Usages portuaires
A Nantes, lors de chaque nouvelle phase de mutation du port, la gestion de l’espace portuaire se complexifie. Géré par les armateurs ou les bateliers jusqu’au début du 18e siècle, le port passe sous gestion communale en 1741 avec la création d’un office de « capitaine du port », également appelé « maître de quay au port et havre de Nantes » dont le rôle est d’organiser l’amarrage des bateaux et de faire appliquer la police du port.
Mais avec la réintégration des rives dans le domaine de l’Etat, la gestion du port devient problématique. Le capitaine du port conserve son rôle mais compose avec les Ponts-et-Chaussées qui gèrent les éléments constitutifs du port et avec la Chambre du commerce qui fait valoir les intérêts des utilisateurs et gère une grande partie des équipements et matériels (privés et publics).
  La cale de la machine  
Date du document : 1817
Le partage des rôles est sensible dans la reconstruction du bureau du port (actuelle maison de la mer) en 1883. Cette reconstruction est commandée par les Ponts et Chaussées qui en profitent pour transformer la distribution interne : les ingénieurs s'installent à l'étage noble tandis que les « marins » sont relégués au rez-de-chaussée.
Des espaces à l'usage du port maritime
L’intégralité des quais maritimes ou fluviaux sont utilisés pour des usages commerciaux par les marchands, armateurs et entrepreneurs nantais.
Photographie du pont transbordeur
Date du document : Début du 20e siècle
La charge et la décharge des navires est de loin l’utilisation la plus courante des quais du port de Nantes dont le règlement stipule que les navires ne doivent pas rester plus de vingt-quatre heures à quai et que les matériaux déchargés ne peuvent être laissés sur le quai plus de vingt-quatre heures afin de ne pas ralentir le trafic. L’étiage qui est régulièrement trop bas complique cette tâche car les bateaux sont fréquemment amarrés à plusieurs mètres, voire plusieurs dizaines de mètres du quai. Chargement et déchargement s’effectuent donc au moyen de planches placées entre les bateaux et les quais, ou par l’entremise de barques et de gabarres.
Les matériaux sont rapidement transportés dans les entrepôts, les magasins ou les lieux de décharges privés, situés le plus souvent en arrière des maisons des fronts urbains.
En aval de Nantes, l’encombrement des quais du port du Pellerin lors de la période de récolte des foins est bien connue au 19e siècle et parfois source de vives tensions entre habitants et usagers du port. Dès 1841, un règlement de police du port est établi et précise notamment que « les marchandises ne pourront être déposées sur les cales et les quais plus de vingt-quatre heures afin d’éviter un trop grand encombrement sur le port ». Pourtant, cette situation d’encombrement temporaire des quais du Pellerin par les meules de foin et de roseau ne semble toujours pas résolue en 1864. C’est ce qu’indique une lettre de l’ingénieur en chef Jégou adressée au préfet de Loire-Inférieure suite aux plaintes du Receveur des Domaines installé au port du Pellerin : « Le commerce des foins au Pellerin a une importance considérable. C’est là qu’une multitude de cultivateurs viennent de l’intérieur des terres chercher les foins et roseaux provenant des îles de la Loire. Il y a donc inévitablement, pendant deux ou trois mois chaque année, une occupation, voire même un encombrement, qu’il faut tolérer, sous peine d’infliger à l’agriculture un grave préjudice. La matière peut être réglementée, on peut modérer l’usage ; mais on ne saurait l’interdire. J’en conclus que M. le Receveur des Domaines n’a pas été prudent en s’installant, avec les précieux registres qu’il a mission de conserver, aux bords du quai, dans une situation dont il était parfaitement en mesure d’apprécier les inconvénients et les dangers. Que répondrait-on à un comptable qui, ayant été se loger à Nantes, sur le quai Moncousu, demanderait la suppression du port aux foins ? M. Brillaud Laujardière agirait sagement en transportant son domicile à une distance du quai aux foins qui le met à l’abri du péril d’incendie ».
