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Presse


Nantes est la seule grande ville de France où le quotidien le plus vendu n'a pas son siège puisque Ouest-France est un journal rennais. Cette singularité renvoie à la distance longtemps entretenue entre un arrière-pays et une ville qui n’a pas donné naissance à une véritable presse régionale capable de rayonner bien au-delà du département.

Pourtant la presse nantaise peut se flatter d’une longue histoire. Son premier titre,  Les Affiches, remonte à 1757. Après Lyon, Nantes est la deuxième ville de province à publier ces Affiches qui sont, avant tout, un journal de petites annonces, d’informations pratiques faisant la part belle à l’activité portuaire : mouvement des navires, prix des marchandises étrangères, sans oublier des articles dont les titres témoignent des préoccupations des lecteurs : « Comment, par l’aloès, préserver le fond des navires de l’attaque des vers à tuyau ? »

En 1782, La Correspondance maritime voit le jour. Cette publication bimestrielle est une feuille économique, également diffusée à Bordeaux, et livrant aux armateurs des informations professionnelles. La Correspondance maritime, qui se transforme en Feuille maritime, est la création d’un nouveau venu à Nantes, Louis-Victor Mangin, le fondateur d’une dynastie de patrons de presse qui joue un rôle central durant une bonne part du 19e siècle.

1793, un événement fondateur

En juin 1793, Nantes est cernée par l’armée « catholique et royale ». Elle est devenue un enjeu stratégique qui cristallise le lourd ressentiment des campagnes à l’égard de la ville. Les Nantais infligent aux assaillants leur première grande défaite. Cet événement contribue à structurer, pendant au moins un siècle et demi, l’affrontement entre Bleus et Blancs, républicains et monarchistes, qui recoupe en partie le clivage entre citadins et ruraux. C’est ainsi qu’un siècle après le siège, Nantes dispose de six quotidiens dont l’éventail idéologique témoigne de la prégnance des affrontements : L’Espérance du peuple, héritière de L’Ami de l’ordre, puis de L’Hermine, est le quotidien royaliste ; Le Phare de la Loire est républicain, tout comme Le Progrès de Nantes et Le Populaire, de tendance radicale. Les seules vraies nouveautés par rapport à la période révolutionnaire sont un quotidien bonapartiste, L’Union bretonne, et Le Nouvelliste de l’Ouest, organe des catholiques ralliés à la République. Tout au long du siècle, une bonne part du débat politique se joue autour de la liberté de la presse. Napoléon contrôle la presse d’une main de fer. En Loire-Inférieure, le préfet se félicite que Le Publicateur de Nantes et de la Loire-Inférieure soit « rédigé dans un fort bon esprit ». Sous la Restauration, un autre préfet apporte son soutien au même journal : ne contrebalance-t-il pas « les funestes effets de la feuille révolutionnaire du sieur Mangin » ? La feuille en question n’est pas La Feuille maritime, mais une publication paraissant tous les deux jours, L’Ami de la Charte, lancée en 1819 par Louis-Victor Mangin et son fils, Charles-Victor. Charles-Victor Mangin radicalise le journal qui soutient, sans succès, les candidats libéraux aux législatives contre ceux du gouvernement. Amendes, saisies et même condamnations à la prison pleuvent. Mais le journal se développe ; sa renommée, à défaut de sa diffusion, dépasse les frontières du département. En 1837, L’Ami de la Charte devient le National de l’Ouest, en référence au National, le quotidien républicain lancé à Paris par Adolphe Thiers en 1830, qui joue un rôle dans la chute de Charles X.

 <i>Annonces et affiches</i> 

 Annonces et affiches 

Date du document : 03-01-1772

Au-delà du rôle de la dynastie Mangin, des évolutions de fond modifient le paysage de la presse en Loire-Inférieure. L’importance de l’illettrisme et le prix des journaux – un abonnement représente le dixième du salaire d’un ouvrier – rendent leur diffusion marginale pendant le premier tiers du 19e siècle. Des initiatives commerciales (le « journal à un sou »), des innovations techniques (le chemin de fer arrive à Nantes en 1851, le télégraphe un an après, l’invention de la rotative puis des linotypes), l’assouplissement, dès la fin du Second Empire, de la législation sur la presse avant le vote, en 1881, de la loi la plus libérale d’Europe, l’alphabétisation, l’intensité des luttes politiques : tous ces phénomènes modifient la nature de la presse. On passe progressivement d’une presse de notables à une presse populaire alors que Nantes devient le centre de la première concentration industrielle de l’Ouest.

