant à jour un vase à fond plat de 40 centimètres de haut et 20 centimètres de large, « en terre rouge grossière » qui ressemblait à un pot de fleurs.

Dépôt de l’âge de bronze

Dépôt de l’âge de bronze

Date du document : 17/03/2006

En le brisant de sa pioche, il découvrit plus de 150 fragments de bronze recouverts « d’une admirable patine verte » . La découverte est confiée à François Parenteau, conservateur du Musée d’archéologie, à cette époque installée dans la chapelle de l’Oratoire. Ce trésor se compose de haches à douille, de fragments d’épée, de couteaux, d’anneaux ou bien encore de petites enclumes. La raison pour laquelle ces objets sont déposés et enterrés dans le sol questionne toujours les chercheurs ; une hypothèse avance que ces fragments aient été mis à l’abri dans l’attente d’une refonte ultérieure. La datation de ce dépôt daterait de l’âge du bronze final (de -1400 à -800).

Trésor du Jardin des Plantes

Trésor du Jardin des Plantes

Date du document : 1868

Un ancien ruisseau comme frontière

Lors des fouilles effectuées près du lieu de la découverte, l’enlèvement des terres argileuses a « permis de reconnaître le lit desséché d’un ancien ruisseau »; ce cours d’eau, ancienne alluvion de la Loire « d’importance médiocre », venait se jeter dans l’étier de Mauves quelques centaines de mètres plus bas après avoir traversée la rue Richebourg dont le tracé correspond à une ancienne voie romaine qui partais de Portus Namnetum (Nantes) pour rejoindre la cité de Juliomagus (Angers).

Bellevue était bornée à l’est par ce ruisseau dont le tracé incertain coupait en deux les terrains de l’actuel Jardin des Plantes et qui marquait la limite entre les paroisses de Saint-Clément et Saint-Donatien.

D’un vignoble médiéval dévasté à une propriété embellie

La présence de la vigne, souvent propriété de membres du clergé, est attestée dans la paroisse Saint-Clément dès le Moyen Âge, mais également dans la paroisse voisine de Saint-Donatien. À la Bouteillerie, propriété située à quelques dizaines de mètres de Bellevue, y sont mentionnés de la vigne et un pressoir au début du 14e siècle. Lors du siège de Nantes de l’été 1487, les troupes royales françaises, opposées au duc de Bretagne François II, s’installent autour de la cité ducale. À l’est du château, les faubourg de Saint-Clément et de Richebourg sont occupés et y ont installé des « batteries puissantes qui pilonnent la ville et provoquent d’importants dégâts ». Bellevue (qui ne s’appelle pas encore ainsi), propriété du prieuré de Sainte-Croix qui dépend de l’abbaye des Bénédictins de Marmoutier, subit des dommages lors du siège. Elle est vendue 19 ans plus tard, en 1506, à Pierre Choque, premier héraut de la reine de France Anne. Sa famille possède déjà une terre dans les environs de Bellevue, comme l’indique un aveu datant d’août 1494 mentionnant les « hoirs (héritiers) Jan Choque ».

D’une terre « ruineuse », Pierre Choque en a fait un beau jardin. Il y a fait édifier sa demeure et dénomme sa propriété « Bellevue ». La maison se situait approximativement à l’emplacement de l’actuelle « statue des cerfs » au Jardin des Plantes. Une vigne est replantée ainsi que des arbres fruitiers comme l’indique une lettre de Anne de Bretagne lors de l’anoblissement de la maison de Bellevue en mai 1509. La reine Anne décrit la propriété comme étant « décorée de beaux vergers, jardins, vignes et autres embellissements ». Cette partie du faubourg de Richebourg semble inspirer les différents propriétaires des terres voisines qui baptisent leurs belles terres : Belesbat, Bellestre (contigu à Bellevue) ou bien encore Beauvoir-sur-Loire.

Pierre Choque a fait clore son verger d’une muraille ; une haie, ainsi qu’un fossé (sans doute le ruisseau) séparent ses terres de celle de Bellestre.