Au-delà des chargements, les quais sont également l’espace de travail privilégié d’activités nocives ou encombrantes qui ne trouvent pas d’autres places dans la ville. C’est ainsi que durant le 18e siècle l’on éteint de la chaux à plusieurs endroits des quais et notamment sur le quai des Oranges (actuelle Bourse) et le quai du Port-Maillard. La poussière et la fumée dégagées par cette activité remplissent les boutiques et appartements voisins au point de détériorer marchandises et meubles, et de nuire à la santé des habitants. Les multiples plaintes des habitants des nouveaux fronts urbains vont amener la municipalité à interdire cette activité après avoir pris conseil auprès des villes de Lyon, Rouen et Bordeaux.
Arrêté de suppression de l'extraction de la chaux vive sur le quai du Port Maillard
Date du document : avant 20e siècle
Autres professionnels à l’activité encombrante, les déchireurs de bateaux qui déchirent et réduisent en bois de chauffage les sapines du pays haut – petit bateau conçu pour un seul voyage entre le Haut-Allier et Nantes – sont assignés à pratiquer leur activité dans le bras de Pirmil. Pourtant, il est fréquent qu’ils soient dans l’obligation de s’occuper des embarcations endommagées ou coulées sur les quais où celles-ci se situent préemptant ainsi un espace non négligeable des quais jusqu’à la fin de leur mission.
Enfin, les quais sont également le lieu de travail privilégié des ingénieurs du service des Ponts et Chaussées et du capitaine du port et de ses lieutenants. Les premiers parcourent dans tous les sens les 21 km de quais construits à Nantes afin de suivre l’avancée des travaux, de gérer les difficultés, d’effectuer des constats, des études pour planifier les travaux. Les seconds s’assurent que le règlement du port est respecté par tous.
Des espaces à l'usage des habitants
Outre les professionnels, la plupart des quais, et en particulier les quais du port fluvial, sont également des espaces qui offrent de nombreux services aux habitants.
  Nantes sur Loire  
Date du document : 1824
Bateaux-lavoirs, péniches-bains, péniches-piscines s’amarrent sur ces quais ; bacs et roquios permettent de se déplacer sur la Loire ; commerces et lieux de sociabilités s’ouvrent sur le front urbain. Les quais sont également utilisés pour abreuver les bêtes qui vivent sur les deux rives principales et sur les îles.
En constante augmentation dans une ville en pleine expansion, les bateaux-lavoirs qui sont amarrés dans tous les bras de Loire sont sans aucun doute le service le plus recherché par la population. Aux 18e et 19e siècles, ces bateaux appartiennent à des propriétaires rentiers qui les louent à des laveurs ou sont l’unique ressource d’anciens travailleurs pauvres qui ont économisé une grande partie de leur vie pour pouvoir devenir propriétaires de ce bien.
C’est également, à la fin du 19e siècle, un service qui est proposé à toutes les classes sociales puisque chaque bateau-lavoir doit réserver un banc pour les indigents qui y lavent leur linge gratuitement.
Pont de Belle-Croix
Date du document : 10-11-1905
Vraisemblablement à cause des faibles revenus générés par de nombreux établissements, les enquêtes menées par les administrations de gestion du port, dès 1841, démontrent que ces bateaux sont fréquemment en mauvais état. Le service des Ponts et Chaussées qui leur délivre les autorisations de stationnement temporaire essaie durant toute la seconde moitié du 19e siècle d’en limiter nombre car ces bateaux fixes compliquent la circulation, l’amarrage et le déchargement des navires. Cette initiative ne connaîtra pas le succès jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle et l’arrivée de la machine à laver dans les foyers français.
Plan du pont à transbordeur de la Fosse à Nantes
Date du document : 1899
Une fois le linge lavé, les quais à proximité des bateaux-lavoirs se couvrent de perchers où les lavandières font sécher le linge. Elles doivent composer avec la présence des autres activités et se trouvent fréquemment cantonnées dans des espaces trop exigus où seules une partie d’entre-elles peuvent travailler. Appelées « Andouillers », de nombreux étendoirs parsèment les rives du port de Basse-Indre et servent autant à faire sécher le linge que les filets de pêche.