Charles-Victor Mangin avait accueilli avec joie la chute de Louis-Philippe et la naissance, en février 1848, de la Deuxième République. Il est de ceux qui plantent un arbre de la Liberté sur la place Royale, rebaptisée place de la Liberté, en compagnie de Benjamin Clemenceau, le père de Georges, en présence de Jules Vallès, alors lycéen à Nantes. Et c’est avec détermination que Mangin proteste contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. En décembre 1851, Le National est suspendu ; Le Phare de la Loire, jusque-là simple supplément commercial, lui succède en janvier 1852. Ce sera le principal quotidien nantais jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Des Mangin aux Schwob

Les Mangin – Évariste, le frère de Charles-Victor, lui succède à sa mort, en 1867 – poursuivent leur guérilla contre le pouvoir. Ils reçoivent des renforts de poids, comme celui de Victor Hugo, fils de la Nantaise Sophie Trébuchet, l’un des premiers abonnés du Phare, qui leur adresse, depuis Guernesey, une lettre de soutien après deux mois de suspension pour « insulte à la personne de l’Empereur ».

La Troisième République offre les conditions politiques d’un épanouissement de la presse. À côté du Phare se créent L’Indépendance de l’Ouest, qui ne vit que trois ans, et surtout Le Populaire, hebdomadaire radical devenu quotidien en 1886. Mais le principal événement est la passation de pouvoir au Phare, la fin de la dynastie Mangin. Endetté malgré la bonne santé de son journal, Évariste vend le journal à George Schwob en 1876. Introduit dans les milieux littéraires parisiens, fortuné, conseiller municipal de Tours, franc-maçon comme Mangin, George Schwob va jouer, avec son fils Maurice, un rôle comparable à la lignée des Mangin, jusqu’à la vente du journal, en 1928.

De l’affaire Dreyfus à la loi de séparation des Églises et de l’État, les occasions ne manquent pas de réactiver le clivage entre Bleus et Blancs. D’un côté, Le Phare de la Loire et Le Populaire, à la tonalité républicaine, laïque, modérée, bien en phase avec les municipalités successives qui gouvernent Nantes, qu’André Siegfried décrit alors comme un « îlot moderne », si étranger aux campagnes environnantes. Gaston Veil, le directeur du Populaire, devient d’ailleurs maire, pour quelques mois seulement, en 1928. À leur gauche, Le Combat de Nantes et de l’Ouest, l’hebdomadaire socialiste fondé par Charles Brunellière. Face à eux, L’Espérance du peuple, très lue par une partie du clergé et les aristocrates.