Les années passent et Bellevue n’est plus propriété de la famille Choque comme le prouve des aveux rendus par Jacques Pares en 1555 et 1559. Une vingtaine d’années plus tard, c’est au tour de Mathurin Boutard, capitaine de Saint-Clément, de devenir seigneur de Bellevue. C’est lui et sa famille qui vendront la propriété par portions à la congrégation des Ursulines venues s’établir à Nantes en 1627.

Du jardin des Ursulines au Jardin des Plantes

L’ordre de Sainte-Ursule, fondé en 1535, est principalement voué à l’éducation des jeunes filles. En mars 1627, les sœurs arrivées de Saumur s’installent dans le faubourg de Richebourg, dans un logement provisoire « aucunement commode ». Quelques mois plus tard, en juillet, la Mère Marguerite de Berty qui dirige ce couvent fait l’acquisition d’une partie de la tenue de Bellevue. Au fur et à mesure des années, les Ursulines prennent possession de propriétés voisines comme la Colletterie ou Malvoisine ; la perte de cette dernière pour y installer le séminaire sera compensée par l’acquisition de l’intégralité de Bellevue en 1637, puis de Bellestre en 1678.

Plan géométral du couvent des Ursulines et de l’ancienne tenue de Bellevue

Plan géométral du couvent des Ursulines et de l’ancienne tenue de Bellevue

Date du document : 1711

La propriété de Bellevue est une prairie jusqu’à son acquisition par la Ville de Nantes pour y établir le Jardin des Plantes au début du 19e siècle. Chassée en 1791 avec les autres Ursulines, la sœur Aimée de Jésus (née Madeleine Françoise Trébuchet, tante de l’écrivain Victor Hugo) décrit en 1854 à Jean-Marie Écorchard, directeur de Jardin des Plantes, les cultures qui composaient au temps de sa jeunesse la partie occidentale du jardin du couvent :

« La prairie située à l’ouest de cette allée, communiquait avec le jardin de la communauté, aujourd’hui du Lycée, par une grille de fer, flanquée à droite et à gauche de superbes amandiers, et était séparée de la tenue par une haie vive plantée d’aubépine et de noisetiers, en dehors de laquelle coulait un ruisseau qui fournissait aux religieuses du cresson superbe de bonne qualité. Cette prairie renfermait un noyer gigantesque et un petit labyrinthe de noisetiers adossé à la haie de l’est. »

Une cour plantée de 38 superbes noyers est également mentionné comme communiquant avec la prairie et sur une autre petite cour donnant sur la rue. Écorchard précise que la maison qui accompagnait la cour (très certainement la maison édifiée par Pierre Choque au début du 16e siècle) a été détruite « l’hiver dernier » ( hiver 1853/1854). Enfin, on y trouvait un beau pin parasol (ou pin pignon), doyen des arbres du Jardin des Plantes qui « était déjà grand » lorsque la sœur Aimée de Jésus quitta le couvent à ses 23 ans. Cet arbre, qui chutera lors d’une tempête de neige au début du 20e siècle, était en ce temps le dernier témoin de Bellevue et du jardin des Ursulines.

Vue du Jardin des Plantes (1878)

Vue du Jardin des Plantes (1878)

Date du document : 1878

Aujourd’hui, au Jardin des Plantes, si le nom de Bellevue a été presque oublié, son souvenir perdure dans la beauté du paysage qui est un plaisir pour les yeux.

Kevin Morice
Archives de Nantes
2024

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En savoir plus

Bibliographie

Parenteau F., « Découverte du Jardin des Plantes de Nantes », Bulletin de la Société archéologique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, 1868

Parenteau F., Le fondeur du Jardin-des-Plantes et son confrère de Rezé, Broché, 1868

Santrot Jacques, Les doubles funérailles d’Anne de Bretagne. Le corps et le cœur (janvier-mars 1514), Droz, Genève, 2017, 725 pages

Union Romaine de l’ordre de Sainte-Ursule, Les Ursulines à Nantes de 1627 à nos jours, Communauté des Ursulines de Blanche de Castille, Nantes, 1970

Ressources Archives départementales de Loire-Atlantique

B51
G258
H136

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Kevin Morice

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