Utilisant également l’eau de la Loire, les établissements de bains commencent à amarrer leurs péniches au 18e siècle. Ces bateaux, à l’intérieur cossu, proposent à une clientèle un peu aisée des salles de bains individuelles pourvues de baignoires. Celles-ci sont alimentées par l’eau pompée dans la Loire, filtrée et chauffée par l’établissement. Une fois usagée, l’eau est rejetée dans le fleuve. Sur le quai, les établissements, tel les Bains nantais, se signalent souvent par des portails ouvragés en bois. Jouxtant les espaces de travail dévolus aux navires marchands, leur présence est vécue comme une gêne par les autorités du port.
Bains Nantais
Date du document :
Si les activités liées à l’eau ont la prééminence sur les quais de Loire, ceux-ci sont également utilisés pour des usages agricoles. Outre le déchargement du foin et de l’osier, de nombreuses cales servent d’abreuvoir aux bêtes qui vivent sur les deux rives principales et sur les îles. Pour cet usage, la construction des quais a été préjudiciable aux communautés car l’angle des cales et leur hauteur par rapport à l’étiage complique l’amenée des bêtes à l’eau pour les agriculteurs ou les loueurs de chevaux et de voitures hippomobile.
Le produit de la pêche est également écoulé sur les quais. Les bateaux arrivent chargés sur la grève de la proue occidentale de l’île Feydeau ou à la porte de la Poissonnerie.
Grève de la Fosse
Date du document :
Les femmes de pêcheurs récupèrent les paniers de poissons et lancent la criée qui se déroule au milieu des autres activités locales. Au village de Haute-Indre, un arrêté préfectoral autorise en 1900, l’établissement d’une boutique à poissons en Loire, devant la digue du port.
Parallèlement à ses usages, les déplacements sur la Loire nécessitent également des emplacements sur les quais pour amarrer et signaler des pontons. Jusqu’au début du 19e siècle, le bac, dont les points de montées et de descentes sont peu nombreux, est le moyen de transport privilégié pour se rendre sur la rive sud ou sur les îles. Mais, l’arrivée du bateau à vapeur va changer les modes de déplacement.
Vers 1830, un premier embarcadère de bateaux à vapeur est construit près du bureau du port - actuelle maison de la mer. Puis, dans la deuxième moitié du 19e siècle, la société des Messageries de l’Ouest, attributaire du bail public des bacs, installe plusieurs appontements sur les quais et affrète des roquios pour faire les trajets réguliers sur la Loire. Ces transports de voyageurs nourris obligent à modifier certains aménagements des quais comme les échelles qui entravent l’embarquement et le débarquement des ouvriers, en particulier des femmes et des vieux et sont remplacées par des escaliers à paliers.
Nantes, après l'écroulement du pont Maudit
Date du document : 16-07-1913
En 1929, la société des Messageries de l’Ouest fait construire son siège à l’embarcadère du bureau du port auquel les voyageurs accèdent par la promenade de la Fosse. Ce nouveau bâtiment, reconnaissable grâce à ses lambrequins de bois, devient un point important dans la topographie du port.
Abandonné après la Seconde Guerre mondiale et l’avènement de la circulation automobile, les transports fluviaux ont été réhabilités sur le quai de la Fosse en 2005 pour proposer une jonction Nantes-Trentemoult. Enfin, les quais de Nantes sont également des lieux de sociabilité où mariniers des haut et bas pays et marins au long cour côtoient les Nantais dans des établissements de chambres à louer ainsi que dans des commerces variés et, en particulier des cafés, brasseries et restaurants. Les quais sont également, grâce à la présence des marins, l’un des espaces privilégiés pour la prostitution qui s’exerce dans des maisons closes jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette activité donne le surnom de « quai de la Fesse » au quai de la Fosse.
Outil de développement du port et d’aménagement urbain, les quais du port de Nantes sont donc également des lieux de vie et de travail utilisés quotidiennement par la population nantaise. Les occupations des communautés fluviales voisinent avec celles du port et du grand commerce grâce à un règlement très strict.
Direction du patrimoine et de l'archéologie, Ville de Nantes / Nantes Métropole ; Service du Patrimoine, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Inventaire du patrimoine des Rives de Loire
2021
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Anciens entrepôts de la Chambre de Commerce quai Saint-Louis
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Rédaction d'article :
Julie Aycard
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