Curieusement, l’un des événements les plus marquants pour la presse de Loire-Inférieure se situe hors du département, et on apprécie mieux encore son retentissement avec le temps. Le 2 août 1899, L’Ouest-Éclair voit le jour à Rennes, à l’occasion de la révision, dans cette ville, du procès Dreyfus. Il est fondé par un avocat brestois, Emmanuel Desgrées du Loû, et par Félix Trochu, l’un de ces « abbés démocrates » ralliés à la République. Le titre de ce journal dit assez que le nouveau quotidien entend rapidement sortir des limites de l’Ille-et-Vilaine et devenir un grand quotidien régional, à l’instar du Progrès à Lyon et de La Dépêche à Toulouse – ce que ne sera jamais véritablement Le Phare. L’abbé Trochu est un patron de presse particulièrement dynamique. Il vient défier les quotidiens nantais sur leur propre terrain alors que ces derniers n’ont jamais été soucieux de prendre pied à Rennes.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Le Phare continue à paraître, tout comme L’Ouest-Éclair. À la Libération, tous deux changent de titre et de propriétaires. Le Phare devient La Résistance de l’Ouest qui se transforme en Presse Océan en 1960, puis absorbe L’Éclair, l’héritier du Populaire. De son côté, L’Ouest-Éclair se mue en Ouest-France, aujourd’hui le premier tirage de la presse quotidienne française. Ouest-France rachète Presse Océan en 2005. C’est l’acte final d’une longue bataille entre François Régis Hutin, le président-directeur général du quotidien rennais, et Robert Hersant, né en 1920 à Vertou dans la banlieue de Nantes. Ce dernier, qu’on a surnommé « le papivore », achète, en 1960 L’Éclair, dont André Morice, le futur maire de Nantes, est le directeur politique. En 1981, il prend le contrôle de Presse Océan.Quelques années après sa mort, en 1996, son groupe, la Socpresse, est repris par l’industriel Serge Dassault qui revend rapidement Presse Océan ainsi que les quotidiens du Mans et d’Angers au groupe Ouest-France. D’Arthur Young à Julien Gracq en passant par André Siegfried, de nombreux analystes ont insisté sur la coupure de Nantes avec le pays qui l’environne. Cette particularité enracinée dans le temps long est probablement la clé des mouvements récents de la presse nantaise. Conformément aux engagements pris lors de leur rachat, Presse Océan, Le Courrier de l'Ouest et Le Maine libre ont conservé leur autonomie rédactionnelle. Il n'est pas certain que cette situation dure. À l'automne 2018, moins d'un an après la disparition de son président-directeur général François Régis Hutin, la direction du groupe Ouest-France a annoncé des économies d'échelle passant par la fermeture de plusieurs rédactions locales. L'émotion suscitée par cette décision l'a conduite à y surseoir, mais à Nantes Ouest-France et Presse Océan partagent désormais les mêmes locaux...

La presse nantaise ne se limite pas aux quotidiens régionaux. Malgré plusieurs tentatives, dont celle de La Tribune, de 1982 à 1987, aucun hebdomadaire ne s’est implanté durablement. Mais ces dernières années de nombreuses publications ont vu le jour même si certaines ont disparu trop rapidement : « l’irrégulomadaire satirique » La Lettre à Lulu, le magazine des professionnels du spectacle La Scène autour duquel s'est constitué le groupe de presse professionnelle M Média, la lettre d’information économique API (Atlantic press information), le magazine Terra Eco consacré à l’environnement, la revue trimestrielle Place publique, Le Journal des entreprises, le magazine Fragil, le mensuel culturel Pulsomatic…sans parler des déclinaisons locales des quotidiens gratuits ou de la presse des collectivités locales. Utilisant souvent à la fois les ressources du papier et de l’Internet, ces journaux témoignent de la soif d’information des Nantais, intacte même si elle vient souvent s’alimenter à de nouvelles sources. La création, en 2017, d'une déclinaison nantaise de Médiacités, un journal d'enquête en ligne présent dans plusieurs métropoles françaises, en est un bon exemple.

Thierry Guidet   
Extrait du Dictionnaire de Nantes
2018
(droits d'auteur réservés)

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En savoir plus

Bibliographie

Cozic, Jean-Charles, Garnier, Daniel, La presse à Nantes de 1757 à nos jours, 3 vol., L’Atalante, Nantes, 2008-2009

Manceron, Paul, « Les journaux nantais de 1848 à 1900 »,  Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, n°95, 1956, p. 130-149, n°96, 1957, p. 151-171

Raison, Jean-Pierre, Le quotidien d’un O.S. du journalisme : l’édifiant témoignage d’un correspondant de presse nantais, Le Petit Pavé, Angers, 2011

Sorel, Patricia, « La distribution de la presse dans une ville de province : l’exemple de Nantes », dans Feyel, Gilles (dir.), La distribution et la diffusion de la presse, du 18e siècle au 3e millénaire, Éd. Panthéon-Assas, Paris, 2002

Sorel, Patricia, La Révolution du livre et de la presse en Bretagne (1780-1830), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2004

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Thierry Guidet

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