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1701

Nantes la bien chantée : Le Déserteur de Guéméné


Un jeune soldat, déserteur par amour, est repris par les autorités. Il est ensuite jugé et condamné à la peine capitale. Peu avant l’exécution, un messager apporte la grâce du condamné.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le personnage du déserteur est assez récurrent dans les chansons mettant en scène des militaires et, somme toute, le petit chef-d’œuvre de Boris Vian paru en 1954 s’inscrit dans une forme de tradition poétique qu’il ne semble pas inutile d’évoquer ici. En sa qualité de personnage romanesque, le déserteur stimule l’imaginaire car il est le symbole de la transgression, de l’opposition à l’autorité - militaire cette fois, mais comparable à plus d’un titre à l’autorité parentale -, du goût de l’aventure et du danger. Précisons toutefois que le déserteur dans la chanson traditionnelle ne l’est jamais par conviction morale ou politique mais par amour - à l’inverse des déserteurs de Boris Vian ou de Gilles Servat -, ce qui le rend presque acceptable et fréquentable pour la morale commune et publique des temps anciens. Des temps anciens ? A voir.

Nantes, dans le texte

Cette version peut nous intéresser entre autres motifs parce qu’elle prend un soin particulier à s’ancrer dans une géographie qui nous est familière : le déserteur est un gars de Guémené – un chauvinisme raisonnable nous incitera à opter pour Guémené-Penfao plutôt que Guémené-Sur-Scorff - et c’est sur la place du Bouffay qu’il est censé payer pour ce qui était en d’autre temps considéré comme un crime. Il n’est pas interdit de penser que ceci relève d’un arrangement de l’informatrice d’Abel Soreau car c’est la seule version, à ma connaissance, faisant explicitement référence à la ville de Nantes et plus précisément à la Place du Bouffay.

Une histoire romanesque à souhait

La chanson débute sur le choix de la désertion, histoire de planter le décor, puis vient le moment où le déserteur est confronté à l’autorité. Comme de juste, il est mis aux arrêts et enfin condamné. Tout ceci est raconté dans le détail, jusque dans l’échange entre le déserteur et la maréchaussée, conversation qui contient cette expression un peu mystérieuse du « congés pris sous la semelle (ou à la semelle) de ses souliers ». Cette expression mériterait une recherche spécifique mais, en l’état, je pense qu’il faut comprendre que le héros se tamponne littéralement d’un document qu’il ne possède pas, en tout cas pas tamponné, justement.
Le récit ménage ses effets et ne précise pas - pas dès le début - les motifs de la désertion. On nous raconte simplement qu’il a voulu déserter. Soit. On verra que c’est seulement lors du coup de théâtre qui précède le dénouement que l’on aura le fin mot de l’histoire, c’est le cas de le dire : le déserteur n’est pas un couard qui a fui devant l’ennemi mais un amoureux qui se languissait de sa belle.
Le plus souvent, le déserteur - ils sont parfois trois -, vient de la ville d’Angers ou du régiment d’Angers. En fait, ceci n’a probablement pas une grande importance et chaque interprète peut choisir à sa guise l’origine géographique du héros, à condition toutefois de respecter la coupe : l’assonance en « é » fonctionne avec Angers comme avec Guémené et l’on peut tout aussi bien y aller de son petit arrangement personnel en prenant Couffé, Plessé, Besné, Legé, Riaillé, Rougé… pour ne citer que des patelins de Loire-Atlantique.

Etonnants détails

La chanson ne s’attarde pas sur le procès au terme duquel le déserteur est condamné mais  la version recueillie par Abel Soreau attire tout de même l’attention pour les nombreux détails assez cruels dont elle est émaillée : là où d’autres chansons se seraient contentées de préciser l’arrestation, celle-ci précise que le gars est garotté, là où la simple mention d’une condamnation à mort aurait suffi, on précise qu’il sera pendu ou roué – voire les deux. Tout ceci ne sert finalement qu’à construire un récit tragique dont l’issue fatale semble inéluctable. En confortant, au fil des couplets, l’auditeur dans une humeur de complainte que nourrit la promesse d’une fin tragique, on favorise l’effet tonique du coup de théâtre et du retournement de situation. Un effet de style que les scénaristes de la télévision ou du cinéma maîtrisent à la perfection. Ce coup de théâtre survient on ne sait trop pourquoi : un messager royal - excusez du peu - intervient pour s’enquérir du motif de l’exécution sur le point d’être accomplie et, chose étonnante, le motif est suffisant pour le roy qui gracie le déserteur en lui enjoignant d’aller retrouver sa belle et de l’épouser. Un monarque comme on n’en fait plus. Mais en a-t-on jamais fait de semblables ?

Hugo Aribart
Dastum 44
2018

C’est un jeune militaire du bourg de Guémené (bis)
Qu’a voulu déserter , tra ri dé ra de rère
Qu’a voulu déserter, sans avoir son congé

Mais l’pauvre gars sur la route trouve la maréchaussée (bis)
Soldat où est ton congé, traridera derère
Soldat où est ton congé qu’on lui a demandé

Le congé que je porte, il est sous mes souliers (bis)
L’on prit, l’on garotté, tra ri dé ra de rère
L’on prit, l’on garotté, à Nantes l’ont emmené

Au bout de six semaines, son procès fut réglé (bis)
Le pauvre infortuné, tra ri dé ra de rère
Le pauvre fortuné à mort fut condamné

Il fut jugé à pendre, à pendre ou à rouer (bis)
Sur la place du Bouffay , trra ri dé ra de rère
Sur la place du Bouffay par un jour de marché

Mais voilà que sur la place, au milieu du marché (bis)
Par le roi envoyé, tra ri dé ra de rère
Par le roi envoyé, arriva un courrier

Soldat, quel est ton crime, demande le courrier (bis)
As-tu volé, pillé, , tra ri dé ra de rère
As-tu volé, pillé, as-tu assassiné

Pour l’amour de ma mie, qu’à Guém’né j’ai laissée (bis)
J’ai voulu déserter,  tra ri dé ra de rère
J’ai voulu déserter, sans avoir mon congé

Tiens, le roi te fait grâce, et voici ton congé (bis)
Ta mie à Guémené,   tra ri dé ra de rère
Ta mie à Guémené, va-t’en vite l’épouser.

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En savoir plus

Bibliographie

Coirault Patrice, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1996-2006
Le déserteur que l’on s’apprête à pendre (Déserteurs – N° 06805) : 9 versions référencées
Laforte Conrad, Le catalogue de la chanson folklorique française, Presses de l’université de Laval, Québec, 1977-1987
Le déserteur pendu (I, B-19) : 8 versions référencées

Discographie

Jolie Brise : Musique et chants traditionnels de Haute-Normandie, Diskan, 1978, plage N° B-02

Version sonore

Bruno Nourry, en 2009 à Nantes, d’après la version recueillie par Abel Soreau à Guémené-Penfao (44), auprès de Sophie Lemarchand, le 27 septembre 1899

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Rédaction d'article :

Hugo Aribart

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